Pour financer ses centrales à gaz « zéro émission », l’Allemagne décroche un accord avec Bruxelles

Mardi, le gouvernement allemand a salué des « progrès » dans les discussions avec la Commission européenne sur les aides publiques que Berlin veut consacrer à la construction de centrales à gaz et à hydrogène. Les deux parties se sont accordées sur les conditions-cadre des appels d'offres prévus pour développer ces nouvelles installations, avant une phase de consultation qui aura lieu après l’été. Le sujet s’avère capital pour l'Allemagne, qui n'a d'autres choix que de s’appuyer sur des centrales thermiques, afin de compenser l'intermittence de l'approvisionnement en énergies solaire et éolienne.
Marine Godelier
(Crédits : Reuters)

Comme un symbole des choix diamétralement opposés entre Berlin et Paris en termes de mix énergétique. Alors que l'Allemagne fait toujours obstacle au cadre incitatif voulu par la France pour financer ses réacteurs nucléaires, suscitant de vives tensions entre les deux pays, celle-ci pousse, dans le même temps, pour obtenir l'autorisation de subventionner de nouvelles centrales à gaz sur son territoire... au nom de la lutte contre le dérèglement climatique.

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L'idée peut paraître saugrenue. En effet, elles émettent beaucoup plus de CO2 que les centrales atomiques. Mais si l'on en croit la coalition gouvernementale (SPD, FDP et Verts), ces nouvelles installations fonctionneront bientôt à partir d'hydrogène, issu lui-même d'électricité décarboné, en lieu et place du gaz fossile.

Et force est de constater que l'argumentaire commence à convaincre la Commission européenne. Si cette dernière n'a pas encore donné son feu vert définitif, le ministre allemand de l'Economie et du climat, Robert Habeck, a salué, mardi 1er août, « d'importants progrès » dans les discussions. Malgré des négociations « intenses », il a ainsi assuré qu'un accord avait été trouvé sur le cadre juridique des appels d'offres prévus pour les nouvelles infrastructures, afin de se conformer à la législation européenne sur les aides d'État. Un « pas décisif » pour Berlin, qui espère intégrer les subventions pour les futures centrales dans le cadre des projets de décarbonation de l'Union. Ce qui garantirait une approbation plus rapide et un montant d'aide plus important.

« Il y a toujours des phases où le vent et le soleil ne suffisent pas »

Il faut dire que le sujet s'avère capital pour l'Allemagne, confrontée à une équation quasiment impossible : sans le nucléaire, définitivement arrêté depuis l'année dernière, et le charbon, dont elle a toutes les peines du monde à se défaire, celle-ci aura besoin d'un socle de moyens de production pilotable. C'est-à-dire sans variations imprévisibles de l'offre, afin de pallier l'intermittence de l'approvisionnement en énergies solaire et éolienne. « Il y a toujours des phases où le vent et le soleil ne suffisent pas », a ainsi justifié Robert Habeck mardi. En allemand, le terme « Dunkelflaute » (marasme sombre), qui qualifie ces périodes de creux de la production d'origine renouvelable, a d'ailleurs fait son entrée dans le langage courant.

C'est à ces moments-là que les fameuses centrales thermiques devront donc intervenir. L'idée : maintenir à flot une industrie extrêmement gourmande en énergie, alors que « la sécurité de l'approvisionnement sera toujours la priorité absolue », a rappelé Robert Habeck.

Cependant, celles-ci fonctionneront en base, c'est-à-dire « quelques heures dans l'année » seulement, assure le gouvernement. Elles seront donc appelées lors des moments critiques sur le réseau, correspondant à une pointe de la demande et un déficit de la production. C'est d'ailleurs pour cette raison que Berlin entend les subventionner : le fait de ne tourner que de manière sporadique affectera leur rentabilité.

Surtout, ces centrales devront être « hydrogen ready », c'est-à-dire prêtes pour carburer à l'hydrogène plutôt qu'au gaz naturel, afin d'être « climatiquement neutres ».

« La conversion et la décarbonation du parc de centrales électriques fossiles, c'est la prochaine étape importante », a ainsi souligné Robert Habeck.

30 gigawatts de centrales mis en appel d'offres dès l'an prochain

La Commission européenne a néanmoins d'ores et déjà posé des « garde-fous » : d'abord, une partie des centrales en question devront fonctionner directement à l'hydrogène, sans passer par la case fossile. Ainsi, il a été convenu que l'Allemagne organisera un appel d'offres pour 8,8 gigawatts (GW) de nouvelles centrales qui tourneront d'office à l'hydrogène.

En revanche, jusqu'à 15 GW de capacités supplémentaires appelées fonctionneront initialement au gaz naturel, avant d'être connectées au réseau d'hydrogène « d'ici à 2035 ». Mardi, Robert Habeck a précisé que le processus d'appel d'offres pour 10 GW de ces centrales au gaz et à l'hydrogène aura lieu d'ici 2026. Le gouvernement évaluera ensuite le processus avant d'adjuger les 5 GW restants.

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En outre, le gouvernement n'écarte pas la nécessité de centrales électriques au biométhane et à la biomasse. À partir de l'année prochaine, un total de 30 GW de nouvelle capacité de centrale électrique supplémentaire devrait ainsi être mis en appel d'offres.

Concertation après la trêve estivale

Il n'empêche, la partie n'est pas encore remportée pour l'Allemagne. En effet, la Commission européenne reste frileuse à l'idée d'intégrer les subventions pour ces centrales dans le cadre des projets de décarbonation de l'UE, selon le Spiegel. Et pour cause, la construction de nouvelles centrales électriques basées sur la combustion de gaz naturel peut difficilement être classée parmi les technologies permettant une élimination progressive des énergies fossiles. Par conséquent, seule la partie hydrogène respectueuse du climat pourrait être subventionnée, ce qui réduirait considérablement le montant des aides.

Cependant, rien n'est encore arrêté : une phase de concertation débutera à la fin de l'été, lors de laquelle la procédure formelle d'aide d'État auprès de la Commission européenne sera poursuivie, a précisé mardi le gouvernement allemand.

Rendement faible

Une autre question reste en suspens : comment produire tout l'hydrogène nécessaire, alors qu'il est déjà largement convoité pour d'autres usages, comme les transports ou l'industrie ? « Des investissements importants doivent être réalisés dans la production, le transport et le stockage de l'hydrogène et de ses infrastructures », concède le gouvernement dans un communiqué de presse publié mardi.

Pour rappel, cette molécule est aujourd'hui « fabriquée » à partir de gaz fossile, par vaporeformage du méthane. Pour être décarbonée, celle-ci devrait être issue d'un procédé d'électrolyse consistant à décomposer l'eau grâce à un courant électrique. Mobiliser ensuite cet hydrogène dans une centrale à gaz consisterait donc à générer de l'électricité, afin de mettre au point du gaz... pour produire de l'électricité. Par conséquent, le rendement ne dépasserait pas 30%, dans le meilleur des cas.

A ces 70% de perte d'électricité s'ajouterait le coût élevé des infrastructures d'électrolyse et de stockage. « Et pour ces dernières, la démonstration de faisabilité à grande échelle est encore en attente », expliquait, il y a quelques mois, à La Tribune Maxence Cordiez, ingénieur dans le secteur de l'énergie. Le gestionnaire du réseau électrique français, RTE, a d'ailleurs étudié cette piste dans ses fameux scénarios de décarbonation du mix électrique de l'Hexagone, notamment dans la trajectoire 100% renouvelable. Résultat : celle-ci est « soumise à des incertitudes technologiques [...] et surtout industrielles », pointe l'organisme.

Diplomatie de l'hydrogène avec les pays du Sud

Surtout, l'Allemagne ne disposera jamais de suffisamment d'électricité bas carbone pour produire l'hydrogène nécessaire - à moins, évidemment, de recourir au gaz fossile, ce qui n'aurait pas de sens d'un point de vue économique et climatique. Le gouvernement ne s'en cache d'ailleurs pas : l'objectif de production domestique d'hydrogène « renouvelable » s'élève pour l'heure à 14 térawattheures (TWh) seulement, pour une consommation estimée autour de 100 TWh en 2030 !

Pour le reste, le pays tente de tisser une véritable diplomatie de l'hydrogène, notamment avec les pays du Sud. L'Allemagne a mis en place en 2021 un instrument ambitieux pour financer le développement de projets en dehors de l'Union européenne, baptisé H2Global. Celui-ci s'étendra d'ailleurs à tous les Etats membres volontaires, a annoncé début juin la Commission européenne. Une manière, là encore, d'approuver la stratégie de Berlin.

Lire aussiL'UE compte subventionner la production d'hydrogène... à l'étranger

Marine Godelier

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Commentaires 24
à écrit le 04/08/2023 à 6:59
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Et pendant ce temps on baisse notre pantalon. Le nucléaire Français subit une guerre permanente de la part de nos voisins mais notre cher résident de l'Elysée eurolatre n'en n'a que faire...

à écrit le 03/08/2023 à 23:54
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On veut nous faire passer des vessies pour des lanternes... Des subventions pour des centrales à gaz qui vont tourner toute l'année, la commission n'est pas dupe et les français ne laisseront pas passer ça. On s'est déjà fait avoir avec le marché de ...

à écrit le 03/08/2023 à 18:54
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La Commission, dirigée par von der Leyen et Vestager, ne prend en compte que les intérêts allemands et américains, et s'oppose systématiquement aux intérêts français. Que faisons-nous encore dans cette galère ?

à écrit le 03/08/2023 à 13:21
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D'abord, la Commission est acquise d'avance aux intérêts allemands, sinon elle demanderait à Scholtz et Habeck pourquoi ils viennent de signer un contrat d'approvisionnement en gaz naturel sur 20 ans (jusqu'en 2042 !) avec les Américains. Ensuite...

à écrit le 03/08/2023 à 6:09
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Cette europe ne vaut rien.

le 03/08/2023 à 8:21
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L'autodétermination des peuples et le nationalisme ne sont apparemment valables que pour l'ukraine, qui elle a le droit de défendre son patrimoine culturel. Quand aux cultures locales européennes, elles sont niées par nos élites qui ne rêvent que d'u...

le 03/08/2023 à 11:59
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Pourtant votre président MACRON ne jure que par l'EUROPE. Paradoxalement les francais aussi ne veulent pas en sortir, car ils veulent garder l'EURO alors que celle si n'est garantie que grâce à l force de l'économie allemande. Il faut savoir ce que ...

à écrit le 02/08/2023 à 23:28
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Effectivement, l'Allemagne se moque de nous.... Mais cela dure depuis 50 ans... On a sacrifié notre industrie sur l'autel de la politique agricole commune. Le résultat c'est que nous avons perdu sur les 2 tableaux... Industrie délocalisée et agri...

à écrit le 02/08/2023 à 23:06
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Les centrales à cycle combiné sont le meilleur moyen de faire de l'électricité à partir d'hydrogène. Leur rendement avoisine 60%, alors que celui de l'électrolyse avec séparation des gaz à posteriori approche voire dépasse 90%. Idem pour l'électrolys...

le 03/08/2023 à 0:09
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La proposition allemande vise simplement à repousser le constat d'échec de la politique menée depuis 20 ans de quelques années, en tirant à nouveau des plans sur la commette. De plus, les centrales à cycle combiné sont mal adaptées au backup d'énergi...

le 03/08/2023 à 17:54
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Les centrales à cycle combiné s'adaptent parfaitement au suivi de charge. Il suffit de le constater chaque jour sur les courbes de production européennes. L'Europe a besoin d'un TW d'électrolyse, les premiers GW seront alcalins parce qu'on veut faire...

à écrit le 02/08/2023 à 19:05
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L'Allemagne voudrait que l'UE subventionne ses centrales à gaz "naturel" qui émettent des tonnes de CO2 (0,5t/MWh produit) tout en s'opposant dans les instances de l'UE aux aides au nucléaire français qui lui n'en émet pas !! Si nos dirigeants sont ...

à écrit le 02/08/2023 à 18:06
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Quelle bonne blague! Les centrales à gaz allemandes " zero émission", Ya! Les centrales nucléaires françaises décarbonées? Nein, nein und nein! Combien de temps encore l'Union européenne allemande va t-elle continuer à se moquer de la France e...

à écrit le 02/08/2023 à 17:53
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Voilà encore comment la Deutsche compagnie nous roule dans la farine ,avec l'accord de l'Europe. Pour le nucléaire des doutes des restrictions, pour une énergie totalement decarbonnee et le gaz lui pas d'émission de gaz à effet de serre ???? Il est...

à écrit le 02/08/2023 à 17:12
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Allemagne premier contributeur net à l' UE -avant la France- en voie d ' être rincé par l'.. UE comme la France. F Asselineau ce jour "PUBLICITÉ MENSONGÈRE La Commission européenne annonce fièrement qu'elle va verser 10Mds€ à la Fr...

à écrit le 02/08/2023 à 15:36
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Le Nucléaire Français PAS VERT : NEIN; le Gaz Germanique: YA et quoi encore. Il nous faut sortir de l'accord sur la globalisation des énergies de l'UE. et tourner le dos définitivement à SHOLZ qui se moque du Monde et de la France et obtient de sa c...

à écrit le 02/08/2023 à 15:20
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Que ce soit l'Allemagne, la France ou les autres pays, que l'on cesse de passer sous les fourches de cette commission même pas élue. Pour tous les pays l'électricité est vitale hors les accord plutôt les oukases les 49,3 version UE pour fixer le prix...

le 03/08/2023 à 23:50
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La commission est élue au sufrage indirect comme nos sénateurs pour lesquels personne ne trouve rien à redire.

à écrit le 02/08/2023 à 14:18
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Pour une fois nos écolos pourraient servir à quelque chose en s'opposant aux émissions des nouvelles centrales à gaz qui vont déferler sur la France. Ils nous ont forcé à fermer Fessenheim , renvoyons leur la balle.

à écrit le 02/08/2023 à 14:14
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Les centrales à gaz « zéro émission » Allemande ....Cette phrase fait froid dans le dos. Mais bon, ça fait un bon moment qu'ils sont sur le projet ... depuis les années 39-45 . Mais là c'est bon tous est validé , c'est Volkswagen qui a validé l'ét...

à écrit le 02/08/2023 à 14:06
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Bonjour, Ah , enfin l'ons soulève le problème de l'intermittence de la production électrique d'origine renouvelable... ( Solaire et éolienne). Rien de bien grave, mais ils est important de maintenir des unités de production électrique de remplaceme...

le 03/08/2023 à 0:18
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Les Allemands ont toujours conservé assez de centrales pilotables pour couvrir l'intégralité de leurs besoins en l'absence de vent et de soleil, y compris la pointe maximum annuelle. Par contre en France, RTE a annoncé dans ses rapports pouvoir compe...

à écrit le 02/08/2023 à 14:04
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C’est l’Allemagne qui mène la danse au sein de l’Union européenne ! Elle sert ses intérêts sur le dos du nucléaire de la France. Le garçon en culotte qualifié d’imbécile par un chroniqueur ayant raté 3 fois Normal Sup nous accompagne vers la déch...

à écrit le 02/08/2023 à 13:55
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encore une facilite accorde a l'allemagne et une punition pour les francais qui vont payer la notes et tout ceci pour satisfaire m macron et son ideologie de destruction de la france

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