MiCA et TFR, ces deux règles européennes qui vont révolutionner les cryptoactifs

En passe d’être définitivement adoptés par le Parlement européen, les deux règlements visent à établir un cadre réglementaire précis et harmonisé à l’échelon européen pour permettre au marché des cryptomonnaies de prospérer. Tout en protégeant les utilisateurs contre les arnaques et en luttant contre les pratiques criminelles.
L'industrie des cryptoactifs réclame un cadre légal aux autorités pour régulariser son activité.
L'industrie des cryptoactifs réclame un cadre légal aux autorités pour régulariser son activité. (Crédits : DADO RUVIC)

Lundi 10 octobre, les députés de la commission économique du Parlement européen ont largement voté, à 28 voix contre une, l'adoption du règlement MiCA (pour Markets in Crypto-Asset). Le texte doit désormais être soumis à un vote final de l'ensemble des députés du Parlement européen dans le courant du mois. Les acteurs de l'industrie auront ensuite entre 12 et 18 mois pour s'y conformer (en fonction de leur situation). L'entrée en vigueur du texte aura donc lieu au plus tôt début 2024.

Ce texte, qui constitue la première tentative de régulation à grande échelle du marché des cryptomonnaies dans le monde, vise d'abord à harmoniser les différentes réglementations qui existent aujourd'hui au sein des pays de l'Union européenne.

Homogénéiser les régulations

Le texte crée ainsi le concept de prestataires de services sur cryptoactifs (Casp), inspiré de celui de prestataire de services sur actifs numériques (Psan), supervisé par l'AMF en France depuis la loi Pacte de 2019.

Les entreprises concernées par ce statut, dont les places de marché d'actifs numériques (comme Binance ou Crypto.com) et les créateurs de tokens, devront demander une licence auprès d'un État membre de leur choix, qui leur permettra ensuite d'opérer dans toute l'Union. Ce dispositif vise à mieux encadrer le marché et à protéger les consommateurs, mais aussi à simplifier l'existence des entreprises, qui font face à un véritable imbroglio législatif.

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« Aujourd'hui, si vous êtes une entreprise qui souhaite proposer une offre autour des cryptomonnaies en Europe, vous devez veiller à vous conformer aux lois en vigueur dans chaque pays, certains ayant des régulations assez souples, comme l'Italie et l'Espagne, d'autres draconiennes, comme l'Allemagne. Vous êtes donc contraint de vous battre sur plusieurs fronts. décrypte Émilien Bernard-Alzias, avocat associé au cabinet Simmons & Simmons.

« En outre, chaque fois que l'un de ces pays vous demande de modifier l'une de vos procédures ou une étape de votre parcours client, vous êtes contraint d'appliquer ce changement à tous les pays où vous opérez, puisque le principe du numérique est de proposer un parcours unique aux clients, où qu'ils se trouvent. C'est un vrai casse-tête pour les entreprises, que MiCA va permettre de résoudre », poursuit le spécialiste en réglementation des services financiers.

Des stablecoins mieux encadrés

L'autre grande ambition de MiCA est d'encadrer plus étroitement les stablecoins, ces cryptomonnaies qui sont adossées à une seule monnaie réelle (en l'occurrence, l'euro), à un panier de monnaies, à une ressource comme l'or ou le lithium, ou même à un indice boursier. Les entreprises qui souhaitent émettre un stablecoin vont ainsi devoir rédiger un livre blanc expliquant leur projet et démontrant sa solidité financière. Le niveau d'exigence des autorités européennes variera en fonction du type de stablecoins, les règles les plus strictes étant prévues pour les cryptomonnaies adossées à l'euro, que MiCA désigne sous le label electronic money tokens.

« Les entreprises souhaitant émettre ce type de stablecoins devront par exemple constituer des fonds propres beaucoup plus importants pour garantir leur solvabilité, voire être agréées en qualité d'établissement de crédit ou d'émetteur de monnaie électronique selon les circonstances. Ces tokens ayant vocation à remplacer la monnaie, ils ont en effet un potentiel déstabilisateur beaucoup plus important. Certains, comme Tether ou USDC, tous deux adossées au dollar, représentent des volumes d'échange de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Il est donc logique que la loi soit plus stricte à leur égard », note Émilien Bernard-Alzias.

MiCA n'encadre pas les stablecoins indexés sur une autre monnaie que l'euro. Selon l'avocat, en plus d'offrir une meilleure protection aux investisseurs, cet encadrement des stablecoins va également permettre aux autorités européennes de mieux contrôler les cryptomonnaies adossées à la monnaie unique européenne. « Aujourd'hui, quand vous effectuez une transaction en dollars, vous êtes immédiatement rattrapé par le caractère extraterritorial des lois américaines. Avec l'euro, à l'inverse, vous passez sous les radars. Il existe de nombreux stablecoins qui répliquent le cours de l'euro sans que personne ne s'en émeuve ni que la BCE ait son mot à dire. Désormais, il va devenir possible de contrôler plus étroitement les acteurs étrangers pour s'assurer qu'ils ne font pas n'importe quoi avec l'euro. »

Un danger pour la compétition ?

Le règlement MiCA attire aussi son lot de critiques, certains affirmant que l'on risque de tuer le marché dans l'œuf en le régulant trop tôt, d'autres, comme le député LaREM Pierre Person, jugeant le texte trop flou et insuffisant. En mars dernier, celui-ci nous confiait ainsi que l'Europe se tirait une balle dans le pied avec ce règlement. Mais pour Dimitrios Psarrakis, qui a travaillé comme spécialiste de la régulation de la finance et de la blockchain au Parlement européen, le texte va justement offrir à l'écosystème crypto européen de meilleures conditions pour se développer.

« La mise en place d'une loi sur les tokens et les services les entourant était nécessaire pour permettre au marché de prospérer. Les États-Unis, eux, ont décidé de repousser cette échéance, et se trouvent désormais dans une situation chaotique dont la FED, la SEC et le Trésor essaient de s'extirper », affirme-t-il.

Un constat que partage Émilien Bernard-Alzias. « Ça fait dix ans que le marché est libre, aujourd'hui ce que veulent les acteurs, ce sont des règles claires et de la stabilité, la certitude de pouvoir faire des affaires sans risquer d'être sanctionné par un régulateur zélé. Aux États-Unis, où il n'y a pour l'heure pas de réglementation claire, la SEC vient par exemple de dire aux fondateurs des Bored Apes Yacht Club que leurs NFT sont des instruments financiers et qu'ils doivent donc se conformer à la réglementation correspondante, ce qui les met dans une position très délicate. L'image que cela renvoie au marché, c'est que le régulateur américain peut vous tomber dessus à tout moment... À l'inverse, en Europe, on trace un cadre clair qui demande certes des efforts au début, mais vous offre ensuite un boulevard pour faire des affaires », analyse l'avocat.

MiCA peut-il faire des émules ?

Pour Dimitrios Psarrakis, la loi a ainsi toutes les chances de servir d'exemple dans le reste du monde. « Je pense que MiCA peut devenir une référence pour les grandes juridictions cherchant à réguler les cryptoactifs. Pas parce que c'est une régulation irréprochable, mais parce qu'elle est la première du genre. L'UE contribue ainsi à donner le ton quant à la façon dont les marchés devraient opérer. Je m'attends à ce que MiCA ait le même effet que le RGPD il y a quelques années. C'est ce qu'on appelle "l'effet Bruxelles" : le fait que l'UE impose automatiquement ces régulations à d'autres juridictions. »

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Une réalité dont les Américains sont du reste bien conscients. Cet été, l'ancien directeur de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC, qui régule le marché des dérivés), Chris Giancarlo, a ainsi souligné que son pays risquait de se faire distancer dans la régulation sur les cryptomonnaies s'il n'adoptait pas rapidement ses propres lois, l'approche promue par MiCA s'exportant alors de facto aux États-Unis.

TFR et la « travel rule »

MiCA n'est pas la seule loi qui vise à tisser un cadre légal clair pour le marché des cryptomonnaies. Le règlement TFR (Transfer of Funds Regulation), également en passe d'être adopté par le Parlement européen, a de son côté vocation à lutter contre l'usage des cryptomonnaies pour le blanchiment d'argent ou encore le financement du terrorisme. Il contraindra tout prestataire de paiement impliqué dans un transfert de cryptomonnaies à identifier le donneur d'ordre ainsi que le bénéficiaire, mais aussi à stopper la transaction si l'un des deux se trouve sur une liste de sanctions internationales.

C'est ce que l'on nomme la « travel rule », qui s'appliquera lorsqu'un utilisateur réalisera un transfert entre 2 Casp (prestataires de services sur cryptoactifs), et ce dès le premier euro. Elle ne s'applique en revanche pas aux échanges de pair à pair. Parmi les informations que les Casp devront transmettre, figurent notamment les noms et prénoms de l'utilisateur, le portefeuille de destination, ses numéros de compte sur les plateformes, son adresse postale, son numéro d'identité (carte d'identité ou passeport), ainsi que sa date et lieu de naissance. Cette loi devrait entrer en vigueur au même moment que MiCA.

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