Marché de la santé : jusqu’où ira Amazon ?

Le géant du commerce en ligne multiplie les rachats dans le secteur médical, avec pour ambition de simplifier le parcours du patient et de s’attaquer à un juteux marché aux États-Unis. Mais ses ambitions se heurtent parfois à la dure réalité. Estimant que son offre n'était pas assez complète, le groupe va interrompre à la fin de l'année son service de télémédecine Amazon Care, lancé il y a trois ans seulement. Une décision qui ne témoigne pas d'une moindre ambition dans le secteur de la santé, assure la direction.
Andy Jassy, le directeur général d'Amazon, voit la santé comme un secteur de croissance stratégique pour le groupe.
Andy Jassy, le directeur général d'Amazon, voit la santé comme un secteur de croissance stratégique pour le groupe. (Crédits : Reuters)

Le tour de vis donné par les autorités antimonopole américaines ne semble pas freiner pour un sou les ambitions d'Amazon. Un mois à peine après avoir annoncé le rachat du réseau de 180 cliniques One Medical, le géant américain du commerce en ligne veut doubler la mise en se portant acquéreur de Signify Health, une société américaine spécialisée dans la santé à domicile.

Valorisée actuellement à environ 5 milliards de dollars, celle-ci est à vendre dans le cadre d'une enchère qui pourrait porter sa valorisation à huit milliards de dollars. L'action s'est déjà appréciée d'un tiers depuis la révélation de l'intérêt d'Amazon. Le réseau américain de pharmacies CVS Health (à qui Amazon a déjà raflé One Medical) compte également parmi les acquéreurs potentiels.

Soigner les personnes âgées à domicile

Dans les méandres du système de santé américain, d'une grande complexité et impliquant de nombreuses parties prenantes, Signify Health a recourt à l'intelligence artificielle pour effectuer des évaluations de santé à domicile. Elle travaille notamment avec Medicare, un programme d'assurance médicale publique à destination des personnes âgées. La nécessité de procurer des soins à domicile de qualité à des seniors toujours plus nombreux est en effet un enjeu majeur aux États-Unis.

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« Signify s'inscrit dans la double tendance d'une approche du soin basée sur la valeur, et du déplacement du traitement depuis l'hôpital vers le domicile », explique Christina Farr, une investisseuse basée à San Francisco, spécialisée dans la santé connectée. « Plutôt que de payer pour chaque procédure médicale ou visite chez le médecin, l'approche basée sur la valeur implique de rémunérer une équipe médicale pour améliorer la santé du patient. Cela permet par exemple aux individus à haut risque de recevoir davantage de consultations préventives à domicile. De nombreuses personnes de l'industrie pensent que c'est là que son avenir se situe, et Signify est aux avant-postes de cette transformation. »

Une stratégie mûrie de longue date

Andy Jassy, qui a succédé à Jeff Bezos à la tête d'Amazon en juillet 2021, considère la santé comme un secteur de croissance stratégique pour le groupe. Le rachat de One Medical a ainsi constitué la première grosse acquisition réalisée par Amazon depuis sa prise de poste. Le marché de la santé américain est estimé à plus de 800 milliards de dollars.

Toutefois, les ambitions du groupe dans ce domaine remontent à bien plus loin, et Andy Jassy se place en réalité dans la droite ligne de son illustre prédécesseur. Ainsi, dès 1999, Amazon investissait dans Drugstore.com, un site de vente de médicaments en ligne depuis racheté par la chaîne de pharmacies américano-britannique Walgreens Boots.

Mais c'est en 2018 que Jeff Bezos donne vraiment un coup d'accélérateur. Cette année-là, son entreprise forge une alliance avec le conglomérat Berkshire Hathaway et la banque JP Morgan Chase pour lancer le projet Haven, visant à utiliser la technologie pour réduire les frais médicaux des employés des trois groupes. La même année, Amazon rachète PillPack, une pharmacie en ligne, pour un milliard de dollars, acquérant du même coup la possibilité de vendre des médicaments sous ordonnance aux États-Unis. Deux ans plus tard, le groupe lance ainsi Amazon Pharmacy, un service en ligne proposant aux Américains de recevoir leurs médicaments sans frais de livraison, capitalisant sur la vitesse et l'efficacité d'Amazon Prime. Pour Christine Farr, c'est cependant sur l'expérience utilisateur qu'Amazon a le plus de chances de se différencier.

« Amazon a fait de l'expérience utilisateur sa priorité absolue, il est donc probable qu'ils adoptent la même approche dans la santé », analyse-t-elle.

« Pendant longtemps, les patients américains n'ont été que peu exposés au prix et à la qualité du soin, mais cela a changé récemment avec l'émergence de franchises élevées qui font supporter une part importante des coûts de santé au patient, sans que ceux-ci sachent toujours très bien d'avance ce qu'ils vont devoir payer », détaille cette spécialiste de la santé connectée. D'après elle, « il y a donc une grosse opportunité pour aider les patients à prendre des décisions optimales, par exemple quant au choix entre téléconsultation et visite à l'hôpital, ou à domicile. Mais aussi pour leur communiquer dès le départ, et de manière transparente, ce que leur traitement va leur coûter. Je pense que c'est la vision d'Amazon ».

Un parcours semé d'embûches

Toutefois, la complexité du marché de la santé le rend très difficile à conquérir, même pour Amazon. En 2019, l'entreprise s'est dotée de son propre service de téléconsultation, Amazon Care, qui se targue de pouvoir connecter l'utilisateur avec un praticien en moins de 60 secondes, 24h/24, sept jours sur sept. À l'origine réservé aux employés d'Amazon travaillant dans la région de Seattle, le service a depuis été rendu accessible à tous les salariés américains d'Amazon. L'entreprise avait également pour ambition de convaincre des entreprises tierces de l'adopter pour leurs propres employés. Aux États-Unis, où le marché de la santé est privatisé, de nombreuses personnes accèdent en effet aux soins grâce à une police d'assurance liée à leur employeur.

Mais l'offre a visiblement peiné à convaincre au-delà du cercle des employés d'Amazon, de sorte que la société a annoncé sa suspension pour la fin de l'année. Un nouveau camouflet, après l'explosion du projet Haven début 2021. Souffrant d'une inefficacité bureaucratique et d'une difficulté à accéder aux données médicales, le projet n'était jamais parvenu à décoller.

Si le fait qu'Amazon ferme Amazon Care tout en investissant tous azimuts dans des sociétés de santé peut sembler paradoxale, il suit au contraire une certaine logique : constatant son impuissance à développer ses propres services de santé en interne, la société revoit sa stratégie et s'appuie sur l'expertise d'acteurs institutionnels pour partir à l'assaut de ce marché complexe, en se concentrant sur des cas d'usages spécifiques, comme le soin à domicile aux personnes âgées.

Mais cette stratégie basée sur les fusions-acquisitions pourrait bien se heurter à un nouvel obstacle : les autorités américaines antimonopole. Lina Khan, qui dirige la Federal Trade Commission (FTC), gendarme de la concurrence américain, affirme de longue date qu'Amazon enfreint les lois antimonopole. L'émergence d'une majorité démocrate au sein de l'agence en mai dernier lui donne d'ailleurs tous les outils en main pour sévir contre sa bête noire. Lors de l'annonce du rachat de One Medical, en juillet, la sénatrice démocrate Amy Klobuchar avait déjà appelé la FTC à ouvrir une enquête sur le rachat, citant les investissements précédents d'Amazon dans la santé et sa mainmise sur les données médicales. Nul doute qu'avec cette nouvelle tentative de rachat, les appels de ce genre vont se multiplier.

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Commentaires 2
à écrit le 26/08/2022 à 13:26
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Amazon santé, Doctolib, Internet au service de la Santé pour régler les problèmes? Un énorme " couillonade". On ferait mieux de former des médecins et personnels de santé. Là, il y à un vrai problème.

le 27/08/2022 à 18:33
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Le Numérus Clausus était restreint pour réduire les dépenses de santé, et avec le recul on voit ce que ça fait (et encore on n'a pas encore vu les retraités qui vont bientôt partir, partout vont naitre les déserts médicaux, même une grande ville si e...

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