La transition énergétique, opportunité économique pour les ports du futur

Face aux menaces que la mondialisation et la transition énergétique représentent pour leurs activités industrielles traditionnelles, nombre de ports du monde se tournent vers l'industrie des énergies renouvelables ou l'écologie industrielle. Une néo-industrialisation qui doit leur permettre de garder leurs entreprises, voire d'en attirer de nouvelles.
Giulietta Gamberini
En France, l'exemple le plus abouti d'une telle approche est Dunkerque, « ville industrielle et portuaire qui entend le rester », et « ancienne rentière du pétrole ».
En France, l'exemple le plus abouti d'une telle approche est Dunkerque, « ville industrielle et portuaire qui entend le rester », et « ancienne rentière du pétrole ». (Crédits : Reuters)

Comment éviter le risque de désindustrialisation, là même où pendant des décennies a dominé l'industrie pétrochimique, sidérurgique, cimentière, aujourd'hui menacée par la mondialisation et la transition énergétique ? Voici une question que de nombreux ports se posent, notamment sur le Vieux Continent et en Amérique du Nord, où la concurrence des pays émergents se fait particulièrement sentir. Plusieurs d'entre eux semblent toutefois avoir trouvé un moyen qui concilie adaptation et maintien de l'activité industrielle, voire qui présente un atout compétitif : l'intégration des nouvelles opportunités offertes par l'essor des énergies renouvelables ainsi que de l'économie circulaire.

Des éoliennes construites et même assemblées dans les ports

Dans les zones où son potentiel de développement est particulièrement élevé, l'éolien offshore fait notamment l'objet d'importantes projections ou investissements. Confronté à des contraintes environnementales et énergétiques croissantes, « déstabilisant les décisions d'investissement », le port britannique de Hull dans le Yorkshire a par exemple conclu un partenariat avec Siemens pour la construction d'une usine de fabrication de pales de rotor, qui intégrera aussi des activités de conception de projets, d'assemblage et de service, avec quelque 1.000 emplois à la clé. Le port de Hull et Siemens y investissent ensemble 310 millions de livres (355 millions d'euros environ). L'ambition serait même de « faire du Yorkshire une référence mondiale du secteur de l'éolien offshore », témoignait le directeur du projet, Simon Brett, lors de la 16e conférence internationale organisée par l'Association internationale des villes portuaires du 11 au 14 juin à Québec.

Selon Willett Kempton, professeur à l'École de sciences et politiques marines de l'Université du Delaware, l'avenir consisterait d'ailleurs non seulement dans la construction, mais aussi dans l'assemblage et le stockage de l'ensemble des éoliennes offshore dans les ports situés à proximité des installations -alors qu'aujourd'hui l'assemblage a lieu en mer. Certes, un telle approche n'est pas accessible à tous les ports puisque, en raison de l'augmentation progressive de la taille des éoliennes, elle implique la disponibilité de surfaces très larges, de sols capables de supporter des pressions de plus en plus élevées, de voies complètement dégagées jusqu'au lieu d'installation dans la mer... Mais, selon le professeur Kempton, le processus devrait permettre d'optimiser les temps et les coûts. Et le marché est là : sur la seule côte est des États-Unis, 24 millions de dollars ont déjà été engagés pour finaliser dans les neuf prochaines années 8,12 GW de capacité dans l'Atlantique.

A Dunkerque, une « toile industrielle » pour compenser la sortie du pétrole

Dans d'autres ports, la néo-industrialisation passe en revanche par l'appropriation par les autorités portuaires de modèles issus de l'économie circulaire, conçus comme un moyen novateur de garder ou d'attirer les entreprises, en leur offrant une solution pour réduire leur impact environnemental voire leurs coûts. « Il s'agit de les aider à gérer une ressource qui pour elles représente un problème, en créant un nouveau marché grâce à la recherche de repreneurs potentiels », explique Audrey Roberge, conseillère canadienne en économie circulaire.

Au Québec, huit projets de symbiose industrielle sont déjà comptabilisés dans des zones portuaires. En France, l'exemple le plus abouti d'une telle approche est Dunkerque, « ville industrielle et portuaire qui entend le rester », et « ancienne rentière du pétrole », selon la vision partagée par le directeur général de la communauté urbaine Patrick Lambert et le président du directoire du port Stéphane Raison. Ici, c'est la désindustrialisation subie qui a été le moteur du « choix de faire du territoire un démonstrateur de l'industrie du XXI siècle » : après la fermeture d'abord des chantiers navals en 1987, puis des deux raffineries en 2010 et 2016, une remise en cause de l'acceptabilité sociale globale du système a mené les autorités locales et portuaires a faire le pari de la construction d'une « toile industrielle », à savoir d'un modèle d'échanges de matières et d'énergie entre industries.

Il a été à l'origine par exemple de la création d'un réseau de chaleur transportant de l'énergie fatale sidérurgique, mais aussi de synergies entre ArcelorMittal et le fabricant irlandais de ciment écologique Ecocem, le fabricant de phosphates Aliphos et le recycleur de résidus chlorés IndaChlor, ce dernier et le producteur d'alcools et de biocarburants Ryssen... Des projets de production de GNL -dont selon Serge Le Guellec, PDG de l'armateur canadien Transport Desgagné, les difficultés d'avitaillement constituent encore un frein à la multiplication de bateaux plus « verts »-, profitant de l'industrie de méthane locale, est aussi à l'étude.

Lire aussi: « Chaque territoire doit se poser la question de sa transformation » Patrice Vergriete, maire de Dunkerque

Pas de modèle duplicable

De même, dans le North Sea Port, issu de la fusion en 2018 entre ceux de Gand, en Belgique, et de Zeeland, aux Pays-Bas, des échanges d'énergie entre le papetier finno-suédois Stora Enso et Volvo ont été rendus possibles grâce à la construction par l'autorité portuaire de 2 kilomètres de réseau de chaleur. Ils ont permis non seulement de réduire les émissions de CO2 de 15.000 tonnes, mais aussi à Volvo de baisser ses coûts de production, et à Stora Enso de bénéficier de nouveaux revenus. « Nous avons assuré un meilleur environnement aux deux sociétés », souligne Daan Schalck, PDG du port. D'autres échanges de chaleur et de CO2 entre Yara et des serres aux alentours du port ont permis à la la société chimique d'éviter 55.000 tonnes d'émissions, et à 150 hectares de nouvelles serres de voir le jour. Et un autre partenariat est en cours de conclusion : entre ArcelorMittal et Dow Chemical, pour la construction d'une usine pilote substituant au polyéthylène des gaz résiduels issus de la fabrication d'acier. Il impliquera non seulement une réduction, mais aussi des échanges transfrontaliers d'émissions.

Pour faciliter ce succès portuaire de l'économie circulaire, en France, la Compagnie nationale du Rhône est même en train de développer avec sept partenaires européens une plate-forme logicielle (BeCircle) intégrant géolocalisation et traitement des données, et visant à permettre aux entreprises de choisir leur implantation en fonction des flux de matière et d'énergie potentiels, témoigne le directeur auprès de la présidence Michel Carret. Mais pour « se désintoxiquer du pétrole et du charbon, il n'y a pas de recette miracle : l'analyse du territoire est essentielle », rappellent Patrick Lambert et Stéphane Raison, mettant en garde contre la tentation de « copiés-collés ». Placer les projets d'économie circulaire ou de transition énergétique sous les signes de l'innovation, de la recherche et de la formation est aussi essentiel car, bien que destinée à assurer une résilience à l'industrie des ports, la néo-industrialisation impliquera la transformation de nombreux anciens emplois.

Giulietta Gamberini

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