
À l'époque où il était encore chancelier de l'échiquier, Rishi Sunak avait affirmé vouloir faire de son pays « un centre mondial des cryptoactifs ». Le Premier ministre britannique pourra bientôt compter un premier accomplissement à son actif pour atteindre cet objectif. La Financial Services and Markets Bill, qu'il a contribué à piloter lorsqu'il était ministre au sein du gouvernement de Boris Johnson, devrait en effet voir le jour dès début 2023.
Texte général visant à fixer les règles régissant l'industrie financière britannique post-Brexit, il comporte également un volet sur les stablecoins et autres cryptoactifs, qui seront désormais traités comme des « securities ». Concrètement, cela signifie que le texte donne autorité à la Financial Conduct Authority (FCA), le gendarme de la Bourse britannique, pour réguler ces cryptomonnaies.
Un cadre facilitant la mise en place de régulations
« Plutôt que de dicter des règles précises encadrant l'usage des cryptomonnaies, c'est un texte qui ouvre la porte à davantage de régulations dans le futur », résume George Morris, partner au sein du cabinet d'avocats Simmons & Simmons.
Le Royaume-Uni compte en effet deux types de loi. Les Primary legislations, d'une part, qui sont votées par le Parlement à l'issue d'un long processus législatif. La Financial Services and Markets Bill tombe dans cette catégorie. Les Secondary législations, d'autre part, qui consistent en des modifications à la marge qui s'inscrivent dans le cadre d'une loi déjà votée, et que la FCA va donc pouvoir désormais mettre en place pour mieux réguler le marché des cryptomonnaies.
À l'heure actuelle, la FCA peut seulement requérir des entreprises des cryptomonnaies basées au Royaume-Uni qu'elles s'enregistrent auprès d'elle et se plient aux règles qui visent à lutter contre le blanchiment d'argent. Une législation minimaliste qui crée un grand flou juridique et a le double défaut de ne pas bien protéger le public tout en plongeant les professionnels des cryptomonnaies dans l'incertitude quant à la nature des futures régulations. « Tous les professionnels du secteur avec qui je discute sont en réalité dans l'attente de régulations fortes, à condition naturellement que celles-ci reflètent une bonne compréhension du fonctionnement du marché », affirme George Morris.
La loi a déjà été validée par la Chambre des Communes. Elle doit désormais passer par la Chambre des Lords (vraisemblablement en janvier ou février), la chambre haute du parlement britannique, avant d'être signée par le roi Charles III.
La jurisprudence britannique avance sur les cryptoactifs
Plus tôt dans l'année, le Royaume-Uni a connu une autre évolution importante qui devrait renforcer son attractivité pour le secteur des cryptomonnaies. Une commission d'avocats a en effet remis un avis consultatif sur celles-ci, qui clarifie la façon dont la jurisprudence considère les cryptoactifs détenus par des tiers.
« Auparavant, il existait un flou juridique quant aux cryptomonnaies qu'un utilisateur confiait à une plateforme comme Binance ou Coinbase. Étaient-elles toujours la propriété de l'utilisateur ou devenaient-ils celle de la plateforme ? Dans le secteur bancaire, par exemple, il est très clair que l'argent confié à une institution financière demeure le vôtre. Si la banque fait faillite, elle doit donc tout de même vous rembourser. Avec cet avis, les juges tendront désormais à considérer qu'il en va de même pour les cryptoactifs. À ma connaissance, le Royaume-Uni est le seul pays au monde à avoir produit un tel document, ce qui représente un avantage important en matière d'attractivité », développe George Morris.
L'affaire FTX a récemment démontré les problèmes causés par le flou juridique sur cette question, nombre de personnes qui avaient placé leur argent sur la plateforme ayant aujourd'hui très peu de chances d'en revoir un jour la couleur.
Un marché de plus en plus régulé
Le marché des cryptomonnaies a beau connaître des temps difficiles, la mise en place de régulations visant à mieux l'encadrer et à permettre ainsi son essor s'accélère partout dans le monde. Dans l'Union européenne, le règlement MiCA doit entrer en vigueur en janvier 2024, même si face à l'affaire FTX, des voix, dont celle de la présidente de la BCE, Christine Lagarde, s'élèvent déjà pour demander un « MICA II » qui proposerait un niveau d'encadrement et de régulations accru par rapport à la version actuelle du texte.
Aux États-Unis, plusieurs propositions de loi sont également en compétition pour encadrer le marché. Avec un Congrès divisé entre républicains et démocrates, la mise en place d'un cadre législatif autour des cryptomonnaies pourrait bien constituer l'un des rares sujets bipartisans permettant à l'administration Biden de faire voter une loi significative lors des deux années qui lui restent avant les prochaines élections.
D'autres petits pays se sont également dotés de législations inspirantes, selon George Morris. « Abu Dhabi et Singapour ont tous deux adopté des législations s'inspirant des lois existantes autour de l'industrie financière, mais adaptées au fonctionnement spécifique du marché des cryptomonnaies. Des régulations pragmatiques qui font aujourd'hui figure de standards », note George Morris.
Si le marché a connu une année difficile, marquée par un décrochage du cours des principaux cryptoactifs, ainsi que par la chute du stable coin TerraUSD, puis celle, plus spectaculaire encore, de la plateforme FTX, les États semblent donc convaincus du potentiel à long terme de cette technologie et mettent les bouchées doubles pour réguler le marché et attirer les startups les plus prometteuses.
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