Google va peiner à placer ses mouchards numériques dans les magasins français

Google compte à son tour digitaliser les magasins avec Eddystone, des balises bluetooth qui concurrenceront les iBeacons d’Apple. Une offre de plus sur un marché qui peine à décoller en France.
Marina Torre
Le lancement d'Eddystone, un format de Beacons, par Google, le 14 juillet, est passé relativement inaperçu.

"Il y a un rôle pour les magasins", clamait Nick Leeder, le président de Google en France au mois de mars. De toute évidence, le groupe de Mountain View compte même leur écrire le scénario. Il a déjà conçu l'accessoire principal : Eddystone, un format de programme pour "beacons", ces balises numériques fonctionnant avec le bluetooth qui permettent de connecter des objets et servent, entre autres, à digitaliser les magasins. Principale nouveauté : les "mouchards numériques" équipés de cette technologie présentée publiquement sur le blog dédié aux développeurs le 14 juillet pourront converser avec de nombreux appareils mobiles, y compris des smartphones Apple. Les programmes seront en outre "open source", ce qui signifie que les développeurs pourront les adapter à leurs besoins.

De ces outils que Google va jusqu'à comparer à des "phares qui ont aidé à guider les marins pendant des milliers d'années", il est beaucoup question depuis plusieurs mois. Depuis qu'avec ses iBeacons, Apple a commencé à séduire des chaînes de grands magasins et des centres commerciaux outre-Atlantique. Au point que le cabinet d'études affilié au site spécialisé Business Insider prédit qu'en 2018, quelque 4,5 milliards de ces galets connectés devraient s'être propagés dans le monde, dont 3,5 milliards dans la grande distribution.

Moins de 3% des marchands européens "beaconisés"

En France, ils ont aussi commencé à faire leur apparition l'an dernier, d'abord dans les centres commerciaux ou les grandes enseignes comme chez Darty par exemple. Sans doute beaucoup moins vite que les plus fervents partisans de la "révolution mobile" le rêvent. En effet, moins de 3% des marchands européens en utilisent, selon une étude publiée en juillet et menée par le Center for Retail Research, un organisme rattaché à l'université de Nottingham au Royaume-Uni pour le groupe RetailMeNot. Ils sont trois fois plus nombreux aux Etats-Unis.

De toutes les astuces pour digitaliser les boutiques grâce au mobile, le beacon s'affiche même en dernière position. Très loin derrière les "options de livraison alternatives" (click and collect) qui ont conquis plus de la moitié des marchands de chaque côté de l'Atlantique.

Plusieurs obstacles leur ferment encore les portes des magasins. Côté commerçants, c'est notamment le coût qui coince. Car même si les technologies sont de plus en plus accessibles - entre 25 et 35 euros l'unité selon les marques -, il faut y ajouter la maintenance, le développement et surtout l'analyse des données, qui elle, reste coûteuse et nécessite une expertise encore rare.

En effet, seuls, les beacons ne sont que des morceaux de plastiques dotés d'émetteurs. Pour être utilisées, par exemple en envoyant des promotions ou des annonces pour des services, des programmes spécifiques doivent être installés sur les récepteurs (les smartphones, tablettes ou montres connectées).

Des marques jugées trop intrusives

Or, justement, installer ces applications ou ces programmes, et les autoriser à envoyer des notifications, voire même allumer wi-fi et bluetooth n'ont rien d'une évidence pour les consommateurs, en particulier en France. En effet, ces derniers rejettent apparemment de façon massive le principe de la collecte d'informations, si précieuses pour les marques et les distributeurs. Près de 8 Français sur 10 affirment ainsi qu'elles sont "dérangées par le fait que des informations soient collectées et enregistrées dans des bases de données", d'après la cinquième édition d'une enquête de l'agence Publicis ETO sur le sentiment d'intrusion de la part des marques ressenti par les consommateurs parue le 6 juillet. Cette sensation d'intrusion justement s'est d'ailleurs beaucoup répandue puisqu'en 2010, un peu plus de 40% des sondés disaient la ressentir, et que 5 ans plus tard, ils sont 61%.

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Des infos personnalisées ? Oui... mais par courrier !

Dans le détail, l'un des usages des beacons paraît en outre loin d'être entré dans les habitudes. Il s'agit de l'envoi d'informations personnalisées par les marques sur les appareils mobiles. Car de tous les moyens pour recevoir des informations personnalisées de la part des marques, ce que préfèrent encore les Français, c'est... le courrier postal. Plus d'un tiers des sondés affirment qu'il s'agit de leur mode de communication favori pour recevoir ces publicités  Les SMS ou les alertes sur smartphone n'ont la préférence respectivement que de 4,7 et 2,6% des sondés. Et près de 14% préfèreraient surtout ne pas en recevoir du tout. Mais ce ne sont, il est vrai que des déclarations qui peuvent différer des usages réels.

" Les consommateurs français évoluent, regardez comme ils ont adopté Uber. Dans un ou deux ans vous verrez bien plus de gens les adopter", espère ainsi Dan Wagner, PDG de PowaTag, qui fournit des services aux détaillants, dont l'installation de beacons, et s'attaque même au téléshopping. Il a en effet conclu fin juin un accord avec TF1 en vue de digitaliser la célèbre émission de télévision (grâce à des sons ou tags "reconnus" par l'application qui renvoient vers une page d'achat des produits présentés à l'écran).

Nouvelles techniques

Outre les émissions sonores, d'autres solutions technologiques permettent de contourner ces obstacles afin soit d'inciter les consommateurs à acheter depuis leur canapé, soit à "suivre" leurs virées shopping dans le monde physique. Le GPS par exemple, pas aussi précis que le bluetooth, peut ainsi être utilisé pour repérer des clients dans un magasin ou devant une vitrine.

A cet égard, même Carrefour a changé son fusil d'épaule. Quelques mois après avoir testé une application de géolocalisation initialement baptisée "C-Où", le groupe de distribution essaie une nouvelle technologie fondée sur la transmission de données via des faisceaux lumineux des éclairages LED.

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Reste que sur les questions relatives à la protection des données soulevées par ces technologies, il faudra sans doute attendre les débats sur le projet de loi numérique. En attendant, la Cnil a publié un rappel à l'ordre en août 2014 à propos des seules "mesures de fréquentation et analyses du comportement des consommateurs en magasin". Google, de son côté, assure que pour Eddystone, un protocole visant à limiter la diffusion des données récoltées par les beacons sera prochainement dévoilé.

Marina Torre

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