Le résultat est sévère. Alors que la France et l'Allemagne vont fêter ce dimanche les 60 ans du Traité de l'Élysée et tenir leur 23e conseil ministériel, la coopération dans le domaine de la défense est désormais passée en mode mineur. Les deux pays n'ont plus vraiment grand chose à partager en dépit de l'accord obtenu laborieusement entre Dassault Aviation et Airbus, qui a permis de lancer la phase 1B du programme SCAF, le Système de combat aérien du futur développé par l'Allemagne, l'Espagne et la France. « C'est un développement majeur, et c'est évidemment extrêmement positif », estime-t-on toutefois à l'Élysée. C'est vrai mais cela ne rend pas encore le lancement définitif de ce programme majeur sûr à 100%.
Sur le MGCS (char du futur), le deuxième grand programme en coopération entre les deux pays, Berlin patauge depuis de longs mois dans un imbroglio industriel allemand, entre Krauss-Maffei Wegmann et Rheinmetall. Pour autant, les Allemands restent confiants sur la signature d'un accord sur la prochaine étape de ce programme, qui englobe également le français Nexter. Tout semble encore possible malgré les difficultés de ce programme. Reste enfin le drone MALE, seul programme véritablement lancé et qui avait été décidé parmi d'autres lors du conseil ministériel franco-allemand de juillet 2017. Mais il ne convainc pas vraiment, notamment en France, en raison de ses spécifications.
L'Allemagne joue avec les nerfs de la France
En dépit de ces quelques avancées mitigées et fragiles, on est loin, très loin de l'esprit ambitieux du conseil ministériel franco-allemand de juillet 2017 quand Angela Merkel et Emmanuel Macron avaient scellé une coopération d'envergure dans le domaine de la défense entre les deux pays. Surement parce que les deux pays ont des intérêts nationaux divergents. Résultat, au fil des ans, Berlin a détricoté cette coopération en abandonnant sans aucun état d'âme plusieurs programmes communs lancés : missile tactique air-sol (2018), système de patrouille maritime (2021), modernisation de l'hélicoptère Tigre (2022). « Les Allemands ont fait l'annonce il y a quelque temps de l'achat de Boeing P-8 américains pour assurer la fonction de patrouille maritime », constate-t-on à l'Élysée.
Sans oublier qu'en novembre 2017, quelques mois seulement après le sommet franco-allemand de l'Élysée en juillet 2017, l'Allemagne se joue de la France en déchirant les accords de Schwerin. Berlin passe en décembre 2017 une commande de 400 millions d'euros au à l'allemand OHB Systems pour la réalisation de deux satellites d'observation optique. En complète contradiction avec les accords de Schwerin, « Yalta de l'observation spatiale » entre les deux pays qui avait partagé l'optique pour la France et le radar pour l'Allemagne.
Enfin, le bouclier antimissile allemand (European Skyshield Initiative), dont l'idée a été lancée fin août 2022 par le chancelier Scholz à Prague, a tendu à la fin de l'été les relations entre la France et l'Allemagne. Il semblerait qu'actuellement, le point de vue de la France commence à être enfin entendu à Berlin. « C'est un sujet qui est très sensible et très stratégique », reconnaît-on à l'Élysée. Mais au-delà de ce volet stratégique, la France ne fait pas mystère que l'Europe doit privilégier « son autonomie stratégique, donc son autonomie aussi dans ses achats d'équipements, avec un souhait de préférence européenne ». A l'Élysée, on estime toutefois avoir sur ce sujet une « discussion apaisée » avec les Allemands.
Exportations, un point de vigilance pour Paris
Par ailleurs, Paris surveille comme le lait sur le feu la loi allemande en préparation sur le contrôle des exportations, qui pourrait durcir les conditions de ventes à l'export des programmes allemands mais aussi des programmes en coopération. Les débats sont vifs en Allemagne entre un courant qui exige un durcissement des contrôles export et un courant plus pragmatique, qui semble majoritaire. Mais pour l'heure, le débat n'est pas tranché et le risque reste sérieux. « On a depuis longtemps une logique entre la France et l'Allemagne qui est qu'il y a une présomption d'exportabilité des équipements développés en commun, explique-t-on à l'Élysée. C'était le principe qui était dans l'accord Debré-Schmidt, qui a ensuite été complété par un autre accord qu'on a appelé de minimis concernant les équipements dans lesquels l'une des deux parties n'avait qu'une toute petite contribution pour éviter que, sur la base d'un boulon, on bloque l'exportation de l'équipement de l'autre ».
Cet accord a été complété en 2019 par un troisième accord entre la France, l'Allemagne et l'Espagne, qui porte spécifiquement sur le SCAF. Cet accord rappelle que pour « les équipements en commun, construits en commun, il y a une liberté d'exportation sauf vraiment des circonstances exceptionnelles qui engagent l'international »,a-t-on affirmé à l'Élysée.
De nouveaux partenaires plus fiables ?
En dépit des trahisons de Berlin, Emmanuel Macron a renouvelé sa confiance dans cette relation lors de ses vœux adressés aux armées vendredi en demandant de continuer à « approfondir des partenariats structurants, comme ceux que nous avons avec l'Allemagne ». Mais est-ce le début d'une nouvelle ère ? Berlin va-t-il devenir pour Paris un partenaire comme un autre, et non plus le partenaire privilégié envers et contre tout ? Ce qui est déjà le cas de la France pour l'Allemagne, qui privilégie sa relation avec les États-Unis et le multilatéralisme en Europe. Emmanuel Macron va d'ailleurs rencontrer dans les prochaines semaines le Premier ministre britannique Rishi Sunak lors du prochain sommet bilatéral entre la France et la Grande-Bretagne. Paris a également déjà signé avec l'Italie (Traité du Quirinal) et l'Espagne de nouveaux traités de coopération.
« Il y a de nombreux pays avec lesquels nous avons, ces derniers temps, resserré les liens, constatant que nous avions des intérêts partagés, fait-on observer à l'Élysée. On pense évidemment à l'Inde, on pense aux Émirats arabes unis, mais aussi des pays européens : la Grèce, l'Italie et l'Espagne. Mais on pourrait bien sûr aussi décliner les relations toutes particulières que l'on a avec le Royaume-Uni et avec l'Allemagne, qui sont à amplifier et intensifier ».
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