La surprenante résilience de l'économie américaine peut-elle durer ?

Malgré les tours de vis répétés de la Fed, les États-Unis continuent de croître et de générer des emplois. L’expiration des politiques votées pendant la pandémie, un tournant vers la rigueur budgétaire et une campagne présidentielle sous haute tension pourraient toutefois changer la donne.
(Crédits : CARLO ALLEGRI)

Face à une inflation galopante, une guerre commerciale avec la Chine et un contexte économique mondial défavorable, qui s'attendait à ce que l'économie américaine résiste aussi bien en 2023 ? À l'évidence, pas grand monde.

« La résilience de l'économie américaine a pris tout le monde de cours. Au début de l'année, alors que la Fed relevait de nouveau son taux d'intérêt pour s'efforcer de juguler l'inflation et que deux grandes banques faisaient faillite coup sur coup, peu de personnes auraient parié sur le fait qu'elle se trouverait neuf mois plus tard dans l'état où elle se trouve aujourd'hui », a ainsi constaté l'économiste Tiffany Wilding lors du Media Summit de PIMCO, géant obligataire mondial, qui s'est tenu à Londres la semaine dernière.

La politique de relance américaine a maintenu l'économie à flot

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : au cours des douze derniers mois, l'économie américaine a créé 3,1 millions d'emplois, dont 187.000 en août. Avec 3,8% de taux de chômage, elle est très proche du plein-emploi. L'économie américaine devrait croître entre 2 et 2,5% en 2023, alors même que la Fed a en juillet remonté son taux directeur à un niveau inédit depuis 2021.

Pour Tiffany Wilding, une partie de cette résilience s'explique par la politique de relance par la consommation adoptée par Washington. Outre les chèques délivrés sous l'administration Trump durant la pandémie, l'administration Biden a réussi à faire voter début 2021 un gigantesque plan de relance de 1.900 milliards de dollars, comprenant notamment de nouveaux chèques envoyés aux Américains. Or, « une partie des bénéficiaires ont commencé par mettre cette somme de côté avant de la dépenser pour maintenir leur train de vie lorsque la conjoncture a commencé à se retourner », selon l'économiste.

Deux autres lois votées par Joe Biden, le CHIPS Act et l'Inflation Reduction Act, ont ensuite injecté de l'argent supplémentaire dans l'économie et contribué à stimuler l'activité. En contrepartie, cette politique a aussi favorisé la persistance de l'inflation, remontée à 3,7% en août, contre 3,2% en juillet et 3% en juin.

Vers un "shutdown" du gouvernement début octobre ?

Pour autant, et bien que l'économie américaine ait jusqu'ici défié les prédictions les unes après les autres, il est probable que les choses commencent à se gâter au cours des prochains mois. « Outre le fait que ces économies commencent à se tarir, les politiques de soutien mises en place durant la pandémie arrivent également à expiration. Les remboursements des prêts étudiants reprennent après trois ans de gel, ce qui risque de ralentir l'économie. Enfin, si la contagion bancaire a pu être évitée suite à la chute de la Silicon Valley Bank et de la First Republic Bank, la conséquence est que les banques se montrent beaucoup plus prudentes et prêtent moins facilement. Nous n'avons jamais vu le nombre de prêts accordés ralentir à une telle vitesse », note Tiffany Wilding.

D'autant que, face à la persistance de l'inflation, les politiques américains souhaitent en finir avec la politique de relance et passer à l'austérité, ce qui pourrait freiner encore l'économie, selon Libby Cantrill, directrice des politiques publiques chez PIMCO. « L'inflation et le déficit public suscitent une inquiétude croissante, chez les républicains, mais aussi chez une partie des démocrates. Dans ce contexte, il est quasiment certain que l'on aille vers un "shutdown" lors du vote du budget le premier octobre : les républicains vont mettre la pression pour obtenir une baisse des dépenses. Si un accord est trouvé rapidement, les conséquences du "shutdown" seront limitées, mais s'il traîne en longueur, l'impact sur la croissance sera non négligeable. »

Si l'on s'efforce de tirer les leçons de l'histoire, il est en outre probable que la politique d'austérité dure pour quelque temps. « Historiquement, aux États-Unis, chaque période de dépenses importantes est suivie par une réaction qui conduit à l'austérité : ça a été le cas après la Seconde Guerre mondiale, mais aussi plus récemment avec l'émergence du mouvement Tea Party en réaction à l'intervention du gouvernement pour limiter les dégâts de la crise de 2008... »

Des entreprises surévaluées ?

Le rebond de la bourse américaine en 2023 est-il partiellement dû à un excès d'optimisme ? Après avoir chuté de 19% en 2022, le S&P 500 a pour l'heure connu une croissance de 14% en 2023, tandis que le Nasdaq avait fin août grimpé de près de 30% d'une année sur l'autre. Si une partie de ce rebond s'explique par la résilience de l'économie, il est également dû à un excès de confiance des investisseurs face à la vague de l'IA générative, selon Géraldine Sunstorm, gestionnaire de portfolio chez PIMCO.

« Plus de la moitié de la croissance du S&P 500 est due aux "magnificent 7" (NDLR Tesla, Apple, Nvidia, Microsoft, Amazon, Meta et Alphabet). Les investisseurs semblent confiants dans le fait que l'IA générative va apporter des gains spectaculaires en matière de croissance et de revenus aux entreprises. Si cette technologie va incontestablement avoir un impact positif, l'expérience prouve que les marchés tendent à surréagir face à l'arrivée d'une innovation. Il faut du temps pour que celle-ci commence à se distiller dans l'économie et à entraîner des bénéfices, il est donc probable que la bourse connaisse une correction au cours des prochains mois. »

Une présidentielle sous haute tension

Parmi les nuages s'amoncelant au-dessus de l'économie américaine, un autre, et non des moindres, réside dans le risque d'un accident diplomatique avec la Chine. « Nous ne parions pas sur une escalade autour de Taïwan à court terme, mais les tensions sont telles que le risque d'accident est aujourd'hui plus élevé qu'il ne l'a jamais été », affirme Libby Cantrill.

La campagne présidentielle pourrait encore jeter de l'huile sur le feu, les candidats à l'investiture républicaine étant tous partisans d'une ligne dure contre la Chine et Joe Biden n'étant pas non plus en faveur d'une politique d'apaisement.

La campagne constitue d'ailleurs un autre risque pesant sur l'économie américaine, selon Libby Cantrill. « Dans un environnement très fracturé comme celui des États-Unis aujourd'hui, le risque de violences politiques est non négligeable. » Que Joe Biden reste à la Maison-Blanche ou qu'un candidat républicain soit élu à sa place, il est probable qu'une politique de baisse des dépenses soit engagée afin de réduire le déficit. Elle prendra simplement des formes différentes. Joe Biden pourrait revenir sur les baisses d'impôts établies par son prédécesseur, tandis que les favoris à l'investiture républicaine (Donald Trump, Ron DeSantis et Vivek Ramaswamy) sont tous susceptibles de réduire les aides versées à l'Ukraine, si tant est que la guerre soit toujours d'actualité début 2025.

Des ménages américains bien plus solvables qu'en 2008

Malgré toutes ces menaces, la situation de l'économie américaine est bien plus saine qu'avant la crise de 2008, selon Christian Stracke, chargé de la recherche sur le crédit chez PIMCO. « Les ménages américains ont considérablement réduit leurs dettes, particulièrement dans le secteur immobilier : nombre d'entre eux ont fini de rembourser leur prêt ou acheté une maison avec un crédit à taux avantageux. On retrouve la même dynamique pour ce qui concerne les cartes de crédit, les prêts à la consommation et les prêts étudiants : les consommateurs américains ont profité du surplus de cash dont ils ont bénéficié pendant le Covid pour payer leurs dettes et assainir leurs finances. »

Il est également probable que l'économie américaine reste devant celle de l'Europe durant les mois et années à venir, le vieux continent étant soumis à des difficultés plus structurelles. « Contrairement aux États-Unis, l'Europe ne compte pas de géant technologique susceptible de tirer tous les bénéfices de la vague de l'IA générative. En outre, la guerre en Ukraine a mis en évidence les faiblesses structurelles de l'Europe, qui est importatrice nette d'énergie. Face à la flambée des coûts, nombre d'entreprises industrielles risquent de ne plus voir leur intérêt à produire en Europe.

Certains secteurs dans lesquels l'économie européenne excelle, comme l'automobile, sont également soumis à une rude concurrence de la part de la Chine, qui a beaucoup investi dans la voiture électrique. Le secteur du luxe, autre point fort de l'économie européenne, est également confronté à une baisse de la demande suite au retournement conjoncturel mondial et aux difficultés de pays fortement demandeurs comme la Chine », analyse Géraldine Sunstorm.

Commentaires 3
à écrit le 20/09/2023 à 19:01
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"peu de personnes auraient parié sur le fait qu'elle se trouverait neuf mois plus tard dans l'état où elle se trouve aujourd'hui " Ben voilà des gens en tout cas à rechercher et à interroger pour les autres crises !

à écrit le 20/09/2023 à 16:55
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1613 milliards de déficit public fédéral en juillet 2023, contre 725 milliards en juillet 2022. la "résilience" revient extrêmement cher... il y a de nouveau le risque de shutdown à la fin de ce mois. hausse de 12% des sans domicile fixe en 2023 (W...

le 21/09/2023 à 2:07
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@Effix. Merci de rappeller les faits. La crise qui menace arrivera coute que coute.

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