Comment le luxe s’approprie les NFT pour améliorer l'expérience client

Les jetons non-fongibles, bien connus pour être associés à des images numériques parfois controversées, sont aussi lorgnés par les maisons de luxe. Ces certificats numériques permettent en effet d’améliorer la traçabilité des produits et de proposer des services supplémentaires aux clients. Si le tournant pro-blockchain paraît acté par les dirigeants de marques de luxe, cette technologie est encore loin d’être utilisée par le grand public et fait face à de véritables défis. Explication.
Maxime Heuze
Les marques de luxe se convertissent progressivement à la blockchain pour garantir l'authenticité de leurs produits.
Les marques de luxe se convertissent progressivement à la blockchain pour garantir l'authenticité de leurs produits. (Crédits : LVMH)

Pouvoir visualiser la valeur de votre montre en temps réel, ainsi que la date à laquelle vous l'avez fait réparer sur votre espace client. De prime abord, cela semble futuriste. Des marques de luxe ont déjà mis en place ce type de services grâce à la blockchain, un registre de transactions immuable, visible sur Internet et géré par un réseau d'ordinateurs indépendants.

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Au total, quarante marques et groupes de luxe, dont Breitling, Richemont ou encore Yves Saint-Laurent, ont choisi de faire confiance à Arianee, une startup française spécialisée dans la jetonisation d'objets numériques. Concrètement, l'entreprise crée un jumeau numérique d'un objet physique. Celui-ci prend la forme d'un jeton non-fongible (NFT), c'est-à-dire un certificat numérique inscrit sur la blockchain publique Polygon.

Les maisons de luxe dans une course à la jetonisation

Tous les clients des marques qui achètent les produits des partenaires d'Arianee peuvent demander les NFT liés à leurs achats, directement sur le site de la marque, sur une application dédiée, et même l'envoyer sur leur portefeuille crypto personnel.

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D'autres maisons de luxe se sont aussi converties à la technologie NFT, mais en interne cette fois-ci. Ainsi, LVMH (propriétaire des marques Hublot, Bulgari ou encore Louis Vuitton) s'est associé avec Prada, Cartier, OTB et Mercedes-Benz pour créer Aura, une blockchain privée gérée et exclusivement « par l'industrie du luxe, pour l'industrie du luxe », explique Franck Le Moal, directeur IT et Technologie chez LVMH. Une différence d'approche qui n'est pas négligeable.

« Une blockchain privée a de grandes chances de ne pas apporter plus de garanties qu'une simple base de données, puisque ceux qui la contrôlent, peuvent modifier les informations s'ils le souhaitent », distingue Arthur De la Brunière, expert web3 chez EY Fabernovel.

Dans les faits, les NFT de produits physiques font de l'œil aux maisons de luxe depuis plusieurs années. « Il y a des investissements limités pour le moment, (quelques millions d'euros pour LVMH, ndlr), mais qui sont plus importants dans le luxe que dans d'autres secteurs », affirme Pierre-François Marteau, Partner au Boston Consulting Group (BCG).

Lutter contre la contrefaçon

Pourquoi un tel engouement du monde du luxe ? Pour le BCG, il s'agit avant tout d'une « peur de passer à côté d'une technologie qui pousse les marques à vouloir investir ».

Mais en dehors de l'opportunisme, « cet outil permet notamment de renforcer le sentiment d'authenticité et d'unicité auprès de nos clients », assure le directeur IT et Technologie de LVMH.

Le groupe dirigé par Bernard Arnault a déjà mis à contribution les certificats numériques. Objectif affiché : tracer et garantir l'origine des diamants vendus par Louis Vuitton. Les clients peuvent ainsi accéder à de nombreuses données sur la pierre précieuse de la collection LV Diamonds qu'ils ont achetée via un QR code redirigeant vers le NFT.

Deuxième argument : la lutte contre la contrefaçon. D'après une étude réalisée par le Boston Consulting Group datant de 2020, 34% des consommateurs de produits de luxe se méfient des contrefaçons. Si aujourd'hui, les maisons de luxe ont développé des technologies physiques pour prévenir la contrefaçon « comme inscrire des numéros de série ou mettre des tags NFC », détaille Franck Le Moal, « rajouter un certificat numérique, vient renforcer la traçabilité et simplifie la vérification de l'authenticité des produits vendus », estime-t-il.

Breitling complète d'ailleurs la traçabilité de ses produits par l'accès à un service de vente d'occasion sur une plateforme agréée qui propose aux détenteurs de montres, et de NFT, de les revendre à d'autres acheteurs. Enfin, les maisons interrogées assurent que les NFT leur permettront d'améliorer les services qu'elles proposent à leurs clients. « On ne connaît ni le nom, ni l'adresse mail du client, mais on peut communiquer avec lui via son portefeuille blockchain», explique Antonio Carriero. Chaque NFT Breitling, par exemple, offre ainsi l'accès à une communauté privilégiée qui bénéficient de services exclusifs, invitations privées et séries limitées « On a ouvert des restaurants et les membres Breitling y ont accès à des services supplémentaires, comme des millésimes spéciaux », donne comme exemple le directeur digital de la marque.

Une adoption par les clients encore limitée

Et ces services supplémentaires, apportés par la blockchain, sont salués par les clients. « Les clients interrogés considèrent que c'est un véritable apport de valeur et un outil complémentaire qui amplifie le caractère unique du produit acheté », vante Franck Le Moal. Mais si la technologie plaît, elle reste encore peu connue et utilisée par les acheteurs du luxe.

Entre 50 et 60% des détenteurs de diamants Louis Vuitton ont téléchargé leur certificat numérique quand Breitling - ayant mis en vente 300.000 produits jetonisés- affirment que 20% de ses clients ont réclamé leur NFT.

« On est au début de l'histoire de la blockchain et cela prendra quelques années avant une adoption de masse », avance Pierre-François Marteau.

Pour LVMH, l'idée n'est d'ailleurs pas de systématiser la jetonisation et les services associés, mais « de les intégrer sur certaines catégories de produits, notamment les plus sophistiqués, les plus rares et qui utilisent les matières les plus nobles », confie Franck Le Moal.

La blockchain ne fait pas l'unanimité

Derrière les possibilités qu'apporte la jetonisation, reste le problème de l'image des crypto-actifs. Suite à l'effondrement des cours de ces derniers, après la chute de la blockchain Terra Luna en mai 2022, puis la faillite de la plateforme d'échange FTX, la crédibilité de l'écosystème crypto et les avis sur ces technologies sont devenus bien plus négatifs.

« L'avis des personnes en charge des budgets d'innovation a changé quand ils ont vu les scandales dans l'écosystème. Ils se sont demandé si c'était bien dans la blockchain qu'ils devaient mettre des billes où dans d'autres technologies », révèle le consultant d'EY.

Un situation que Franck Le Moal dément dans le cas de LVMH qui, selon lui « n'a pas contribué au développement d'Aura pour aller dans le sens d'un phénomène de mode, mais pour apporter de la valeur à nos produits et à notre relation client, avec une vision de long-terme ».

Au final, les avis divergent toujours dans les maisons de luxe, mais les porteurs de projets restent confiants dans le développement des NFT. « On croit beaucoup au potentiel de cette technologie, mais elle ne se développera que si l'on crée des vrais usages, comme des services autour des produits. En revanche, si l'on se contente de n'utiliser la blockchain que pour y stocker des informations, le risque est de ne créer aucune valeur et donc aucun usage », martèle Pierre-François Marteau du BCG.

Maxime Heuze

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Commentaire 1
à écrit le 22/04/2023 à 23:28
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Rien compris ! En même temps je n'ai pas de montre de luxe. Pour donner l'heure un truc basique est plus que suffisant. Par beau temps et avec un peu d'expérience, le soleil donne une approximation raisonnable.

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