La Patrouille de France, emblème de la performance par la confiance 22/31

LA CONFIANCE, OU COMMENT RASSEMBLER LE TROUPEAU DE CHATS [22/31]. Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans un monde férocement individualiste, la confiance pourrait être le socle d'une nouvelle organisation de l'entreprise, voire d'un pays. "La Tribune", en partenariat avec Trust Management Advisors, publie une série d'une trentaine de textes dédiés à la confiance sous ses différentes facettes, sociétale, entrepreneuriale, associant une réflexion de fond et des exemples très concrets issus de cas réels.
Virginie Guyot et Jacques Lefevre.
Virginie Guyot et Jacques Lefevre. (Crédits : DR)

À 700 km/h en plein ciel, séparé(e) de quelques mètres à peine de l'appareil voisin, la moindre erreur est fatale. Concentré(e) sur vos manœuvres, vous n'avez pas le temps de vous préoccuper de ce que font les autres : vous devez en être sûr autant qu'eux-mêmes le sont de vous. Cette certitude réciproque, cette confiance absolue dans les autres membres de l'équipe, est la condition sine qua non de la très haute performance atteinte par la Patrouille de France. Mais cette confiance n'est ni spontanée ni immanente : c'est le fruit d'un travail conscient, organisé et sans cesse remis sur le métier.

Lorsque la Patrouille de France prépare une nouvelle démonstration, elle n'a que six mois pour la maîtriser à la perfection. Six mois d'entraînements individuels et collectifs pour transposer dans les airs des figures qui, sur le papier, semblent irréalisables, parfois même insensées. Et la clé de cette prouesse ne réside pas tant dans la virtuosité individuelle de chacun des pilotes que dans l'alchimie humaine qui, durant cette période, transforme un groupe d'individus talentueux en une équipe soudée, apurée de tout égoïsme et tendue vers un but commun.

Redistribution des rôles et des responsabilités

Ce processus est récurrent car chaque équipe est unique. La composition de la Patrouille change très régulièrement. Les rôles, les responsabilités et les positions sont redistribuées. Chaque fois, doit se créer une nouvelle osmose car les personnes ne sont pas interchangeables : une nouvelle recrue apporte aussi son caractère, sa personnalité, qui n'occupent jamais exactement l'espace laissé par son prédécesseur, et tout en est reconfiguré.

Le recrutement est bien sûr fondamental. Décision forcément collective, le choix d'un nouvel équipier ne se porte pas nécessairement sur le candidat le plus qualifié ou le plus brillant - tous ont, de toute façon, des compétences hors pair -, mais sur quelqu'un qui aura compris l'ambition collective de la Patrouille, qui sera prêt à s'y consacrer sans réserve et qui laissera entrevoir ce qu'on appelle parfois l'intelligence émotionnelle ou, dans l'entreprise, les « soft skills » : ouverture, humilité, sang-froid... Au terme du long moment passé avec la personne pour la jauger, chaque membre de l'équipe doit en définitive se poser deux questions seulement : ai-je envie de travailler avec cette personne et est-ce quelqu'un à qui je pourrais confier ma vie ?

Parcours d'intégration

Durant un mois, le nouvel équipier suit un parcours d'intégration et d'observation qui va lui permettre de connaître et d'assimiler le fonctionnement de la Patrouille, d'en comprendre les codes, de développer des affinités. Ce parcours est ponctué par de forts moments symboliques, comme la remise du casque. Organisés par un pilote et un mécano « gardiens des traditions », ces rituels ne sont pas seulement des témoins pittoresques passés de génération en génération : ce sont des moments essentiels pour que se cristallise et se renforce le lien spécial qui unit toute l'équipe.

On a coutume de dire que 80 % du succès d'une mission se joue avant même le décollage. Par là, on entend bien sûr les longues heures de préparation individuelle et collective pour être fin prêt le jour J, mais aussi la séance clé du briefing. Plus qu'une ultime mise au point, cette réunion est l'occasion d'aborder toutes les éventualités (incident mécanique, oiseau, intempéries...) et les alternatives suggérées par le leader. C'est une discussion très ouverte où l'on ne craint pas de faire part de ses doutes et de soumettre ses idées. La confiance s'en trouve renforcée car chacun sait que tout a été envisagé et prévu. Sinon, demeure toujours une part de défiance et d'incertitude qui bride l'agilité collective. Le briefing devient alors une mise en condition, une répétition mentale où l'on doit expérimenter le lâcher-prise qui fera du vol une réussite.

Culture du feedback

Habitude des pilotes chez qui la culture du feedback est très répandue, le débriefing qui suit chaque mission est tout aussi important dans la construction de la confiance. Il ne s'agit pas d'une séance d'auto-flagellation ou de fausse modestie mais d'un exercice institutionnalisé d'amélioration individuelle et collective. Chacun évoque tour à tour ses erreurs, ses impressions, et les faits sont analysés, sans jugement de valeur, au prisme de la performance de l'équipe. Au débriefing collectif succède une séance en binôme, plus informelle et personnelle, où l'on cherche avant tout à s'entraider. Avec le débriefing, se referme la boucle vertueuse de la quête constante de l'amélioration individuelle au service de l'excellence collective.

À la lecture de ces lignes, il peut sembler que les membres de la Patrouille de France passent beaucoup de temps à se parler. Et c'est en effet le cas. Une équipe qui vise la très haute performance ne peut s'encombrer de pudeurs égotiques ou d'orgueils déplacés. Tout ce qui n'est pas dit, tout ce qui n'est pas clair, tout ce qui n'est pas tranché, se paiera un jour par une hésitation ou une erreur. L'excellence ne tolère aucun tabou, aucune dissimulation, aucun calcul personnel. Il faut donc sans cesse échanger de manière à ne rien laisser croupir dans l'ombre. Et c'est pourquoi il est si important de bien se connaître : c'est ce qui permet de dire et d'entendre des choses difficiles sans que la cohésion du groupe n'en soit altérée. Bien au contraire.

Toutes les équipes n'ont pas des objectifs de performance aussi élevés que ceux d'un groupe de pilotes de chasse cherchant à réaliser de concert des manœuvres périlleuses à haute vitesse. Mais toutes, à leur niveau, peuvent s'inspirer des pratiques qui leur permettent d'atteindre cette harmonie aveugle : du dialogue pour mieux se connaître et développer des automatismes et un esprit de corps ; du collaboratif pour être mieux armé face à l'imprévu ; du feedback pour rechercher sans cesse l'amélioration ; de la capacité à se dire des choses difficiles pour atteindre l'excellence collective ; du plaisir à être et travailler ensemble. Et, par-dessus tout, une inébranlable confiance mutuelle qui libère le talent et permet à chacun de donner le meilleur de lui-même.

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LES AUTEURS

La société Trust Management Advisors-Stratorg est une société de conseil et de services aux directions générales dédiée au management par la confiance. Les auteurs ont forgé en son sein depuis 20 ans un corpus de méthodes et d'outils, en co-innovation à la fois conceptuelle et pratique avec des dirigeants et des sociologues. Ils prouvent au quotidien que si la confiance ne se décrète pas, elle se mérite, et se construit par l'élaboration d'un dialogue outillé et organisé.

Virginie GUYOT, ex-pilote de chasse et leader de la Patrouille de France en 2010.

Jacques LEFEVRE (Isae-Supaero) est associé chez Trust Management Advisors-Stratorg et cofondateur de Trust Management Institute.

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Commentaires 2
à écrit le 27/06/2019 à 13:03
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C’est une histoire de dosage&de limites : A quel point les automatismes deviennent un risque ? L’humain est très complexe et naïf à la fois mais malgré tout la plus grande force ( car elle existe ) est ce sixième sens «  inexplicable ».

à écrit le 26/06/2019 à 15:15
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Prendre un fait comme preuve n'est pas signe qu'une théorie soit incontestable, la manipulation est toujours présente!

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