« Un nouveau prélèvement de l'État déstabiliserait Action Logement et sa mission auprès des salariés », Bruno Arcadipane

GRAND ENTRETIEN. Objet de quatre rapports et de deux prélèvements de l'Etat, l'ex-1% Logement affiche malgré tout des résultats solides pour 2020 et le premier semestre 2021. Après une tentative de réforme par ordonnance à l'automne, son président du directoire Bruno Arcadipane, également président du Medef Grand-Est, reste vigilant quant l'avenir du groupe.
César Armand
Bruno Arcadipane a été réélu président du conseil d'administration d'Action Logement le 30 septembre 2020.
Bruno Arcadipane a été réélu président du conseil d'administration d'Action Logement le 30 septembre 2020. (Crédits : DR)

Je me demande s'il n'y a pas une certaine schizophrénie, à demander tout à la fois de construire davantage, avec cet objectif des 250.000 logements et à ne plus être d'accord pour mettre du foncier à disposition des opérateurs.

Bruno Arcadipane, président du conseil d'administration d'Action Logement

Administré par les syndicats et le patronat, l'ex-1% Logement est un objet politico-économique unique. Fort de 18.000 salariés et de cinquante opérateurs déployés en France métropolitaine et en Outre-Mer, l'organisme paritaire articule en effet les besoins des entreprises et les demandes des salariés grâce à la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC).

Âgé de 67 ans, Action Logement s'est profondément réformé depuis fin 2016 mais a débloqué tellement de milliards d'euros en quatre ans que le gouvernement actuel a failli légiférer par ordonnance sur son fonctionnement, avant d'y renoncer à l'automne dernier. Le groupe continue en outre de gérer près de 18% des logements sociaux de même qu'il en produit près de la moitié dans le neuf chaque année.

LA TRIBUNE - A la différence des promoteurs immobiliers et des bailleurs sociaux, vos résultats financiers 2020 et votre bilan du premier semestre 2021 sont très solides avec près de 10,2 milliards d'euros d'encours de prêt, dont 6,7 aux organismes de logements sociaux et 3,4 aux salariés pour financer notamment l'accession à la propriété. Comment l'expliquez-vous?

BRUNO ARCADIPANE - Notre activité et notre production sont, en effet, en forte progression. Action Logement a investi près de 10 milliards d'euros en 2020 dans les territoires : ce chiffre en dit long sur notre activité pour le logement abordable. Ces résultats s'expliquent par notre connaissance de terrain et la variété des dispositifs que nous avons mis en place pour renouveler l'offre de logements.

Après quatre rapports (Agence nationale de contrôle du logement social, Cour des Comptes, Inspection générale des Finances et Medef) et deux prélèvements de l'Etat d'un total de 2,4 milliards d'euros, dont 1 milliard pour le plan France relance, êtes-vous confiant quant à l'avenir du groupe ?

B. A. : Une nouvelle ponction déstabiliserait Action Logement au détriment du logement des salariés. Le temps passe et les vérités apparaissent. Finis les rapports à charge. Aujourd'hui, la structure du groupe est rodée et organisée et, malgré ses soi-disant défauts, elle a fait la preuve de la qualité de son fonctionnement. Nous avons fait front au printemps dernier grâce à des initiatives concrètes comme l'aide au paiement des loyers et nous n'avons jamais rompu les négociations.

Aujourd'hui, nous sommes dans une relation de confiance avec le ministère du Logement. Nos échanges n'ont jamais été rompus. Emmanuelle Wargon nous a écrit pour nous dire qu'elle prête la plus grande attention à nos propositions. Nous espérons que tout cela aboutisse avant l'été. Nous allons trouver un point d'accord qui convient à tout le monde.

L'arrivée de Nadia Bouyer à la direction générale le 1er décembre 2020 y est-elle pour quelque chose ?

B. A. :
Depuis son arrivée, nous accélérons l'ensemble des résultats. Tout est engagé, organisé et cadencé pour délivrer et produire. Le groupe tourne à plein régime, nous avons atteint un niveau de performance jamais vu. Les chiffres de 2020 et du premier semestre 2021 le prouvent. C'est le résultat du modèle financier que nous avons mis en place en 2019 pour tendre la trésorerie et mettre en place une méthodologie afin de livrer plus vite nos aides, nos services et nos logements.

Avec une trésorerie de l'ensemble des entités du groupe de 8,2 milliards d'euros cumulés au 31 décembre 2020, où en est le déploiement du plan d'investissement volontaire de 9 milliards d'euros que vous aviez signé avec l'Etat il y a deux ans ?

B. A. :
Le plan d'investissement volontaire est en plein déploiement. Chacun de ses sept axes est en place. 2020 a en effet été une année record avec 6,3 milliards pour les bailleurs sociaux et le financement de plus de 100.000 logements. Fin 2020, nous avons même obtenu 42.400 agréments et ce dans un contexte le plus difficile depuis 20 ans. Alors que les chiffres sont calamiteux pour le secteur de la construction dans son ensemble en 2020, nous poursuivons un effort colossal.

Le premier semestre 2021 a été encore plus performant. Au travers d'un avenant paraphé avec l'Etat, nous avons débloqué 1,170 milliard d'euros supplémentaires pour la production de logements sociaux et intermédiaires, soit 920 millions d'euros de prêts et de subventions pour les opérateurs du logement social et intermédiaire et 250 millions à Foncière Logement pour favoriser la mixité sociale et lutter contre l'habitat indigne. C'est un soutien indispensable à l'objectif de production nouvelle de 250.000 logements sociaux que la ministre souhaite réaliser d'ici à fin 2022. J'ai naturellement exposé et rappelé tous ces engagements devant la commission Rebsamen qui illustrent notre détermination à construire plus et mieux.

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Action Logement, qui représente déjà 18% du parc social, a obtenu 34% des agréments de construction pour 2021. Cet objectif de construire 250.000 logements sociaux en 2 ans est-il réalisable ?

B.A. : Action Logement est un groupe très jeune dont la réforme engagée en 2016 se poursuit. Nous avons concrétisé un groupe solide, organisé et présent sur tous les fronts. Nous savons nous engager et apporter des réponses d'urgence, quand il le faut.

Par exemple ?

B.A. : Quand il y a eu l'effondrement des immeubles de la rue d'Aubagne à Marseille, nous avons pris nos responsabilités sur le logement indigne en temps et en heure en proposant immédiatement un dispositif de soutien, à travers Dignéo qui intervient sur ce type de problématiques. Notre gouvernance paritaire nous donne cette possibilité de répondre au plus près des besoins d'emplois, des salariés et des entreprises.

Nous sommes en outre force de propositions. Dès juin 2020, nous avons débloqué une aide à la prévention des impayés de loyer qui au 31 mars dernier a bénéficié à 90.000 personnes. En début d'année, soucieux d'accompagner vers le logement ceux qui entrent sur le marché du travail, nous avons conçu une aide dédiée aux jeunes actifs dont l'objectif des 30.000 bénéficiaires a été dépassé en mars. Nous avons aussi élargi la caution Visale à tous les salariés aux revenus allant jusqu'à à 1.500 euros nets.

Vous avez également été les pionniers pour créer avant même le début de la crise sanitaire une foncière visant à transformer les bureaux en logements. Quel est votre retour d'expérience à l'heure où le gouvernement et la ville de Paris veulent accélérer ce phénomène ?

B. A. : Effectivement, nous avons également été précurseurs dans ce domaine ! A ce jour, la foncière de transformation immobilière a identifié 300 opportunités et a acheté 40 immeubles signés ou en cours d'acquisition. Ce sont 170.000 mètres carrés de bureaux qui vont pouvoir être transformés en 3.320 logements.

Nous avons, le mois dernier, signé avec la mairie de Metz, l'achat de l'ancien siège de l'URSSAF en Lorraine, en plein centre-ville, afin d'y proposer 96 logements. De la même manière nous sommes en train de développer une opération sur un immeuble de 10 étages, à Le Pecq (Yvelines) où 6.000 m² vacants vont devenir 35 logements en accession, une résidence étudiante de 80 logements et un centre médical de 300 m² avec le bailleur 1001 Vies Habitat.

Dès avril 2019, nous avons posé cette problématique tout comme celle du logement de nos aînés dans les EHPAD ou encore les besoins en logements temporaires mis en lumière par la pandémie. Nous sommes à l'écoute des besoins de la société, sans idée préconçue. Toutes les initiatives qui permettent d'augmenter l'offre de logements sont étudiées et modélisées.

A propos d'offre, comment allez-vous concilier la production de logements neufs, quelle que soit leur typologie, et le « zéro artificialisation nette » en cours d'examen au Parlement dans le cadre du projet de loi "Climat et Résilience" ?

B. A. : Je ne veux pas me prononcer sur des lois en cours de discussion. Mais je me demande s'il n'y a pas une certaine schizophrénie, à demander tout à la fois de construire davantage, avec cet objectif des 250.000 logements et à ne plus être d'accord pour mettre du foncier à disposition des opérateurs.

Par ailleurs, reconstruire la ville sur la ville, c'est déjà le métier d'Action Logement. En témoigne, le succès du programme « Action Cœur de Ville ». Sur les 222 villes, nous intervenons déjà dans 185 d'entre elles. C'est juste énorme. Et je ferai la même remarque sur notre foncière AFL, dédiée à la mixité sociale dans les quartiers prioritaires de la ville.

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César Armand

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