Renault-Nissan : comment la filialisation des activités électriques peut sauver l'Alliance

Lors de son assemblée générale qui s'est tenue ce mercredi 25 mai, le groupe automobile français a tenté de rassurer ses actionnaires, alors que l'action est au plus bas et que la guerre en Ukraine a renforcé le poids de Nissan au sein de l'Alliance. Avec son projet de filialisation de ses activités électriques, Jean-Dominique Senard et Luca de Meo pourraient toutefois réussir à résoudre ces deux équations...
Nabil Bourassi
Avec Mégane E-Tech, Renault espère retrouver son leadership sur la voiture électrique.
Avec Mégane E-Tech, Renault espère retrouver son leadership sur la voiture électrique. (Crédits : Renault)

L'Alliance est relancée ! Après quasiment quatre années de crise, les directions de Renault et Nissan ont repris langue et les patrons du groupe français peuvent désormais se rendre à Tokyo sans craindre de se faire arrêter... Au contraire, les déplacements se multiplient car, maintenant que le plan de redressement de Renault produit ses premiers effets (avec de l'avance), Luca de Meo, le directeur général de Renault, semble avoir pris le chantier de l'Alliance comme sa nouvelle priorité.

Il faut dire que le temps n'est plus aux hésitations... Le marché automobile s'enfonce dans la crise en raison de la pénurie des semi-conducteurs et de la hausse des matières premières. En outre, la guerre en Ukraine a forcé Renault à se retirer du marché russe, renforçant de facto le poids de son allié japonais dont il possède 43% du capital (contre 15% dans le sens inverse et sans droits de vote). Et pour cause, Nissan vend deux fois plus de voitures que Renault, et sa cotation est presque trois fois supérieure. D'un côté, le statu quo n'est plus possible, de l'autre, la fin de l'Alliance n'est pas non plus une option.

"Certes le rapport de force est favorable au camp japonais dont le redressement est spectaculaire, mais ni Renault ni Nissan ne peuvent renoncer à l'Alliance. Renault doit encore avancer sur son plan avant d'envisager d'aller plus loin dans l'intégration de l'Alliance, voire d'une fusion qui pourrait être un sujet à long terme", explique Frédéric Rozier, gérant chez Mirabaud.

Fusion, ou pas fusion, le débat agite toujours les marchés

La fusion des deux n'a pas fini de faire débat sur les marchés. De son côté, Benjamin Sacchet, directeur associé et gérant de fortune chez Avant-Garde Investment, juge encore prématuré la question d'une fusion: "les considérations politiques continuent à faire obstacle à une intégration plus poussée de l'Alliance".

"La logique voudrait que Nissan monte dans le capital de Renault, mais cela doit se faire de manière intelligente. La raison va finir par l'emporter dans un contexte extrêmement concurrentiel. La fusion Stellantis démontre que c'est possible et nécessaire", souligne Frédéric Rozier.

Des rumeurs récentes ont fait état de discussions autour des différents scénarios qui pourraient rééquilibrer l'Alliance. La question d'une vente d'une partie de la participation dans Nissan a été évoquée. Mais la santé de Renault est encore trop fragile pour négocier un rééquilibrage avec Nissan, en meilleure forme. Son plan de redressement est loin d'être achevé et surtout sa valorisation est très faible. "Renault est aujourd'hui sous-coté... Si on prend les seules activités banques et la participation dans Nissan, nous sommes déjà sur 13 milliards de valorisation, alors que la capitalisation ne dépasse pas les 7 milliards d'euros sur le marché", observe Frédéric Rozier.

La "persistance rétinienne" des marchés

A l'Assemblée générale des actionnaires qui s'est tenue ce mercredi, Jean-Dominique Senard (président du groupe) a assuré que la capitalisation ne reflétait pas le potentiel de Renault et les progrès de son plan de restructuration. Luca de Meo, lui, a invoqué une "persistance rétinienne" qui empêche les investisseurs d'apprécier "l'ampleur de la transformation structurelle" en cours chez Renault. Jean-Dominique Senard a d'ailleurs promis que cette sous-cotation en "trompe-l'oeil allait s'estomper (...) avec la valorisation de pépites".

Cette promesse renvoie au projet ambitieux de filialisation des activités électriques de Renault. Il s'agit d'exfiltrer toutes les activités liées aux voitures électriques dans lesquelles Renault estime détenir un avantage comparatif en raison d'une expérience dans ce domaine de plus de 10 ans et d'un leadership sur le marché européen grâce à la Zoé notamment. Près de 10.000 salariés, des datas et des brevets seraient ainsi logés dans cette nouvelle structure qui pourrait être introduite en Bourse. Renault garderait néanmoins le contrôle de cette nouvelle entité.

"L'idée de filialiser les activités électriques est très pertinente, cela peut permettre de créer de la valeur à un moment où ces structures sont très appréciées sur le marché", juge Frédéric Rozier.

Les mille milliards de Tesla

Renault s'appuie sur l'appétence des marchés pour toutes les valeurs purement orientée sur l'électromobilité. Aux Etats-Unis, la moindre société qui arrive en Bourse avec un projet de voitures électriques levait jusqu'ici des dizaines de milliards d'euros en quelques heures avant même d'en avoir produite une seule: Rivian, Lucid... Sans parler de Tesla qui a atteint des sommets l'an dernier avec une capitalisation de 1.000 milliards de dollars.

"Renault ne peut évidemment pas espérer les excès de valorisation que l'on retrouve outre-Atlantique sur un Lucid Motors ou un Rivian, il est toutefois plus facile de justifier une levée significative sur la base de ces comparables", relativise Benjamin Sacchet.

D'autres observateurs de marché restés anonymes ont toutefois estimé qu'une telle filialisation pourrait être valorisée entre 5 et 10 milliards... "La filialisation peut permettre à Renault de trouver des marges de manœuvre dont elle ne dispose pas actuellement", confirme Benjamin Sacchet.

C'est d'ailleurs dans ce même état d'esprit que Renault travaille sur une filialisation des activités liées à la chaîne de traction thermique. D'un côté, cela soulagerait le groupe de l'impact que celle-ci porte sur les perspectives à venir, compte tenu du calendrier de fin des voitures thermiques en Europe. D'autre part, elle pourrait être valorisée pour son intérêt sur des marchés émergents qui n'ont pas programmé de tels agendas environnementaux comme l'Afrique, le Moyen-Orient, l'Amérique Latine ou encore une partie de l'Asie. "Le marché préfère toujours les actifs purs, cela induit une verticale de risque précise", explique Benjamin Sacchet.

Une JV avec Nissan pour ne pas toucher à l'Alliance ?

Les marchés attendent avec impatience la finalisation des projets de filialisation, et beaucoup parient sur des coentreprises avec Nissan. "Le projet de filialisation des activités électriques de Renault fait probablement l'objet d'âpres discussions avec Nissan. Il serait tout à fait cohérent qu'ils mettent en commun certaines activités et brevets puis utilisent cette potentielle opération afin de rééquilibrer les niveaux de participation", anticipe Benjamin Sacchet. Un tel scénario permettrait ainsi d'éviter l'écueil qui consisterait à toucher aux participations croisées, un dossier explosif et très politisé. En attendant, l'Alliance avance à grands pas, observe Frédéric Rozier: "les projets d'intégration industrielle en cours dans l'Alliance n'ont jamais été aussi poussés. C'est très prometteur pour Renault".

Nabil Bourassi

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