Frappée de plein fouet par la crise du Covid-19, la SNCF est à la peine. Le trafic est au plus bas, les pertes s'accumulent, et la dette se creuse. Après avoir essuyé une perte nette de 2,5 milliards d'euros au premier semestre, le groupe ferroviaire prévoit une perte du même ordre au deuxième semestre. Ce qui portera donc à près de 5 milliards d'euros le niveau de perte nette en 2020, un an après avoir déjà perdu 800 millions d'euros en 2019 à la suite de la grève contre la réforme des retraites.
"Je n'aurais pas dit cela avant le confinement numéro 2, parce que le deuxième semestre aurait été moins mauvais, mais là, nous ne serons pas loin de faire fois deux", a déclaré ce mercredi le PDG de la SNCF Jean-Pierre Farandou, lors d'une audition devant la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.
Et de préciser :
"C'est autant d'argent qu'il faudra aller chercher sur les marchés financiers, car c'est autant d'argent qui manque dans les caisses."
En octobre, la SNCF a lancé avec succès un emprunt de 2 milliards d'euros sur trente ans.
La dette s'envole
Résultat, la dette de la SNCF, qui avait fortement décru du fait de la reprise par l'État de 35 milliards d'euros en janvier, repart à la hausse. "On voit la dette s'envoler", a concédé Jean-Pierre Farandou. Au premier semestre, la dette avait bondi de près de 3 milliards d'euros pour atteindre plus de 38 milliards d'euros.
Pour la réduire, il n'y a que deux solutions, selon Jean-Pierre Farandou : une recapitalisation par l'État et des cessions d'actifs.
Des cessions, mais pas d'actifs stratégiques
"Nous allons faire un bout du chemin avec des cessions", a rappelé le président de la SNCF, en précisant qu'il s'était opposé, au cours des discussions avec l'État sur ce sujet, à la vente de Keolis et de Geodis, deux filiales "au coeur de la stratégie du groupe".
Pour l'heure donc, seule Ermewa, la filiale de location de wagons, est en vente et la direction espère obtenir un chèque de 2,5 milliards d'euros. D'autres cessions sont en cours de réflexion. La participation à hauteur de 50% dans Akiem, une société de location de locomotives, en fait partie. Si la cession des actifs doit permettre de faire un bout de chemin, une recapitalisation devra donc permettre de faire le reste. L'État-actionnaire s'est déjà prononcé sur le sujet. En octobre, Martin Vial, le directeur de l'agence des participations de l'État (APE) avait indiqué que l'aide de l'État à la SNCF "passera par un renforcement des fonds propres". Interrogé ce mercredi sur les aides d'État, Jean-Pierre Farandou s'est néanmoins montré très prudent.
"Il faut être très attentif à des montages dans lesquels il y aurait une aide uniquement fléchée sur l'opérateur SNCF. Ce ne serait pas si simple pour obtenir les validations de Bruxelles", a-t-il dit.
Reconquête commerciale du TGV
Au-delà de ces opérations de renforcement de fonds propres, la SNCF prépare un gros chantier sur le plan commercial : celui de la relance du TGV, mis à mal par la crise sanitaire et par les changements de comportements des passagers. Depuis début novembre, seuls 25% des trains grande ligne circulent.
"Il faut que l'on retrouve un vent de conquête commercial pour nos clients", a martelé le président de la SNCF, qui veut retrouver des volumes de trafic importants, nécessaires pour supporter un modèle dont les coûts fixes sont élevés. Ceci alors que l'ouverture à la concurrence se profile et "qu'il faudra du temps pour retrouver les volumes de trafic d'avant-crise".
Ayant intégré dans ses prévisions des diminutions "de 10%,15%, 20% de sa clientèle affaires", la SNCF veut compenser ce manque à gagner "en allant chercher des volumes sur la clientèle privée de loisirs". Ce qui passera, selon Jean-Pierre Farandou, "par un ajustement des prix avec des prix plus accessibles, y compris au dernier moment".
À ses yeux, la SNCF doit "changer son logiciel tarifaire pour attirer plus de gens dans les TGV". Autrement dit, mettre fin à cette étiquette de prix élevés qui lui colle à la peau. Pour y parvenir, Jean-Pierre Farandou veut remettre en question les techniques de "yield management", un système de fixation des prix fondé sur la loi de l'offre et la demande qui permet d'optimiser les recettes. Dans un tel système, où la rareté se paye au prix fort, les dernières places en vente sont évidemment plus chères que les places disponibles à l'ouverture des réservations.
Prix maximum acceptable
"Aujourd'hui, si vous vous y prenez au dernier moment, vous n'avez plus de prix réduits, il n'y a que les prix maximum, et ils sont élevés. C'est pour cela que l'on se fait coller le sparadrap du TGV cher. Il faut changer cela", estime Jean-Pierre Farandou.
Dans cette logique, ce dernier a même évoqué l'idée d'un "prix maximum acceptable en seconde classe". Reste à le définir, ce qui ne sera pas une mince affaire. Une trame de cette nouvelle gamme tarifaire devrait voir le jour d'ici à l'été prochain. En tout cas, cette remise en cause du "yield management" fait sourire certaines personnalités du transport aérien, qui rappellent que les compagnies aériennes "rencontreraient de sérieux problèmes" si elles abandonnaient cette pratique. Paradoxalement, le débat dans le transport aérien porte sur l'instauration d'un prix minimum pour éviter la vente de billets trop bas.
Parmi toutes les cibles visées, Jean-Pierre Farandou souhaite notamment attirer davantage les "séniors actifs", qui constituent à ses yeux un "gisement important de trafic".
"Nous ne sommes pas assez orientés en matière de services sur ce segment de clientèle qui ne demanderait pas mieux que de prendre le train. À nous d'aller les chercher par des services de porte-à-porte, de prise en charge des bagages... On doit être plus à l'écoute de cette clientèle."
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