"Les succès de Thales Alenia Space ne sont pas un miracle" (Jean-Loïc Galle, PDG)

Thales Alenia Space (TAS) a réalisé une superbe année commerciale en engrangeant environ 2,2 milliards de prises de commandes en 2014. Dans une interview, son PDG Jean-Loïc Galle revient sur l’origine des succès de TAS, sur l'accord trouvé avec Airbus sur les prochains satellites de télécoms militaires français et sur le lancement des "Dream products". Enfin, il assure qu'il n'y a "pas de discussions" avec Airbus Space sur une opération de consolidation.
"Notre objectif était un pari et nous l'avons gagné. Ce n'est donc ni de la chance, ni un miracle, ni une question de malchance en 2013", a expliqué à La Tribune le PDG de Thales Alenia Space, Jean-Loïc Galle

Quel est bilan commercial de Thales Alenia Space en 2014 ?
Sur un marché accessible de 25 satellites de télécoms à ce jour, Thales Alenia Space (TAS) en a gagné cinq. Space System Loral a remporté neuf satellites et notre partenaire et concurrent Airbus Defence & Space en a remporté quatre tandis que Orbital et Mitsubishi Electric Corporation (Melco) deux chacun. En revanche, ni Boeing, ni Lockheed Martin n'ont remporté de contrats de satellites de télécom cette année. C'est donc une excellente année avec cinq satellites géostationnaires : deux pour Koreasat, un pour Inmarsat/HellaSat, un pour Telkom et enfin un pour Gazprom, Yamal 601, qui a été contractualisé en janvier 2014.

Les deux constructeurs français ont remporté neuf satellites. Comment expliquez-vous ce succès après quelques années moroses ?
Neuf satellites pour les deux constructeurs européens, c'est bien. Le marché a quand même été bien orienté avec 25 satellites commandés en 2014, contre 18 en 2013. Soit une hausse de 40 % environ. En ce qui concerne TAS, nous visions en début d'année trois satellites pour 2014. Cela n'avait pas réalisé en 2011, 2012 et 2013. Mes équipes étaient un petit peu sceptiques : « pourquoi ferait-on mieux en 2014 par rapport aux trois années précédentes ». Parce que TAS a engagé des actions sur sa politique produit et sur la performance. Un travail qui nous a fait gagner en un an 10 % de compétitivité. Sans ces 10 % et l'augmentation de la puissance de nos satellites, nous n'aurions pas gagné Koreasat et Telkon. Quand je voyais les affaires perdues en 2013, je constatais que les écarts avec les vainqueurs n'étaient que de quelques pourcents. Notre objectif était un pari et nous l'avons gagné. Ce n'est donc ni de la chance, ni un miracle, ni une question de malchance en 2013. Le marché des télécoms sanctionne vraiment le couple prix-performance du produit. Aucun opérateur ne fait de cadeau surtout pour des produits coûtant entre 100 à 200 millions d'euros. Nos clients n'ont pas le droit de se tromper. Les succès de TAS ne sont donc pas un miracle mais bien le résultat des actions lancées.

A combien va s'élever vos prises de commandes en 2014 ?
On devrait atterrir autour de 2,2 milliards d'euros. Pour la première fois depuis trois ans, TAS va finir avec un book-to-bill supérieur à un. C'est ce qui est important car le fameux book-to-bill est l'indicateur de la croissance à venir. Bien entendu ces informations sont données à titre indicatif, tout devant être consolidé au niveau des résultats du groupe. Au-delà des satellites de télécoms, nous avons remporté dans le domaine de l'observation Falcon Eye. Nous avons également obtenu une nouvelle tranche pour le programme CosmoSkymed en Italie d'une cinquantaine de millions d'euros, et nous attendons deux commandes imminentes, une avec le CNES sur SWOT (de l'ordre de 70 millions d'euros) et une avec Airbus sur MPCV (module pour la capsule américaine ORION).

Et vos résultats financiers 2014 seront-ils bons ?
Les résultats 2014 seront bons et le chiffre d'affaires devrait être stable par rapport à 2014. La rentabilité et la profitabilité de TAS seront conforme aux attentes de nos actionnaires. Ce qui est aussi une bonne chose pour le futur. TAS est sur la bonne voie. Mais il reste encore beaucoup de chemin notamment pour réaliser nos objectifs en termes de compétitivité.

Mais on aurait pu penser que les résultats 2014 reflèteraient les années moroses entre 2011 et 2013...
... On aurait pu le penser. Mais nous devons notre stabilité grâce notamment à des projets en cours comme Iridium, un énorme programme, et le satellite de télécoms brésilien SGDC. En revanche, nous espérons de belles croissances sur les trois années à venir. Donc globalement les résultats 2014 vont être effectivement bons

Vous avez dit que vos succès n'étaient pas le fruit du hasard. Pouvez-vous expliquer vos actions ?
Après mes six premiers mois, j'ai fait l'analyse de la situation. Il m'apparaissait un certain nombre de problèmes stratégiques, dont les deux plus importants étaient la compétitivité de nos produits et notre présence industrielle en Europe et dans le monde. A partir de mi-2013, nous avons donc lancé des actions extrêmement vigoureuses pour nous améliorer sur ces deux problèmes. Sur la compétitivité produit télécoms, TAS a travaillé sur deux axes de court et moyen terme. Particulièrement nous avons lancé des actions en vue d'améliorer notre gamme actuelle de satellites SpaceBus. Nous avons augmenté de façon significative la puissance de nos petits satellites (SpaceBus B2) en la faisant passer de 5 à 7 kilowatts, et de nos gros (SpaceBus C4) en la poussant jusqu'à 15 kilowatts (contre 11). Nous pouvons aussi proposer la propulsion hybride (mi-chimique, mi électrique). Sans ces évolutions, nous n'aurions pas gagné les cinq contrats satellites de télécoms en 2014.

Et à moyen terme ?
Nous travaillons pour lancer notre nouvelle plate-forme SpaceBus Neo 100, 200 et 300 grâce au programme du CNES et de l'ESA, Neosat. Cette nouvelle gamme de produits permettra d'intégrer la propulsion totalement électrique. Nous allons commencer par SpaceBus Neo 100 et 200 avec une version tout électrique et une version hybride (électrique et chimique). Nous avons dû même accélérer le développement de cette nouvelle gamme de produits afin d'être dans les temps pour déposer des offres auprès de différents opérateurs. Initialement nous pensions faire nos premières propositions en juin 2015 mais aujourd'hui il y a des projets commerciaux en cours, dont certains pourraient aboutir au premier semestre 2015. mais il nous reste encore du chemin pour réussir SpaceBus Neo et en faire un produit extrêmement compétitif.

Dans l'observation, vous êtes également attendu par la concurrence. Qu'allez-vous proposer ?
Nous avons lancé dans le domaine de l'observation deux nouveaux produits à destination de l'export. Un produit qui s'appelle Earth-Observer Optical (optique) et Earth-Observer Sar (radar à synthèse d'ouverture). Nous avons lancé mi-2013 ces deux nouveaux produits complets - plate-forme et charge utile - sur fonds propres. Earth-Observer Optical vise un niveau de performances intermédiaire par rapport à notre offre sur la très haute résolution. C'est un segment sur lequel TAS n'était pas. Nous avons déjà proposé ces deux produits dans le cadre de réponse à des appels d'offres à un certain nombre de clients, en Amérique latine et en Asie principalement.

En Amérique latine, il y a pas mal d'expressions d'intérêt...
... Dans pratiquement tous les pays. Aussi bien en Bolivie, Colombie et Chili...

A combien s'élève votre investissement sur fonds propres ?
Je ne donnerai pas les chiffres mais notre niveau d'investissements a fortement augmenté. En deux ans, nous avons pratiquement doublé notre effort d'investissements technologiques. C'est de l'ordre de dizaines de millions d'euros supplémentaires.

Dans la très haute performance, Airbus et Thales sont-il prêts à coopérer à chaque fois ?
Pour tout ce qui correspond à la très haute performance, des performances équivalentes aux satellites français Pléiades et CSO, nous essaierons dans la mesure du possible de coopérer avec Airbus DS ce qui est d'ailleurs une condition pour obtenir le soutien du gouvernement sur une offre française unique.

Y compris au Qatar et en Arabie Saoudite ?
On essaiera d'y aller en équipe. En tout cas ma position est d'y aller en équipe. De façon très claire, sur les deux prospects que vous avez mentionné, je désire y aller en partenariat mais je ne peux pas parler pour mon partenaire. Mais j'ai quand même l'impression que c'est aujourd'hui partagé.

Quels sont les objectifs commerciaux pour ces trois nouveaux produits qui arrivent sur le marché ?
Nous les appelons les « Dream products ». Nos trois produits du futur vont être sur trois segments : télécoms, observation et observation radar. Nous espérons en faire des best-sellers à partir de 2015 si possible, sinon en 2016. Sur ces trois produits, nous avons des opportunités sérieuses en 2015 d'obtenir au moins une première commande pour chacun d'entre eux. Nous verrons fin 2015 si les prédictions étaient bonnes.

En termes de réduction des coûts, quels sont vos objectifs et vos résultats ?
Nous avons beaucoup travaillé sur les coûts, notamment sur la supply chain interne et externe. J'ai lancé en juin 2013 notre plan TAS Ambition Boost, avec l'objectif de gagner 20 % sur l'ensemble des coûts de l'entreprise, en particulier sur les coûts industriels. Sur ces 20 %, nous sommes à mi-chemin. Nous avons déjà gagné un tout petit peu plus de 10 % en 2014. Ce qui est beaucoup. Notre plan va se terminer fin 2015. A la fois, l'augmentation de la puissance de nos satellites que nous avions anticipé en 2013 et la réduction de 10 % des coûts, nous n'aurions pas été aussi performants commercialement. Nos nouvelles offres nous ont permis de gagner des appels d'offre. Cela a été absolument dimensionnant.

Combien de personnes ont-elle quitté TAS ?
Nous avons validé 200 demandes dans le cadre de la GAE (Gestion active de l'emploi, ndlr). Nous en attendons encore une quarantaine en 2015. Mais notre principale action a été de transférer en interne du personnel qui travaillait sur des programmes en cours d'exécution vers des projets en cours de développement. C'est plutôt une stratégie très vertueuse : TAS gagne en compétitivité tout en investissant dans la préparation du futur.

Avez-vous prévu des embauches en 2015 ?
Nous avons recruté en 2014 une cinquantaine de personnes en France, dont beaucoup de femmes. En 2015, nous avons prévu d'attirer 80 à 90 personnes. J'ai également décidé de féminiser les personnels de TAS. Nous devons avoir un peu plus de femmes dans l'entreprise. Je trouve que la diversité est une très bonne chose. D'autant que les ingénieurs femmes sont en général excellentes : elles sont souvent les meilleures dans les écoles d'ingénieurs. Nous avons aujourd'hui chez TAS 20 % de femmes. Nous en recrutons aujourd'hui 35 %. Je veux qu'il y ait plus de femmes dans TAS et il y en aura plus. Forcément notre ratio de 20 % va augmenter mais cela va mettre du temps.

Vous avez significativement augmenté votre présence industrielle en Europe. Pourquoi ?
C'est un dossier stratégiquement très important pour TAS. Nous avons déjà récolté un certain nombre de succès avec la création de TAS UK, l'ouverture d'une usine à Louvain en Belgique et la montée en puissance de notre filiale espagnole. TAS est vraiment en train de changer et de passer d'une société franco-italienne à une entreprise beaucoup plus européenne et internationale. Enfin, nous avons créé TAS Brésil. Pourquoi TAS s'internationalise ? En dépit de toute notre expertise en France et Italie, il n'y pas suffisamment les crédits pour l'entretenir. Et les syndicats le comprennent assez bien. Deuxièmement, mon objectif est d'obtenir des financements en Angleterre, en Belgique ou ailleurs. Car si une partie du travail sera évidemment réalisé surplace, il y aura toutefois des sous-traitances significatives en France et Italie. C'est du gagnant-gagnant. En Belgique, TAS a déjà obtenu une dizaine de millions d'euros de prises de commandes fin 2014. Ce qui n'est pas négligeable alors que cette usine n'existait pas. En Espagne, notre filiale a plutôt tendance à croître. Moi c'est ce qui m'intéresse, c'est qu'il y ait un peu plus d'argent dans TAS.

Au Brésil, vous avez des ambitions...
... Nous sommes maintenant installés à San José do Campos près de Sao Paulo à côté d'Embraer, de l'agence spatiale brésilienne et de la société Visiona. Nous sommes en train d'exercer le transfert de technologies que nous avions prévu dans le cadre du contrat SGDC-1 que nous avons gagné. C'est pour cela que nous avons créé TAS Brésil pour manager ce transfert. Nous espérons qu'effectivement il y aura en coopération avec le tissu industriel brésilien des opportunités importantes pour nous au Brésil dès l'année prochaine dans le domaine de l'observation avec le, programme Carponis (deux satellites) et dans le domaine des télécoms. Un deuxième satellite SGDC est prévu en 2016.

TAS est-il satisfait de la conférence ministérielle de l'ESA ?
Globalement la conférence ministérielle est une réussite. Trois sujets impactent plus ou moins TAS, qui profitera des programmes lancés dans le domaine de l'exploration. Notamment la participation européenne à la Station spatiale internationale (ISS) jusqu'en 2017. TAS Italie, notamment le site de Turin, va être le principal bénéficiaire de cette décision. Deuxième point positif pour Turin, la décision d'affecter 140 millions à la mission Exomars. TAS Italie en est le maître d'œuvre. Ces crédits vont permettre de maintenir l'activité sur Exomars jusqu'en 2018. ce sont deux très bonnes nouvelles pour TAS.

Et que pensez-vous du lanceur Ariane 6 ?
Sur le lanceur Ariane 6.4, c'est exactement le lanceur qu'il nous faut. Nous voulions avoir un lanceur double à un prix de moins de 50 millions d'euros par satellites. Et ce lanceur devait lancer 11 tonnes pour deux satellites. Sa performance est actuellement de 10,5 tonnes. Nous sommes donc extrêmement satisfaits du projet sur le papier de la performance, du prix annoncé (90 millions d'euros pour deux satellites). Autant utiliser un lanceur européen compétitif. Enfin, nous avions fait valoir que nous ne serions pas content que la propulsion électrique des satellites fasse partie de la JV entre Safran et Airbus dans laquelle notre concurrent principal est présent. Il a été décidé que cette activité resterait chez Safran. Là aussi TAS est complètement satisfait.

Pas de déception sur la partie télécoms ?
Oui effectivement. Nous aurions souhaité une nouvelle dotation sur les charges utiles et les plateformes pour soutenir les activités en France dans le domaine des télécoms. L'Italie a mis 15 millions d'euros, la France rien. C'est la déception de la ministérielle. Je comprends cette décision et je n'émets pas de critiques. Tout le monde est allé aux priorités, c'est-à-dire à Ariane 6 et l'exploration spatiale. Après il ne restait plus d'argent pour les télécoms, un secteur où il faut pourtant investir en permanence.

En France, êtes-vous parvenu à un accord avec Airbus sur le futur satellite de télécoms militaires Comsat NG ?
Sur Comsat NG, nous avons trouvé un accord avec Airbus, un accord entre industriels. Je ne sais pas ce que va décider le client, la DGA et le ministère de la Défense. C'est au client de décider de la voie qu'il veut retenir entre différents modes d'acquisition. Avec Airbus, nous avons eu beaucoup de discussions et nous pouvons faire une proposition commune à la DGA.

Discutez-vous avec Airbus de rationalisations, de consolidations ?
Nous ne discutons pas. Depuis deux ans, ma position est inchangée. Avant de parler fusion ou rachat, il devrait y avoir la possibilité de coopérer de façon pragmatique comme on le fait sur l'observation haute résolution à l'export. Nous pourrions le faire sur un certain nombre de sujets au cas par cas.

Pas de big-bang alors ?
Tout ce qui est structurel dépend de mes actionnaires Thales et Finmeccanica. En revanche, je peux donner mon opinion en tant qu'industriel sur le volet rationalisations. Il existe dans le domaine des satellites beaucoup de synergies et d'adhérences technologiques avec le groupe Thales : optique, optronique, communications satellitaires, communications sol, communications bord avec l'avionique à l'image du contrat Inmarsat en vue d'amener internet dans les avions. Le contrat a été signé entre Inmarsat, Thales et TAS. Nous sommes bien dans le groupe Thales.

L'Italie aura-t-elle assez d'argent pour le système CosmoSkymed ?
L'Italie a agréablement surpris à la conférence ministérielle en finançant les lanceurs pour soutenir Vega, l'ISS et Exomars. Les Italiens ont donc versé une très grosse contribution. Ils sont le troisième contributeur. Sur leurs programmes nationaux, nous remercions le gouvernement italien qui s'implique vraiment afin que nous puissions poursuivre au rythme actuel le programme CosmoSkymed en 2015. Nous espérons qu' une solution soit trouvée avant Noël. Le premier des deux satellites du système CosmoSkymed doit être livré en 2017.

Où en êtes-vous avec Stratobus ?
Ces derniers mois, nous avons relancé beaucoup l'innovation dans TAS, notamment technologique. Nous avons effectivement beaucoup avancé sur le projet Stratobus qui est un projet de ballon en orbite à 20 km, inscrit dans les 34 projets d'avenir. Nous On espérons dès 2015 obtenir les financements qui vont nous permettre de lancer les études pour disposer en 2020 d'un premier produit disponible pour le marché. En outre, nous avons plein d'autres initiatives internes. Par exemple, nous avons signé un partenariat avec NTU, une université à Singapour, pour travailler sur les mini ou micro-satellites. Nous avons envoyé une équipe dans les locaux de Thales Singapour qui travaille avec cette université.

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Commentaires 3
à écrit le 12/03/2016 à 8:47
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L'auteur a laissé quelques coquilles dans son article. Cela ne dénature pas les propos très intéressants de monsieur Galle, mais donne un gout de "pas très sérieux"... Le journalisme, c'est aussi produire du bon français, monsieur Cabirol...

à écrit le 05/01/2015 à 21:00
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je suis de près et leur cliente aussi ! Important d'ecouter l'appetit de la gente feminine dans ce travail surtout quand elles s'investissent durement et quand sont mariées !

le 05/01/2015 à 22:36
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Et les contrat sont plus facile a faire signer quand une jolie fille vous met les papiers dans les mains. Encore mieux après un cocktail.

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