Paiements en ligne : zone de turbulences pour le français HiPay

Les comptes 2019 de la fintech cotée HiPay n'ont pas été validés par les commissaires aux comptes en raison d'une faiblesse dans son environnement informatique. Les cabinets KPMG et Mazars ont également partagé leurs inquiétudes sur un potentiel manque de liquidités dans un rapport spécial d'alerte. Mauvais hasard du calendrier pour HiPay, ces doutes interviennent dans un climat d'inquiétudes à l'égard de l'ensemble du secteur des fintech après le scandale Wirecard.
Juliette Raynal
(Crédits : Fotolia)

(Article mis à jour le 13/07/2020 à 16h30, initialement publié le 10/07/2020 à 8h00).

L'entreprise allemande Wirecard, au coeur d'un gigantesque scandale financier, n'est pas la seule fintech à semer le doute chez les commissaires aux comptes. Il y a quelques semaines, avant même que l'affaire Wirecard n'éclate, les cabinets KPMG et Mazars ont refusé de certifier les comptes 2019 de la société francilienne HiPay Group SA, également spécialisée dans les paiements électroniques.

Mais les rapprochements avec Wirecard s'arrêtent là. HiPay n'est pas "le Wirecard français". La fintech tricolore n'est pas soupçonnée de fraude comptable ou de quelconque délit et les mouvements sur ses comptes de cantonnement hébergés chez BNP Paribas font l'objet d'un contrôle, hebdomadaire depuis la crise du coronavirus, de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR, rattachée à la Banque de France)

Rapport d'alerte

En revanche, dans un document public, accessible depuis le site internet de la société, les deux cabinets indiquent ne pas être en mesure de certifier les comptes consolidés de l'exercice 2019, en raison de "l'insuffisance des procédures de contrôle interne concernant l'enregistrement du chiffre d'affaires". Dans un rapport spécial d'alerte, publié quelques jours plus tard, KPMG et Mazars font ensuite référence à des faits "de nature à compromettre la continuité d'exploitation de [la] société". Autrement dit, HiPay Group SA n'est pas parvenue à démontrer pleinement, aux yeux de ses auditeurs, sa capacité à survivre au cours des douze prochains mois.

HiPay est une "vieille" fintech. Elle est née en juin 2015, lors d'un spin-off avec le groupe coté Himedia, qui s'est depuis concentré sur des activités de régie publicitaire. Lors de cette division, HiPay s'introduit sur Euronext pour une valorisation de 70 millions d'euros. Toutefois, via un jeu de redistribution d'actions entre les deux entités, l'opération ne permet pas à HiPay de lever des capitaux et de gonfler sa trésorerie. L'objectif consiste surtout à gagner en visibilité sur le marché et en agilité, explique à l'époque aux Echos Gabriel de Montessus, alors directeur général d'HiPay.

Une décision "néfaste"

A l'image de Wirecard en Allemagne ou d'Adyen aux Pays-Bas, HiPay (dont la taille est beaucoup plus petite - environ 35 millions de chiffre d'affaires en 2019 selon les comptes non certifiés - et dont l'activité est beaucoup moins internationalisée - 60% de l'activité est réalisée en France) propose aux e-commerçants une plateforme d'acceptation de paiement en ligne et des services d'analyse de données. Elle assure ainsi être capable de gérer 220 méthodes de paiement dans plus de 150 pays. HiPay, qui emploie environ 200 personnes, revendique 3.000 entreprises clientes. Elle s'est récemment recentrée sur des grands comptes, comme Speedburger, Nature et Découvertes, Aubert, Okaïdi, La Grande Récré, Ticketac.

"La décision de KPMG est néfaste et lourde de conséquences pour l'entreprise", consent Grégoire Bourdin, actuel directeur général d'HiPay, qui affirme privilégier une démarche de transparence, illustrée par la publication de nombreux documents, dont une série de questions posées par un actionnaire inquiet et les réponses détaillées et rassurantes apportées par l'entreprise.

Mauvais hasard du calendrier pour HiPay, les doutes émis par les commissaires aux comptes interviennent en plein scandale Wirecard. La fintech bavaroise a déposé le bilan le 25 juin dernier, une semaine après avoir reconnu que les 1,9 milliard d'euros manquants à son bilan n'existaient "probablement pas". Quelques jours avant, la société avait reporté, in extremis, la présentation de son bilan 2019, que son auditeur EY avait refusé de valider. Une chute vertigineuse qui a, de facto, instauré un climat de défiance à l'égard de l'ensemble du secteur, en hypercroissance, des fintech.

Lire aussi : Le scandale Wirecard va-t-il éclabousser le secteur, en plein boom, des fintech ?

Des risques dans l'environnement informatique

Que reprochent alors les commissaires aux comptes à HiPay ? Les critiques se sont d'abord concentrées sur le mécanisme de contrôle interne à l'enregistrement du chiffre d'affaires, qui doit avant tout reposer sur un environnement informatique sécurisé. Or, c'est là que le bât blesse.

"Huit développeurs informatiques ont, à la fois, accès à la plateforme de développement et à celle de mise en production. Pour les auditeurs, cela représente un risque car quelqu'un, de mal intentionné ou par erreur, pourrait passer [une application, ndlr] en production et en tirer un bénéfice quelconque", expose Grégoire Bourdin.

Inquiétudes sur le manque de liquidités

"C'est un risque qui existe", reconnaît-il, alors même que ces faiblesses avaient déjà été pointées du doigt lors des exercices 2017 et 2018. "Ces points rouges nous avaient déjà été indiqués mais à aucun moment ils [les auditeurs, ndlr] nous ont dit que s'ils n'étaient pas modifiés les comptes ne pourraient être certifiés", argue le dirigeant, tout en précisant que les contrôles applicatifs relatifs à la reconnaissance du chiffre d'affaires avaient, eux, été jugés satisfaisants.

"Le chiffre d'affaires annuel étant remis en cause, mécaniquement nos prévisions financières ont été considérées fausses", poursuit Grégoire Bourdin. Outre cet enchaînement logique, d'autres éléments sont venus accroître les craintes des auditeurs, qui pointent un possible manque de liquidités et s'interrogent sur la capacité de BJ Invest (Family office de l'entrepreneur toulousain Benjamin Jayet, principal actionnaire d'HiPay, avec 29,9% du capital, aux côtés d'Eximium avec 29,2% du capital), à subvenir aux besoins de trésorerie de la fintech.

Un financement coûteux

Déficitaire depuis sa naissance (5,7 millions d'euros de pertes déclarés en 2019), HiPay explique aujourd'hui ne pas pouvoir recourir au financement bancaire classique pour ses besoins de trésorerie. Contrairement à d'autres start-up non cotée du secteur, qui ont souvent recours aux augmentations de capital pour financer leur développement, HiPay ne peut, pas non plus, bénéficier d'un investissement en fonds propres supplémentaire de la part de ses deux principaux actionnaires (ces derniers détiendraient alors plus de 30% du capital, seuil au-delà duquel ils seraient dans l'obligation d'effectuer une OPA). La seule alternative serait l'arrivée d'un nouvel actionnaire. Ce qui n'est pas d'actualité.

HiPay a donc opté pour un financement par compte courant auprès de BJ Invest. Une méthode qui s'apparente à un prêt de trésorerie, mais qui se révèle très coûteuse. BJ Invest prête en moyenne à un taux de 8%.

"C'est cher, oui, mais nous n'avons pas le choix. C'est de cette manière que l'entreprise continue de payer les salaires", explique le dirigeant.

Le family office de l'entrepreneur toulousain a débloqué ce financement en deux tranches de 5 millions d'euros chacune. "Cela représente 8 millions d'euros de trésorerie", précise Grégoire Bourdin. Les deux autres millions restants étant dédiés au remboursement d'une dette. Sur cette enveloppe, il resterait environ 3 millions d'euros actionnables.

Craintes exacerbées par la crise et auditeurs prudents

Les relevés bancaires présentés par BJ Invest, qui n'a pas souhaité répondre à notre sollicitation, n'ont semblent-ils pas suffit à convaincre les commissaires aux comptes sur sa capacité à honorer ce financement. Selon Grégoire Bourdin, les craintes des auditeurs se seraient accentuer avec la crise du Covid. Enfin, à ces failles informatiques et incertitudes, s'ajoutent plusieurs procédures judiciaires en cours (un litige commercial lié à une mission menée en 2015 et un litige fiscal) dont l'issue reste incertaine.

La situation d'HiPay est-elle inquiétante ? Fait-elle l'objet de mesures de contrôle particulières ? Encourt-elle de possibles sanctions ? Ni les cabinets d'audit concernés, ni l'Autorité des marchés financiers, ni l'ACPR, contactés par la rédaction, n'ont souhaité commenter le cas d'HiPay. La fintech, elle, estime que les auditeurs font preuve d'une extrême prudence craignant les sanctions de leur propre régulateur, le Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C).

Les comptes des filiales en attente de certification

Grégoire Bourdin, lui, affirme "avoir confiance dans la survie de l'entreprise" et disposer de "suffisamment d'argent pour atteindre la rentabilité", visée dans un horizon à deux ans. HiPay, actuellement en discussions autour d'un prêt garanti par l'Etat, table sur une croissance comprise entre 0 et 20% en 2020, selon l'impact de la pandémie sur son activité.

Toutefois, la situation pourrait davantage se corser si la fintech ne parvenait pas à faire certifier, d'ici la fin du mois, les comptes de ses filiales française (HiPay SAS) et belge (HiPay ME SA), seules filiales contribuant au chiffre d'affaires consolidé du groupe.

"J'ai bon espoir, mais je ne peux pas dire que je suis confiant", déclare Grégoire Bourdin, qui estime que si les commissaires aux comptes "s'acharnent à ne pas vouloir exprimer une opinion" cela pourrait être "néfaste".

Pour l'heure, aucun client n'aurait encore résilié son contrat, mais plusieurs se sont déjà manifestés pour obtenir des renseignements. La non validation des comptes des filiales pourrait aussi agacer ses partenaires. Le 4 mai dernier, jour de la publication du rapport spécial d'alerte, le titre a décroché de près de 16% à 3,44%. Ce jeudi 9 juillet, il se situe à 3,68 euros, valorisant la fintech 18 millions d'euros, soit près de 4 fois moins qu'en 2015.

Juliette Raynal

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 11/07/2020 à 2:52
Signaler
Je dois avoir loupé un épisode. J’utilisais déjà Hipay en ligne en 2012. Comment pourrait-il n’être né qu’en 2015 ? Bizarre, bizarre. Je me rappelle, leur QG était alors à Bruxelles.

à écrit le 11/07/2020 à 2:34
Signaler
Autant que je sache, Hipay est plutôt belge. Pas français.

à écrit le 10/07/2020 à 9:48
Signaler
Si le manque de liquidités commence à impacter même les établissements financiers même seulement virtuels c'est signe que ça commence à générer un énorme problème.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.