Aéronautique : la crise est finie, le salon du Bourget s'ouvre en pleine croissance

Après quatre ans d'absence, le grand retour du salon du Bourget s'annonce phénoménal. Il est d'ores et déjà acquis que les visiteurs seront au rendez-vous. Il faut dire que le secteur connaît, malgré les critiques et les vents contraires, un dynamisme inespéré il y a encore un an. De quoi anticiper quelques belles annonces de commandes - même si certaines sont déjà connues. Pour autant, les succès commerciaux ne devront pas faire oublier les enjeux de décarbonation et de remontée des cadences de production qui seront au cœur du salon.
Léo Barnier
Le salon du Bourget s'apprête à ouvrir ses portes après quatre ans d'absence.

Une fois n'est pas coutume, l'aviation est au centre de l'actualité. Alors que la fin de semaine a été marquée par le Paris Air Forum et les annonces d'Emmanuel Macron sur la filière des carburants aériens durables (SAF) et l'avion bas-carbone, le salon du Bourget ouvre ses portes ce lundi. Malgré quatre ans d'absence dus à la crise du Covid, il est désormais acquis qu'il ne s'agit plus d'un salon de reprise mais bien d'un salon de croissance. Cette 54e édition devrait d'ailleurs battre des records d'affluence avec pas moins de 320.000 visiteurs professionnels et grand public attendus sur une semaine.

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Une formidable demande d'avions

La raison est simple : tous les indicateurs de croissance du transport aérien sont au vert. Sur les premiers mois de l'année, l'Association internationale du transport aérien (IATA) indique que le trafic continue de progresser fortement. En avril, l'activité globale est revenue à plus de 90 % de son niveau d'avant la pandémie. Sur le trafic domestique uniquement, le palier est déjà franchi. Sur l'international, l'Amérique du Nord est également revenue au niveau de 2019 et toutes les autres régions du monde sont en train de rattraper leur retard. Et cela devrait se traduire sur le plan financier. Lors de son assemblée générale, l'IATA a multiplié par trois ses prévisions financières pour l'année en cours : les compagnies aériennes devraient engranger près de 10 milliards de dollars de profits cumulés en 2023.

Et d'aucuns pensent que cela va continuer. Lors du Paris Air Forum, Willie Walsh, le directeur général de l'IATA, a déclaré : « De 2010 à 2019, l'industrie a connu une croissance annuelle de 6,5%. C'est à mon sens le chiffre minimum auquel on peut s'attendre pour les dix prochaines années ». Christian Scherer, directeur commercial d'Airbus, voit même au-delà : « La vraie question c'est : est-ce qu'il y a une limite à la croissance du secteur ? Nous faisons face à une demande énorme de la part de la société civile, à la fois pour les loisirs et les affaires. Nous avions prévu qu'il faudrait 40.000 nouveaux avions pour les vingt prochaines années ». Et Boeing fait état du même ordre de grandeur dans ses prévisions.

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Outre la hausse continue de la demande, les impératifs de la transition écologique - mais aussi les potentiels gains économiques - encouragent fortement les compagnies à renouveler leurs flottes actuelles pour des appareils de nouvelle génération offrant des réductions significatives de consommation de carburant et donc d'émissions de CO2. « Sur les 24.000 appareils qui volent, il y en a seulement 20 à 25 % d'avions modernes, qui consomment 20% de moins et qui sont certifiés pour incorporer jusqu'à 50% de carburants d'aviation durables (SAF) aujourd'hui », a expliqué Guillaume Faury, président exécutif d'Airbus au Paris Air Forum. La décarbonation a d'ailleurs été érigée comme l'un des axes majeurs de ce 54e salon du Bourget. Les annonces d'Emmanuel Macron, avec des investissements publics dans les SAF et dans la recherche technologique vont dans ce sens.

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Les avions de 2030 voleront encore en 2050

Cette flotte de demain sera la conséquence des commandes d'avions d'aujourd'hui. Et plusieurs compagnies ont déjà pris les devants. Les méga-commandes se sont multipliées ces derniers mois (même si la plupart ne sont pas encore inscrites formellement dans le carnet de commandes) : fin 2022, United a acheté 100 Boeing 787 (plus 100 en option), en février, Air India a opté pour 250 Airbus et 220 Boeing, en mars l'Arabie saoudite a choisi le 787 pour ses compagnies Saudia et Riyadh Air avec 78 appareils fermes assortis de 43 options, en mai Ryanair s'est enfin engagée pour 150 exemplaires fermes de 737 MAX 10 et autant en option.

D'autres groupes ont déjà annoncé leurs intentions : Turkish Airlines négocie avec Airbus et Boeing pour l'achat de 400 appareils monocouloirs de type 737 MAX et A320neo, ainsi que 200 long-courriers. Sur ce segment, le groupe turc veut principalement des Boeing 787 ou des Airbus A350, mais désire également 25 à 30 très gros porteurs de la gamme du 777X ou de l'A350-1000. La compagnie indienne IndiGo, dirigée par l'ancien patron de KLM, Pieter Elbers, négocie avec Airbus l'achat de 500 monocouloirs de la famille A320 NEO, et 25 long-courriers 787 ou A350.

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Riyadh Air veut également acquérir une flotte de moyen-courriers, qui pourrait se situer entre 150 et 175 appareils. « Je ne donnerai pas de chiffres précis, mais il s'agira d'une commande importante », avait indiqué Tony Douglas, directeur général de la compagnie, à La Tribune début juin. Il espère ainsi la conclure dès cette année. La low-cost turque Pegasus Airlines, en pleine croissance, devrait aussi bouger rapidement pour pouvoir profiter de l'agrandissement en cours de l'aéroport d'Istanbul. Enfin Delta Air Lines doit remplacer sa soixantaine de Boeing 767 encore en flotte, probablement par des Airbus A330 ou des A350.

Dans une présentation il y a quelques jours, le cabinet AlixPartners insistait sur l'importance pour les compagnies, au vu des perspectives de croissance de la demande, de sécuriser des positions dans les carnets de commandes pour des livraisons qui s'étaleront jusque dans les années 2030. Quitte à basculer une partie de ces commandes vers les futures générations d'appareils qui arriveront à l'horizon 2035.

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Vers des commandes massives au Bourget ?

Quoi de mieux que le salon du Bourget pour annoncer des commandes ? Sur ce point les avis sont partagés. Certains pensent que l'on va retrouver les effets d'annonces observés dans le passé, avec des contrats restés secrets jusqu'au salon. C'est le cas notamment du cabinet AlixPartners qui s'attend à un grand nombre d'annonces. Si Air India, Riyadh Air ou Ryanair venaient à confirmer leurs contrats au Bourget, les chiffres grimperaient tout de suite très rapidement. Pour autant, ces commandes sont déjà connues. De même pour Indigo : même si aucun accord n'a été annoncé jusqu'ici, l'ordre de grandeur de cette future commande d'A320 NEO n'a plus rien de secret. Mais la barre des 1.000 appareils vendus serait largement franchie.

De véritables nouvelles commandes devraient tout de même tomber à en croire un analyste. Ce pourrait être notamment le cas chez Air France-KLM. Interrogé au Paris Air Forum, Benjamin Smith, directeur général du groupe, a répondu qu'il envisageait d'acheter de nouveaux modèles long-courriers. Sans donner de chiffres précis ni rien annoncer de définitif, il affirmé qu'il regardait du côté de l'A350-1000, ainsi que des Boeing 777X et 787-9. Sans rivaliser avec les chiffres astronomiques des compagnies indiennes ou turques, certains s'attendent à une annonce sur le salon. Avec la nouvelle stratégie intégrée du groupe, les appareils ne seraient pas forcément affectés à Air France ou KLM pour le moment, mais les deux compagnies vont avoir besoin de nouvelles capacités : la compagnie néerlandaise est sans doute la plus demandeuse pour faire face aux restrictions sur l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol, tandis que la compagnie française se doit de réfléchir activement au remplacement de ses premiers 777-300ER qui atteignent les 20 ans de service.

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Les salons ne sont plus forcément le point d'orgue d'antan

D'autres sont plus mesurés. Comme l'a rappelé Guillaume Faury : « Cela fait quatre ans que nous n'avons pas eu de salon du Bourget. Tout le monde va regarder les grandes commandes. Mais l'habitude de tout concentrer au moment des salons a été un peu perdue. Donc je ne suis pas sûr que nous ayons exactement la même dynamique qu'avant le Covid. » Un point de vue partagé par certains connaisseurs en amont du salon.

De fait, Ahmet Bolat, le président du conseil d'administration et du comité exécutif de Turkish Airlines, a d'ores et déjà annoncé que sa commande ne serait pas finalisée au Bourget mais plus tard lors d'un événement à Istanbul. Et Tony Douglas a confié à La Tribune que la commande de monocouloirs de Riyadh Air arriverait également plus tard dans l'année.

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Prudent, Airbus n'entend néanmoins pas gâcher l'ambiance. Toujours au Paris Air Forum, Guillaume Faury a déclaré : « Nous voyons quand même qu'il y a des grandes commandes qui se préparent et que les négociations s'accélèrent, se tendent dans les semaines et les jours qui précèdent le début du salon. Nous avons à nouveau cette adrénaline des commandes pour le salon. »

Fin stratège, Christian Scherer, directeur commercial d'Airbus, a profité d'une rencontre avec la presse pour annoncer que l'avionneur venait de conclure la vente de 60 appareils de la famille A320 NEO avec un loueur, ainsi que de 10 A350 avec une compagnie majeure. Le nom des clients ne sera pas dévoilé pour le moment, mais les commandes seront bien inscrites dans le carnet de commandes de juin. De quoi parer à d'éventuelles désillusions. Il faut dire que le salon du Bourget reste un moment charnière pour Airbus, qui joue à domicile. D'autant qu'il n'a engrangé que 178 commandes brutes au cours des cinq premiers mois de l'année, contre 223 pour Boeing (dont 15 appareils qui seront convertis en ravitailleurs militaires).

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Dans tout ça, il faut produire

Commandés au Bourget ou non, l'enjeu de ces prochaines années sera d'arriver à produire cette formidable quantité d'appareils. « Offrir des capacités suffisantes pour soutenir cette croissance va représenter un vrai défi », a ainsi concédé Willie Walsh au Paris Air Forum. C'est d'autant plus sensible que la supply chain souffre toujours depuis la crise et cela perturbe la capacité des avionneurs et des motoristes à remonter en cadence. Alors qu'Airbus se projette depuis plusieurs années déjà vers des niveaux de production inédits, désormais repoussés à 2026, il peine pour l'instant à retrouver ses capacités d'avant la pandémie.

Malgré des améliorations, les tensions devraient se prolonger jusqu'en 2025 ou 2026. La supply chain peine en premier lieu à retrouver des bras et des cerveaux, après avoir perdu de nombreux salariés expérimentés avec les départs massifs pendant la pandémie. La pyramide des âges dans l'industrie, notamment aux Etats-Unis, pourrait conduire à de nombreux départs à la retraite dans les dix ans à venir. Le recrutement est ainsi considéré comme une priorité absolue pour ce salon du Bourget, aux côtés de la décarbonation déjà citée.

Léo Barnier

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Commentaires 5
à écrit le 19/06/2023 à 19:46
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A l'heure du surtourisme, est ce bien raisonnable ? A l'heure où la planète brûle, est ce bien raisonnable? L'avion au service du tourisme de masse, est ce bien raisonnable? Je ne crois pas.

à écrit le 19/06/2023 à 13:07
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Pendant ce temps : Des milliers d’élèves mis au vert pour échapper au déluge de décibels des avions à Dugny en Seine-Saint-Denis, les 1600 écoliers de la commune partent en sorties scolaires pour échapper au bruit insoutenable des démonstrations a...

à écrit le 19/06/2023 à 12:35
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Excellente nouvelle pour les passionnés de voyage comme moi depuis plus de 50ans. Une augmentation importantes des prix sera une excellente chose pour lutter contre le tourisme de masse.

à écrit le 19/06/2023 à 9:46
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On désigne cela comme une "crise" pour ne pas avoir a se remettre en question, nous vivons dans un monde d'héritage en tout genre et il n'est point adapté au changement de paradigme !

le 19/06/2023 à 11:08
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Petit espoir les jeunes générations en sont conscientes qui refusent en autre le model d'organisation de l'entreprise , plus globalement du monde du travail que nous connaissons depuis des décennies mais rares sont ceux qui sont aux commandes qui acc...

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