Exportations, les armes de la discorde entre Paris et Berlin

Avec l’embargo allemand sur les exportations d’armes vers plusieurs pays, les industriels européens de l’armement sont à cran. Prêts à exploser ?
Michel Cabirol
(Crédits : MBDA)

Entre la France et l'Allemagne, il y a un problème. Et un gros, qui est en outre très difficile à résoudre rapidement et sans entraver la souveraineté des deux pays : le dossier des exportations d'armements. Car Paris et Berlin ont décidé de se lancer dans deux très grands programmes majeurs en coopération - le SCAF (Système de combat aérien du futur) et MGCS (Main ground combat system) - qui ont vocation à être exportés, y compris dans les pays du Golfe. "Tout le monde sait que ce n'est pas possible de s'engager dans des programmes aussi importants et ambitieux si c'est pour la seule satisfaction de nos armées nationales", a répondu à La Tribune la ministre des Armées, Florence Parly, lors d'une visite du site de Safran à Gennevilliers. Soit mais à ses côtés, son homologue Ursula von der Leyen est restée mutique. Ce sujet "mérite d'être clarifié", a pourtant souligné à La Tribune le député LREM, Thomas Gassilloud, également rapporteur du budget de l'armée de Terre.

Depuis plusieurs années, l'Allemagne bloque de temps en temps au gré des humeurs des coalitions au pouvoir, des licences d'exportation de composants civils et militaires faisant partie de programmes franco-allemands à destination de certains pays du Golfe. Notamment vers l'Arabie Saoudite. Mais depuis l'affaire du journaliste Jamal Khashoggi assassiné dans un consulat saoudien en Turquie par des officiels du Royaume wahhabite, l'Allemagne a passé un nouveau cap. Elle a décidé d'arrêter de manière unilatérale et sans consultation les exportations d'armements vers l'Arabie Saoudite... tout en continuant pourtant à livrer les armes déjà achetées par Ryad. Et ce contrairement à la France qui a décidé de poursuivre son commerce avec l'Arabie Saoudite. "C'est de la pure démagogie de dire "il faut arrêter de vendre des armes", ça n'a rien à voir avec l'affaire Khashoggi", avait expliqué Emmanuel Macron, taclant ainsi la décision d'Angela Merkel. Une position courageuse qui a beaucoup fait couler d'encre. Au final, la France et l'Allemagne n'ont aujourd'hui pas la même vision sur ce dossier éminemment politique.

Un embargo efficace... en France et en Grande-Bretagne

La décision de Berlin de bloquer les exportations a déjà des conséquences très concrètes en Grande-Bretagne et en France. Ainsi, l'administration allemande n'a pas été autorisée à accorder des licences d'exportation de matériels allemands intégrés sur le missile Meteor : système de propulsion (Bayern Chemie), charge militaire (TDW), système de mesures inertielles (Northrop Grumman LITEF). Pourtant Londres doit livrer des missiles air-air longue portée Meteor conçu par MBDA pour équiper les avions de combat Typhoon de l'Arabie Saoudite. Un missile qui offre des performances largement supérieures à ce qui se fait actuellement sur le marché. Le missilier, qui a dans sa gamme plusieurs programmes en coopération européenne, n'est pas le seul groupe à pâtir de l'embargo allemand.

Habituellement discrets sur ce type de problématique, les langues pourtant se délient dans l'industrie de défense. Ainsi, le groupe français Arquus (ex-Renault Trucks Defense) est également contraint de jongler avec les aléas de la politique allemande. Le constructeur de blindés légers rencontre aujourd'hui des difficultés à l'exportation dans certains pays en raison des réticences de l'Allemagne à autoriser des exportations de composants civils en vue d'être militarisés vers l'Arabie Saoudite et l'Egypte. Et selon le PDG d'Arquus Emmanuel Levacher, cette liste rouge s'est même allongée, les autorités allemandes ayant rajouté l'Indonésie et l'Inde. Enfin, selon nos informations, la PME spécialisée dans la fabrication de véhicules de transport lourd capables de tracter jusqu'à 15.000 tonnes, Nicolas Industrie, est aujourd'hui au bord du gouffre. Pourquoi ? En tant que sous-traitant de Rheinmetall, elle ne peut pas livrer une commande très importante à l'Arabie Saoudite.

Le double jeu de l'Allemagne ?

L'Allemagne n'est pas aussi vertueuse qu'il n'y parait. Des groupes allemands, notamment Rheinmetall, contournent l'embargo. Ainsi l'usine de munitions d'Al-Kharj en Arabie Saoudite, construite par Rheinmetall via sa filiale sud-africaine, Rheinmetall Denel Munition continue de produire des munitions. Inaugurée en mars 2016 par le président sud-africain Jacob Zuma et le prince héritier saoudien Mohamed bin Salman, cette usine est spécialisée dans la fabrication d'obus et de bombes aéroportées pesant jusqu'à 2 000 livres. Elle a la capacité de produire 300 obus d'artillerie et 600 obus de mortier par jour. Selon le magazine Stern et le magazine-télé Report München, Rheinmetall continue à livrer des armements à Ryad par l'intermédiaire de ses filiales étrangères situées en Italie et en Afrique du Sud malgré l'interdiction explicite du gouvernement allemand.

Au-delà de ces péripéties, le péché originel entre la France et l'Allemagne vient de l'accord Debré-Schmidt, signé les 7 décembre 1971 et 7 février 1972 par les ministres de la Défense d'alors, Helmut Schmidt et Michel Debré. Cet accord, qui n'a jamais été ratifié, n'a été applicable qu'en tant qu'accord intergouvernemental. Son véritable statut est celui d'une déclaration commune sur une politique. Ni en France, ni en Allemagne, il ne fait partie du droit positif. L'Allemagne ayant modifié sa politique en matière d'exportation, l'accord Debré-Schmidt est devenu caduc. D'où l'idée aujourd'hui de travailler sur un accord Debré-Schmidt 2.0 dans le cadre du nouveau traité franco-allemand.

Pour Thomas Gassilloud, ce nouvel accord Traité Debré/Schmidt 2.0 viserait "à clarifier les conditions d'export entre les deux pays, avec potentiellement un organe consultatif de gouvernance commun. Cet organisme pourrait émettre des avis sur les licences d'exportation à accorder ou pas". Et Florence Parly se montre optimiste en estimant que « nous allons nécessairement trouver des solutions dont nous avons besoin ». Selon le Spiegel, la France et l'Allemagne auraient signé un "accord secret" dans lequel les deux pays ne s'opposeraient "à aucun transfert, ni exportation vers des pays tiers". En attendant une confirmation, les industriels français, à l'image d'Arquus, travaillent sur des solutions "German Free", c'est-à-dire en développant des matériels sans équipements allemands... d'autant que le SPD et les Verts ont clairement affiché leur volonté d'imposer à la France une politique restrictive en matière d'exportation. Mais est-ce bien raisonnable ?

Michel Cabirol

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 7
à écrit le 19/02/2019 à 14:37
Signaler
La France est en train de se faire bouffer par les allemands , ... le pire est que cela est a sa propre demande

à écrit le 19/02/2019 à 10:36
Signaler
Les motivations allemandes apparaissent au grand jour ( c est rare car ils sont très habiles). Si vous ne défendez pas mes autos contre Trump, je bloque vos ventes d' armes. C' est désolant, a ce jeu la, ils sont sur de perdre, plus de soutien euro...

à écrit le 18/02/2019 à 18:01
Signaler
Les Allemands jouent leur propre jeu ; les Américains, les Anglais, etc ...aussi . Nous , nous avons un gouvernement perclus d'idéologie : à bas l'état français, vive la mondialisation, la "libre concurrence" : SIC ! On brade notre pays , au nom d...

à écrit le 18/02/2019 à 17:35
Signaler
BERLIN, n'est pas digne DU TOUT de confiance : ils veulent prendre à la FR son avance, et son rang de 3ème export mondial, d'armement.

à écrit le 18/02/2019 à 16:56
Signaler
Ce n'est pas scandaleux de réfléchir avant de vendre tout à n'importe qui.

à écrit le 18/02/2019 à 11:15
Signaler
Chacun doit combattre à son niveau le Traité d’Aix-la-Chapelle qui est un véritable acte de soumission (industriel, militaire et diplomatique) de la France sans aucune contrepartie. Même si cela est difficile nous pouvons faire sans l'Allemagne en r...

à écrit le 18/02/2019 à 10:26
Signaler
Pas de problème avec nos dirigeants LREM pro-germanique tout va bien se passer... pour les allemands.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.