Comment les Etats-Unis ont évité la récession en 2023... avant de basculer ?

Alors que tout le monde attendait une récession en 2023, les Etats-Unis terminent l’année sur une croissance de 2,5 % et un marché de l’emploi toujours aussi solide. Simple décalage dans le temps ou atterrissage en douceur de l’économie, tous les regards sont à nouveau tournés sur les Etats-Unis. Si le passage en récession n’est pas exclu en 2024, le scénario d’un « soft landing » apparaît de plus en plus crédible.
Wall Street fête la début d'année par un nouveau record historique sur l'indice S&P 500.
Wall Street fête la début d'année par un nouveau record historique sur l'indice S&P 500. (Crédits : CARLO ALLEGRI)

Il y a un an, la prévision de croissance aux Etats-Unis pour 2023 était proche de zéro, avec même une possible récession au troisième ou au quatrième trimestre. De quoi envisager une pause dans le resserrement monétaire, voire les premières baisses de taux. Résultat, l'économie américaine a terminé 2023 sur une croissance de 2,5%, une croissance qui s'est même accélérée au quatrième trimestre à 3,3% (en rythme annualisé). Et la banque centrale américaine (Fed) a augmenté ses taux directeurs de 100 points de base.

« Le fait marquant de 2023 est bien que le consensus se soit systématiquement trompé », reconnaît Christophe Dembik, conseiller en investissement chez Pictet AM « et c'est un point qui sera important pour 2024 ». Cette peur de la récession n'est pas nouvelle : beaucoup d'économistes la prédisaient déjà pour 2022, puis de façon certaine, pour 2023. Qu'en est-il pour 2024 ? C'est à nouveau la question clé.

« En toute logique, l'économie devait basculer en récession après un tel resserrement monétaire alors que cela a eu aucun effet sur la croissance et l'emploi aux Etats-Unis. Il est important de comprendre ce qui n'a pas fonctionné pour aborder l'année 2024 », explique Julien-Pierre Nouen, directeur des études économiques chez Lazard Gestion. Pourtant, les indicateurs avancés (PMI) prévoyaient le pire. « Mais jamais nous avions eu une telle différence entre les indicateurs avancés et les indicateurs de coïncidence (ceux qui mesurent la réalité de l'activité, NDLR) », précise l'expert.

L'emploi reste la variable clé

Comment les Etats-Unis ont-ils pu ainsi échapper à la récession après une hausse de 500 points de base en deux ans des taux directeurs de la Fed ? En réalité, les explications sont nombreuses. La surprenante résistance du marché de l'emploi a permis tout d'abord de soutenir les dépenses de consommation et d'écarter les craintes d'une récession.

D'autant que les ménages américains avaient accumulé un bas de laine de 2.000 milliards de dollars lors de la pandémie, dans lequel ils ont très largement puisé. Ces tensions de l'emploi sont l'un des conséquences de la crise sanitaire et des mesures de soutien qui ont profondément déformé l'économie. Beaucoup de secteurs qui ont souffert du Covid ont eu ainsi du mal à recruter lors du redémarrage de l'économie. « Le marché du travail sera la variable clé à surveiller », prévient Julien-Pierre Nouen.

Acheter le scénario parfait

Autre élément positif : la charge financière des entreprises a plutôt baissé en 2023. Elles ont logiquement profité des taux bas pour s'endetter avant la pandémie et se sont finalement peu refinancées en 2023. Elles ont même pu placer leur cash sur des produits monétaires à 5% ! Même les conditions de marché se sont améliorées pour les entreprises. De fait, la relative bonne santé des entreprises est une anomalie dans un contexte de resserrement des taux.

Enfin, le plan de relance budgétaire massif (370 milliards de dollars sur dix ans) de l'Inflation Reduction Act (IRA) a propulsé l'investissement à des sommets. Au final, « 2023 aura été l'apparition et la crédibilisation du scénario parfait de l'atterrissage en douceur de l'économie (soft landing) », résume un gérant.

« Est-ce crédible ? Nous pensons que c'est crédible, même si le scenario d'un basculement en récession reste le plus probable », avance, prudent, Julien-Pierre Nouen. Les éléments de fragilité de l'économie américaine ne manquent pas, comme un marché de la construction résidentiel qui s'annonce morose compte tenu des stocks invendus de maisons neuves, des retards de paiement sur les cartes de crédit qui repartent à la hausse, et un marché de l'emploi qui commence à s'essouffler, même si les nombreuses statistiques dans ce domaine sont de moins en moins lisibles.

Pour l'heure, avec un indice boursier S&P 500 à son plus haut historique (+20 %), les marchés actions ont clairement acheté le scénario du meilleur des mondes, c'est-à-dire, une croissance modérée, pas de retour de l'inflation, des résultats positifs pour les entreprises et des banques qui commencent à adoucir leur condition de crédit.

Les marchés obligataires anticipent le pire

Ce scénario, les marchés de taux n'y croient pas. « Les marchés obligataires valorisent depuis plusieurs mois un scénario de récession », souligne Benoît Peloille, directeur des investissements chez Natixis Wealth Management (WM). L'inversion de la courbe des taux (taux courts plus élevés que les taux longs) annonce généralement, dans les 16 mois à 20 mois, une récession. « Près de 90% des différents segments de la courbe des taux sont inversés. C'est un signal assez fort », prévient le stratégiste.

Les anticipations de marché (qui se sont également lourdement trompées sur les taux en 2023) disent la même chose : elles tablent sur une baisse de 150 points de base des taux directeurs en 2024. « Historiquement, une baisse d'une telle ampleur c'est un passage en récession », rappelle Benoît Peloille. Ce qui renforce l'attrait au passage des marchés obligataires, qui ont toujours connu de bonnes performances une fois le pic de taux d'intérêt passé, comme cela semble être le cas.

Mieux que bien

Pourtant, la croissance américaine devrait être toujours au rendez-vous en 2024, mais à un rythme plus lent (1,2% soit moins que la croissance potentielle). Les trois derniers mois de l'année 2023 ont permis à l'inflation reculer sans pénaliser la croissance. Un scénario qui ressemble à ce soft landing tant espéré par la Fed. La confiance dans l'économie est également revenue, avec notamment une forte hausse du moral des consommateurs. Les compagnies aériennes ont fait le plein pendant les fêtes de fin d'année et les géants de la consommation non cyclique affichent de solides bénéfices.

Du coup, le risque de récession, que personne n'exclut mais que personne ne met non plus en avant, n'est plus un épouvantail. Les marchés de taux restent attractifs à la fois en portage et en plus-value en cas de baisse des taux, sans risque de voir une explosion des taux de défaut sur les meilleures signatures.

Quant aux actions, les flux vont continuer de se recycler sur le marché américain, avec toujours une prédiction pour les « 7 magnifiques » (Apple, Tesla, Microsoft, Nvidia, Meta, Alphabet, Amazon), qui ont contribué, à eux seuls, à la performance du S&P 500 l'an dernier. Après des prises de bénéfices en début d'année, ces valeurs sont reparties à la hausse, à l'exception de Tesla qui a lourdement chuté de 12% jeudi. « Ces valeurs restent incontournables en bourse et ce sera un point marquant de 2024 », soulève Christopher Dembik

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Commentaires 6
à écrit le 27/01/2024 à 18:09
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Sérieux? Ce qui sauve la croissance des Etats-Unis depuis longtemps, ce sont les migrants qui viennent gonfler la population américaine. Facile à vérifier : la courbe de la croissance de cette population C'est aussi ce qui est en train de tuer à p...

à écrit le 27/01/2024 à 9:51
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@Raymond: Merci, mon cher Raymond, de nous apprendre que Le Maire se conjugue aussi en américain. Bien cordialement!

le 27/01/2024 à 16:44
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Volontiers mon cher henry, c'est en effet dans l'ère du temps. Bien à vous.

à écrit le 27/01/2024 à 8:10
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C'est leur système économique et financier, leurs règles imposées au monde entier leur suprématie. Les autres pays n'ont aucune chance de les renverser. Nos dirigeants sont nuls.

à écrit le 26/01/2024 à 19:09
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L'ère des propagandes. J'adore les optimistes béats qui ne voient même plus l'éléphant rose se promener dans le salon de porcelaine. Pourquoi? Parce que plus c'est gros, plus ça passe! Traduction? Selon le Bureau d'analyse économique de l'administrat...

le 26/01/2024 à 20:17
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Merci pour votre commentaire, c'est très clair et je comprends mieux l'illusion qui est vendue ! Tout va pour le mieux, c'est merveilleux, la machine tourne....

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