Fiscalité du Grand Paris : le député Lefèvre (Renaissance) pousse à la fin du micmac

EXCLUSIF. C'est l'histoire d'une réforme annoncée en 2017 par le président Emmanuel Macron qui a fait monter au front d'un côté la métropole du Grand Paris, de l'autre les établissements publics territoriaux. Malgré une énième concertation annoncée fin 2022 et un rapport sévère de la Cour des comptes début 2023, rien n'a changé... jusqu'à présent. Selon nos informations, le député (Renaissance) du Val-de-Marne Mathieu Lefèvre, proche de Gérald Darmanin, défend deux options dans le cadre du projet de loi de finances 2024. Explications.
César Armand
(Crédits : iStock)

C'est une exception administrative, propre à l'Ile-de-France, qui va fêter ses huit ans début 2024. Le 1er janvier 2016, le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM, 2014) et celui portant sur une nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRE, 2015) ont en effet donné naissance à « la métropole du Grand Paris ». Cette intercommunalité « XXL » est composée de la ville de Paris et de 131 communes, ainsi que de onze établissements publics territoriaux (EPT) rassemblant lesdites communes.

Son périmètre géographique épouse en outre les trois départements de petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne). Entre les communes, les territoires, la métropole, les conseils départementaux et le conseil régional, l'Ile-de-France compte donc au moins cinq étages de décision publique locale. Un millefeuille institutionnel né sous le quinquennat de François Hollande et dont a hérité Emmanuel Macron en arrivant à l'Elysée en 2017.

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 « L'idée du Grand Paris mérite mieux » (Macron, juillet 2017)

Cet enchevêtrement n'a jamais satisfait personne, à commencer par le chef de l'Etat lui-même. Deux mois après son élection, le 17 juillet 2017 au Sénat, lors de la première Conférence nationale des territoires, Emmanuel Macron promet pour l'automne une conférence territoriale du Grand Paris pour « aboutir à une organisation institutionnelle stabilisée et efficace ».

« L'idée du Grand Paris mérite mieux que ce que nous en avons collectivement fait - il faut bien le dire - de part et d'autre, pour des raisons politiques et pour des équilibres incertains. Mais si nous voulons que le Grand Paris réussisse à l'échelle de ce qu'est la compétition internationale, si nous voulons produire la richesse pour ensuite pouvoir la répartir harmonieusement sur le territoire, nous avons besoin de simplifier drastiquement les structures », affirme alors le président de la République.

« Une folie de supprimer ce travail énorme » (Ollier, janvier 2019)

Sauf qu'à l'automne 2017, il ne se passe rien. Jusqu'à la trêve des confiseurs, où un rapport du préfet de Paris et préfet d'Île-de-France, Michel Cadot, dévoilé par Le Monde, évoque une suppression des départements de la petite couronne parallèlement à une montée en puissance des onze établissements publics territoriaux (EPT), dont les compétences portent sur l'aménagement et le développement économique.

Une hypothèse qui reviendra mi-mars 2018 à Cannes dans les moments informels du Marché international des professionnels de l'immobilier (Mipim), où acteurs privés et publics évoqueront, en off, une « alliance des territoires » prenant possession des compétences des conseils départementaux et de la métropole du Grand Paris.

Le feuilleton se poursuit à l'automne 2018. Missionné en juin de la même année, l'architecte Roland Castro présente le 26 septembre son rapport sur le Grand Paris ou plutôt sur « Paris en grand ». Il n'a pas eu son mot à dire sur une possible réforme de la gouvernance, mais il estime que la métropole du Grand Paris (MGP) n'est pas « assez grande ». De quoi faire plaisir au président (LR) Patrick Ollier de cette collectivité, qui, lors de ses vœux de janvier 2019, plaide pour un acte II de la MGP.

« Ce serait une folie de supprimer ce travail énorme. Je fais confiance au président de la République. Il a vu ce dont nous étions capables, que nous existions. Nos propositions ne portent pas atteinte aux collectivités et aux territoires, elles sont construites en bonne collaboration avec la région », souligne alors le maire de Rueil-Malmaison.

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« Je souhaite qu'on bouge ! » (Lecornu, novembre 2019)

Peine perdue : le sujet ne revient à l'agenda de l'exécutif que le 12 novembre 2019. Ce jour-là, le ministre des Collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, annonce que le président Macron l'a chargé d'organiser une concertation « opérationnelle et active » avec les acteurs politiques et la société civile francilienne entre le lendemain des élections municipales et l'été 2020.

« Que le gouvernement puisse mettre des scénarios sur la table et que l'exécutif prenne ses responsabilités. Nous devons répondre aux questions liées au projet [du Grand Paris, ndlr] et aux questions financières comme 'qui paie quoi ?', et pas seulement aux questions politiques ou de gouvernance », précise alors Sébastien Lecornu.

« Le statu quo sur la métropole du Grand Paris (MGP) n'est plus possible. Je souhaite qu'on bouge ! », confie ensuite le ministre à La Tribune.

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« Des coûts de fonctionnement exorbitants » (les députés LREM, décembre 2020)

Sauf que la concertation en question n'aura jamais lieu. Le Covid-19 s'invite dans les vies et les villes en mars 2020, ajournant au mois de juin le second tour des élections municipales. Tant est si bien que même la majorité des députés LREM d'Île-de-France décident, en décembre de cette même année, de déposer une proposition de loi à l'Assemblée nationale « visant à engager une réforme institutionnelle du Grand Paris ».

Sous la plume du Parisien Pacôme Rupin et du Val-de-Marnais Guillaume Gouffier-Cha, il s'agit de supprimer la métropole du Grand Paris sous sa forme actuelle et de la remplacer par un « pôle métropolitain » rassemblant Paris, les onze établissements publics territoriaux (EPT), les autres intercommunalités franciliennes, les départements de petite et de grande couronne, ainsi que le conseil régional.

« Le législateur consolide le bloc communal et intercommunal pour répondre aux problématiques locales et allège le considérable millefeuille territorial francilien. Il génère également des économies importantes au regard du budget actuel de la Métropole qui englobe la production de documents d'orientation rédigés de manière quasi‑similaire au niveau régional ou intercommunal et des coûts de fonctionnement exorbitants rapporté à ce que la MGP dépense et investit », est-il écrit dans l'exposé des motifs de leur proposition de loi.

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« Clarifier la question de la fiscalité » (En Marche, présidentielle 2022)

Parallèlement, les parlementaires souhaiteraient transformer les onze établissements publics territoriaux (EPT), qui composent la métropole du Grand Paris (MGP), en établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Autrement dit, le budget et les recettes fiscales des EPT seraient pérennisés, à la différence d'actuellement où les ressources financières sont centralisées par la MGP avant de leur être reversées, grâce à un amendement examiné lors de chaque projet de loi de finances.

Les élections départementales et régionales se déroulent, ensuite comme prévu, en juin 2021. Le sujet ne mobilise plus. Jusqu'à ce que l'association des maires d'Île-de-France (AMIF) sollicite les candidats à l'élection présidentielle sur ce sujet. Alors député (LREM) du Val-de-Marne, Laurent Saint-Martin joue au porte-parole du président-candidat Macron et appelle à « clarifier la question de la fiscalité locale et donc des ressources ».

« A chaque loi de finances, on doit faire voter des amendements avec un débat entre la métropole du Grand Paris, les départements, l'alliance des territoires [les onze établissements publics territoriaux, EPT] pour déterminer la part de chacun. Ça, c'est de la rustine qui n'a pas vocation à durer. Le schéma institutionnel du Grand Paris doit à terme être clarifié », poursuit celui qui est alors rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale.

A l'origine, un schéma très clair

Aux débuts de la métropole du Grand Paris (MGP) et des EPT en 2016, le schéma est pourtant clair : à la MGP les fruits de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et aux établissements publics territoriaux (EPT) le bénéfice de la cotisation foncière des entreprises (CFE). Sauf qu'à partir du 1er janvier 2021, conformément à la loi, la métropole était censée percevoir le produit de la CVAE et celui de la CFE.

Un casus belli pour les EPT qui s'y opposent, considérant que la métropole n'est pas montée en puissance sur ses compétences, et qui finissent par obtenir, en décembre 2020 du gouvernement et du Parlement, un tiers de la cotisation foncière des entreprises (CFE), contre deux tiers pour la métropole du Grand Paris. Un partage accepté par la MGP sachant qu'elle reverse 98% de ses ressources via l'attribution de compensation métropolitaine aux 131 communes. Ces dernières contribuent ensuite au fonctionnement de leur établissement public territorial via le fonds de compensation des charges transférées.

« C'est un sacrifice de 50 millions d'euros que j'ai accepté pour avoir la paix et éviter un déséquilibre des financements », déclarait, en 2022 à La Tribune, le président (LR) de la métropole du Grand Paris, Patrick Ollier.

Une « incompréhension » entre les territoires et le gouvernement

Une situation kafkaïenne à laquelle a voulu mettre fin le député (Renaissance) du Val-de-Marne Mathieu Lefèvre, un proche de Gérald Darmanin et de Gilles Carrez, ex-député (LR) expert de ce sujet. Lors de l'examen de la loi de finances 2023 à l'Assemblée nationale, ce dernier a déposé un amendement revenant au schéma d'origine : la cotisation foncière des entreprises (CFE) aux établissements publics territoriaux (EPT), et la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) à la métropole du Grand Paris.

« L'objectif principal consistait à redonner aux EPT des marges de manœuvre afin qu'ils puissent exercer pleinement leurs compétences, notamment d'aménagement », justifiait, l'an dernier, le parlementaire, contacté par La Tribune.

Sauf que dans la dernière version du budget 2023 adoptée par 49-3 au Palais Bourbon mi-décembre 2022, le gouvernement est revenu à ce partage - historique - de la CFE entre la métropole (deux-tiers) et les établissements publics territoriaux (un tiers). Un revirement qui a fait bondir l'Alliance des territoires, l'association qui représente les onze EPT. Dans un communiqué, son président (PS) Mathieu Hanotin fait alors part, à de multiples reprises, de son « incompréhension ».

« Nous assumons des services publics de proximité (collecte des déchets, eau, assainissement, politique de la Ville, solidarité, équipements culturels, etc.) pour les habitants. Le transfert du produit de CFE à la métropole a pour conséquence directe de mettre en danger l'équilibre des budgets de fonctionnement des EPT comme des villes », s'agaçait le président de Plaine Commune (435.310 habitants, Épinay-sur-Seine, L'Île-Saint-Denis, La Courneuve, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Saint-Ouen-sur-Seine, Stains et Villetaneuse).

La concertation en vue d'« une réforme partagée » n'a pas eu lieu

Aussi, Mathieu Hanotin demandait-il à être reçu « dans les meilleurs délais » par la Première ministre, Elisabeth Borne. « Le rendez-vous aura lieu dans les prochaines semaines, la date est en cours de calage », déclarait alors Matignon à La Tribune, qui défendait un « amendement d'attente » et qui « partage le constat » que « le système actuel ne donne pas satisfaction ».

« Nous avons besoin d'une réforme partagée pour laquelle nous allons nous donner le temps nécessaire d'une concertation », poursuivait-on au cabinet d'Elisabeth Borne. « Je ne peux pas vous donner le calendrier », nuançait toutefois aussitôt cette même source.

Une concertation qui n'a pas eu lieu, et ce, malgré un rapport de la Cour des comptes de janvier 2023 très critique à cet égard. « L'organisation institutionnelle retenue par le législateur engendre des flux financiers très complexes entre les trois niveaux de l'ensemble métropolitain et créée une compréhension très difficile pour les élus comme pour les citoyens », pointent les « Sages » de la rue Cambon.

« Surtout, elle laisse à la MGP des moyens propres qui paraissent très faibles au regard de ses ressources financières. En apparence, son budget est important, mais est en réalité, il se révèle en « trompe l'œil » : la MGP reverse la quasi-totalité de ses ressources à ses communes membres sous la forme d'attributions de compensation, tandis que le « budget propre s'établit entre 50 et 100 M€ depuis sa création », enchaînent les magistrats.

Rien n'a changé... jusqu'à présent

En huit mois, rien n'a changé.... jusqu'à présent. Selon nos informations, le député Renaissance de la 5ème circonscription du Val-de-Marne, Mathieu Lefèvre, pousse deux amendements - au choix - sur le sujet dans le cadre de la loi de finances 2024. Le premier est le copier-coller de celui de l'an dernier et prévoit la même chose pour le budget 2025. Le second est un copier-coller de l'an dernier et n'anticipe pas le budget 2025.

Dit autrement, Mathieu Lefèvre propose de revenir au schéma d'origine : la cotisation foncière des entreprises (CFE) aux établissements publics territoriaux (EPT), et la désormais fraction de TVA en lieu et place de l'ex-CVAE à la métropole du Grand Paris. Sans surprise, la piste ne réjouit pas Philippe Laurent, le vice-président (UDI) de la métropole du Grand Paris (MGP) chargé des Finances qui défend le statu quo : deux-tiers de la CFE à la métropole (deux-tiers) et un tiers aux établissements publics territoriaux (un tiers).

« Quand nous avons su que la métropole allait percevoir de l'argent de l'Etat, nous avons décidé de rendre une partie de la la CFE aux communes », affirme aujourd'hui le métropolitain Philippe Laurent à La Tribune. En juillet dernier, le conseil de la MGP a en effet approuvé à l'unanimité l'instauration d'une dotation de solidarité communautaire s'élevant à 42 millions d'euros au profit des 131 communes métropolitaines.

« C'est un schéma vertueux qui doit être poursuivi en 2024 », prêche, pour sa propre paroisse, l'intéressé. Comme maire de Sceaux (Hauts-de-Seine), l'une des communes qui constitue la métropole du Grand Paris, il a touché une partie de cette somme. Des communes - pas la sienne - ont même reçu jusqu'à 1 million d'euros.

La balle est désormais dans le camp du gouvernement. Soit il reprend la première ou la deuxième option du député Mathieu Lefèvre, soit il s'inscrit dans la continuité en ne changeant rien. « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que tout change ». C'est à croire que Giuseppe Tomasi di Lampedusa avait anticipé ce micmac en écrivant Le Guépard...

César Armand

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Commentaires 3
à écrit le 07/09/2023 à 19:34
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Le travers bien français: jouer individualiste - petit- chef - baron local et mille-feuille administratif avec l’ état qui s en mêle . Comme d’hab ce n’ Est pas l administration qui décide et est responsable car elle exécute et met en œuvre ce q...

le 09/09/2023 à 10:19
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On se rend compte jour après jour que le quinquennat de Hollande a vraiment été une catastrophe, notamment pour le découpage régional et la réduction du millefeuille administratif ……..

à écrit le 07/09/2023 à 19:34
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Le travers bien français: jouer individualiste - petit- chef - baron local et mille-feuille administratif avec l’ état qui s en mêle . Comme d’hab ce n’ Est pas l administration qui décide et est responsable car elle exécute et met en œuvre ce q...

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