Recyclage du plastique : le projet à un milliard d’Eastman entre dans le dur

Présenté par Emmanuel Macron comme le plus gros investissement étranger en France depuis des décennies, le projet d’usine de recyclage moléculaire du plastique du chimiste américain Eastman entre dans le dur avec le lancement de la première des concertations qui doit le mener jusqu’à l’autorisation d’exploiter espérée en 2023. L’installation qui devrait voir le jour près du Havre pourrait traiter jusqu’à 160.000 tonnes d’emballages pas - ou difficilement - recyclables par an. Mais son principal défi sera de capter les gisements.
Selon Eastman, les déchets seront transformés en paillettes recyclables à l'infini et possédant les mêmes propriétés que les plastiques fabriqués à partir du pétrole.
Selon Eastman, les déchets seront transformés en paillettes recyclables à l'infini et possédant les mêmes propriétés que les plastiques fabriqués à partir du pétrole. (Crédits : Eastman)

Trier les déchets est une chose, les recycler en est une autre. Selon l'éco-organisme Citeo, la France n'a réussi en 2021 à transformer en produits réutilisables qu'un petit tiers de la montagne d'emballages plastiques issus de nos poubelles jaunes, et encore souvent au prix d'une dégradation du matériau d'origine (ce que les spécialistes appellent le décyclage).

Le reste a fini sa vie en décharge ou dans les usines d'incinération. En cause, l'insuffisance du tri mais aussi la difficulté voire l'impossibilité de recycler, avec les technologies mécaniques classiques, les déchets les plus complexes : bouteilles ou flacons colorés, barquettes multi-couches, textiles en polyester, rebuts de l'électronique ou de l'automobile...

Pour absorber ces flux privés d'une deuxième vie, l'industrie pense avoir trouvé la parade. Elle table désormais sur le recyclage chimique du plastique, lequel enregistre un boom spectaculaire à la faveur de règlementations plus contraignantes. Qu'on en juge. 2,6 milliards d'euros doivent être investis en Europe dans cette technologie d'ici 2025 et « au moins 7,2 milliards » à horizon 2030, selon une étude publiée en avril 2022 par l'institut Polyvia, syndicat professionnel la filière plasturgie et composites.

Vers l'usine la plus capacitaire d'Europe

C'est dans ce contexte porteur que s'inscrit le projet d'usine de la multinationale américaine Eastman annoncé lors du sommet Choose France en janvier dernier. Celui-ci franchit la première étape vers sa concrétisation avec le lancement ce mardi (27 septembre) en Normandie d'une concertation préalable* ainsi que l'exige la loi pour toutes les installations industrielles de plus de 600 millions d'euros : un milliard dans son cas.

Le montant colossal de l'investissement, qui devrait être soutenu à hauteur de 100 millions d'euros par la puissance publique, dit bien l'ambition du groupe sur lequel la France compte pour honorer sa promesse de « 100% de plastiques recyclés en 2025 ». L'unité de recyclage chimique qu'il projette de construire en 2025 sur le complexe industriel de Port-Jérôme en Seine-Maritime est de loin la plus importante en termes de capacité de traitement de déchets en cours de développement sur le Vieux Continent. A pleine charge, elle devrait être capable de transformer quelque 160.000 tonnes de déchets de polyester (le type de plastique le plus courant) chaque année. De quoi remplir deux fois et demi le stade de France.

Pour ce faire, Eastman aura recours à un procédé de recyclage moléculaire consistant à « casser » les polymères dans un bain de méthanol pour reconstituer les monomères d'origine. En bout de chaîne, les déchets deviendront des paillettes réutilisables, y compris pour des applications médicales, cosmétiques ou alimentaires. « L'avantage de ce procédé que nous maitrisons depuis plusieurs années, c'est que le plastique ainsi traité sera recyclable à l'infini et aura les mêmes propriétés que s'il avait été produit à partir du pétrole » , vante Godefroy Motte, ancien membre du Comex d'Eastman en charge du développement durable, que la firme a chargé de suivre le projet.

La chasse aux déchets est ouverte

Bien que cette technique dite de repolymérisation n'ait jamais été mise en œuvre à une telle échelle, c'est moins le déploiement des équipements industriels que leur approvisionnement qui risque de poser le plus de difficultés à l'américain. Pour espérer produire 150.000 tonnes de paillettes, son objectif en 2028, l'usine devra, en effet, capter chaque année un Himalaya de plus de 200.000 tonnes de matière brute. Plus facile à dire qu'à faire sachant que la France collecte aujourd'hui à peine un cinquième des déchets plastique des ménages et des entreprises. Lesquels se trouvent aujourd'hui dispersés en de multiples points du territoire faute de massification. « Les industriels du recyclage chimique sous estiment souvent leurs capacités à accéder aux gisements », note un bon connaisseur du secteur.

Au reste, les dirigeants d'Eastman eux-mêmes reconnaissent qu'ils devront, dans un premier temps, s'approvisionner auprès d'autres pays européens comme « l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie ou le Benelux » pour pallier la faible disponibilité du gisement français. « Il va nous falloir réorienter les flux pour mettre en place de nouvelles filières », admet Cédric Perben, responsable technique des solutions circulaires pour le groupe en Europe.

Là encore, ce n'est pas gagné d'avance. Le chimiste qui négocie actuellement avec les éco-organismes, des opérateurs de tri et des collectivités, concède d'ailleurs que « tout dépendra du résultat des appels d'offres » qu'ils se prépare à lancer. Il risque aussi de se heurter à la réticence des recycleurs mécaniques tels que Paprec qui craignent que la future unité normande ne vienne siphonner une partie de leur matière première.

*placés sous l'égide de la Commission nationale du débat publique, les débats dureront jusqu'au 25 novembre. Un site internet est à disposition du public concertation-eastman-normandie.fr

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Commentaires 3
à écrit le 26/09/2022 à 22:18
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@photo73 Boire de l'eau du robinet est une évidence...tout comme éteindre la lumière en sortant.👍

à écrit le 26/09/2022 à 20:34
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On impose au salariés français des patrons étrangers qui veulent nous imposer leur modèle social. Et en même temps les investisseurs français vont évangéliser ailleurs. Que dirait-il si on faisait comme lui en élisant à sa place Poutine ? Après tout,...

à écrit le 26/09/2022 à 20:30
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"honorer sa promesse de « 100% de plastiques recyclés en 2025 »" tous les plastiques ou en n'utilisant plus qu'un seul type de plastique dans le commerce ? On ne collectait que le PET, car utilisé par les flacons, on en vend 10 000 à la seconde(minu...

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