ONERA : la menace d'un déclassement face au DLR allemand

La montée en puissance du DLR allemand met en péril le leadership européen de l'ONERA dans la recherche aérospatiale au moment où le programme franco-allemand sur le Système de combat aérien du futur (SCAF) décolle. L’état doit préserver cette pépite stratégique.
Michel Cabirol
"Si l'ONERA coopère très largement avec son homologue allemand, le DLR, sa montée en puissance est susceptible de constituer une indéniable menace pour l'indépendance et la pérennité des savoir-faire français" dans le domaine aérospatial, assure Dominique de Legge.

Un de plus... L'avenir de l'ONERA fait l'objet d'un nouveau rapport parlementaire alarmant. En dépit des promesses des pouvoirs publics et des industriels, les constats que fait le rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat sur la mission Défense, Dominique de Legge, sont encore sans appel : l'organisme de recherche de référence dans le domaine de l'aérospatial civil et militaire reste sous-utilisé par rapport à ses compétences et son expertise, et surtout très sous-doté par le ministère des Armées. Le coup de gueule du Sénat en décembre en faveur de l'ONERA n'était pas qu'un simple mouvement d'humeur passager. Le Sénat ne lâche pas l'affaire.

Et ce nouveau rapport tombe vraiment à pic. Car l'ONERA doit faire face à de nouvelles menaces qui pourraient se révéler existentielles dans certains domaines de recherche (aérodynamique, propulsion, furtivité, etc...) au moment où le Système de combat aérien du futur (SCAF) décolle mais sans l'expertise de l'organisme de recherche français. "Si l'ONERA coopère très largement avec son homologue allemand, le DLR, sa montée en puissance est susceptible de constituer une indéniable menace pour l'indépendance et la pérennité des savoir-faire français" dans le domaine aérospatial, assure Dominique de Legge.

SCAF : le DLR déjà à bord, l'ONERA en salle d'attente

La forte montée en puissance du DLR dans le domaine aéronautique est "susceptible de remettre en cause son leadership en Europe dans certains domaines", estime le rapport du Sénat. C'est déjà le cas dans le cadre du programme franco-allemand SCAF. Selon le rapport, le DLR "semble déjà être assuré d'un budget national pour sa contribution au SCAF, via le BDLI (équivalent allemand du GIFAS), ce qui n'est pas encore le cas pour l'ONERA". Dans la première phase du projet (dite 1A), dont la durée est de 18 mois, le DLR fournit ainsi une expertise au ministère de la défense allemand. Pour Dominique de Legge, l'absence de l'ONERA dans les travaux préliminaire du SCAF constitue "une menace pour l'équilibre des relations franco-allemande en matière d'industrie de défense".

"L'ONERA constitue le gardien d'un ensemble de moyens et de savoir-faire stratégiques nationaux, explique le rapport. Si sa participation au SCAF n'était pas suffisante, la perte définitive de savoir-faire pour l'ONERA constituerait un risque majeur. La durée d'aboutissement de ce projet, de plus 20 ans, conjugué à sa rareté, rendrait irréversible cette perte de compétence et d'autonomie de la France dans de nombreux domaines (aérodynamique, propulsion, furtivité, etc...)

Et pourtant, rappelle Dominique de Legge, "malgré les efforts budgétaires faits par les pouvoirs publics allemands, le DLR ne maîtrise pas aujourd'hui l'ensemble du spectre de compétences nécessaire à la conception du futur avion de chasse européen, le système de combat aérien du futur (SCAF)". Contrairement à l'ONERA. Dans ce contexte, "la logique du juste retour, couplé à la puissance financière du DLR pourraient nuire à la place que l'ONERA occupera dans ce projet et au maintien des compétences françaises dans ce domaine stratégique", fait observer le rapporteur spécial. Il recommande donc à l'État français de "donner à l'ONERA des garanties et des précisions rapides sur sa participation à la mise au point du démonstrateur du SCAF". Le ministère des Armées est en train de lui faire une place. Mais laquelle ? Mystère pour le moment.

À cet égard, le SCAF, est "un révélateur majeur du risque que fait courir le délaissement de l'ONERA pour les compétences stratégiques françaises", constate le rapport. D'autant que les travaux préparatoires en cours (phase 1A) initient à compter de cette année le lancement progressif du développement d'un programme de démonstrations technologiques visant à apporter des ruptures capacitaires dans le domaine de l'aviation de combat. Pour la seconde phase (1B) avec le développement d'un démonstrateur, l'ONERA ne dispose encore "d'aucune visibilité sur les modalités de sa participation". Ses domaines d'excellence, notamment liés à ses grandes souffleries, le rendent en principe incontournable pour la réalisation des études amont en aérodynamique.

"La coopération franco-allemande doit s'appuyer sur les compétences françaises et protéger la propriété intellectuelle dans les domaines stratégiques pour l'indépendance nationale, pour des raisons tant économiques que d'indépendance nationale", souligne le rapporteur spécial de la commission des finances.

Le DLR monte en puissance, l'ONERA reste en jachère

Quand la France laisse en jachère l'ONERA, l'Allemagne met quant à elle en œuvre depuis cinq ans "une stratégie de développement particulièrement offensive" en faveur du DLR : le budget dédié à l'aéronautique a augmenté de près de 30 % depuis 2015 (276,3 millions en 2019 sur un budget total de 1,035 milliard) alors que celui de l'ONERA est resté stable (237 millions au total en 2019). Le DLR, qui bénéficie notamment d'un soutien important et pérenne des Länder, a engrangé 202 millions d'euros de soutiens financiers publics pour la partie aéronautique (contre 104,7 millions au total pour l'ONERA).

"La comparaison avec l'Allemagne permet de confirmer le caractère insuffisant du soutien financier direct de l'État à l'ONERA", constate Dominique de Legge. En décembre 2019, le PDG de l'ONERA Bruno Sainjon avait expliqué lors de son audition au Sénat que c'était "effectivement de plus en plus compliqué de se maintenir au niveau de cet organisme (DLR, ndlr)". Avec une subvention de 105 millions d'euros, "cela va être compliqué de lutter à armes égales", avait-il ajouté. "Le DLR dispose, à l'heure actuelle, d'un historique, de ressources en matière de savoir-faire aéronautique bien moindres que ceux de l'ONERA", note le rapport. Mais jusqu'à quand ?

"Le moindre soutien de l'ONERA par rapport au DLR est susceptible d'inverser, à terme, cette situation et apparaît comme une réelle erreur stratégique susceptible de compromettre un avantage comparatif majeur de la France", estime le rapport du Sénat.

En outre, le développement du DLR, qui est autant un partenaire qu'un concurrent pour l'ONERA, fait "courir le risque de fuite des compétences au profit de l'Allemagne, dans des secteurs d'importance majeure pour l'indépendance de la France, sur lesquels elle est pourtant reconnue comme la meilleure en Europe, grâce à l'ONERA, comme l'aviation de combat", estime le rapporteur spécial. Et d'asséner que "la coopération européenne en matière de défense ne doit pas consister à transférer les technologies industrielles stratégiques à l'Allemagne tout en laissant à la France le soin de faire la guerre".

Que fait l'État pour soutenir l'ONERA

Face à constat accablant, l'ONERA lutte avec panache pour réussir sa stratégie d'augmentation des ressources contractuelles. Elle pourrait notamment passer par une hausse du prix de ses prestations. L'ONERA considère qu'il est envisageable d'étudier une telle hausse. C'est ce que recommande d'ailleurs Dominique de Legge. En outre, l'État a royalement augmenté sa subvention de 5 millions, qui va atteindre 110 millions d'euros. Cette hausse permettra de moderniser les souffleries uniques en Europe. Cette décision ne fait toutefois que ramener la subvention à son niveau de 2012. Au-delà, le rapporteur estime que le contexte actuel d'augmentation des dépenses publiques tournées vers les investissements d'avenir notamment, est particulièrement propice à une augmentation des commandes militaires, et devrait naturellement se répercuter sur l'ONERA. Ce qui ne semble pas le cas de la DGA : les commandes de la direction générale de l'armement vont baisser dès 2021 à 38 millions (contre 50 millions en 2020 et 43,2 millions en 2019) et se stabiliser à ce niveau durant trois ans.

Enfin, l'ONERA devra régler certaines problématiques importantes comme son manque d'attractivité. Avant la crise, il avait dû mal à retenir ses jeunes talents dans un secteur très concurrentiel (aérospatial). Il est notamment confronté à des départs non souhaités de jeunes ingénieurs faute de salaire (plus de 9% d'écart avec les entreprises du GIFAS) et de perspectives en adéquation avec le marché de l'emploi. Ces démissions ont augmenté de plus de 40% entre 2016 et 2019 (31 départs, dont un quart relève de préoccupation financière). Cela constitue "un point de vigilance majeur", estime le rapport. Pour garantir le maintien des compétences et pour lui permettre de faire face à une augmentation des commandes, l'ONERA doit poursuivre, malgré le contexte actuel de crise économique touchant le secteur, la politique de fidélisation des effectifs, selon le rapporteur spécial.

Michel Cabirol

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Commentaires 10
à écrit le 10/07/2020 à 9:03
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La France préfèreinvestir dans ses banlieux , l'Allemagne dans des centres de recherche .

à écrit le 10/07/2020 à 8:03
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un jour en France pourras t'on définir et nommer les responsables du gâchis industriel tel que l'onera , Flamanville, sidérurgie ,la construction mécanique si certain sont connu comme la secte écolos qui prône la déconstruction d'autre le fond...

à écrit le 08/07/2020 à 20:48
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Un gâchis ! A l’heure où on peut lâcher 7,5 mds pour les salaires des soignants et administratifs des hôpitaux, n’est-il pas possible de mettre aussi de l’argent dans un organisme qui prépare l’avenir ?!

à écrit le 08/07/2020 à 20:16
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Lire "aerobuzz.de" au lieu de " aero.de " dans mon message précédent. Désolé.

à écrit le 08/07/2020 à 19:32
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L Allemagne investit massivement dans le DLR : très récemment le Bundestag et trois Landers financent trois NOUVEAUX centres de recherche . Chacun est chargé d un axe de recherche sur le LONG TERME : les nouveaux carburants écologiques, les moteurs p...

à écrit le 08/07/2020 à 17:10
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Les Allemands font preuve de détermination depuis longtemps et s'imposent un peu partout , petit à petit ils grignotent , ils grignotent. Surtout dès qu'on a le dos tourné !! Leurs gouvernants sont sans doute meilleurs que les nôtres. Que sont deve...

à écrit le 08/07/2020 à 15:23
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Ne nous y trompons pas ! Ce déclassement est savamment orchestré depuis longtemps, et c'est nettement accéléré depuis 2017. Tout comme Aérospatiale, Matra Defense, Matra missiles, etc en leur temps, Nexter et DCNS aujourd'hui, l'objectif est de brad...

le 09/07/2020 à 15:14
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C'est clair, il nous restera... les patates et encore

à écrit le 08/07/2020 à 15:05
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Combien de couleuvres a t on avalé pour que les allemands acceptent de collaborer sur le SCAF ? L'aérodynamique, l'etude de la mécanique des fluides sont primordiales ds la phase initiale de définition du projet aérospatial ou aéronautique. Si cett...

le 09/07/2020 à 22:39
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Entièrement d’accord. La chute de l’aérospatial français n’est pas un accident industriel mais la conséquence d’un choix politique assumé par les dirigeants+état depuis des années. En France, on préfère délocaliser/délaisser les compétences à autrui...

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