« Voyager est la première chose que les gens veulent faire » (Johan Lundgren, DG d’Easyjet)

Venu en France à l'occasion des 20 ans de la base d'Orly, le directeur général d'Easyjet a exposé pour La Tribune sa vision du marché européen du transport aérien, depuis le dynamisme de la demande jusqu'aux enjeux de décarbonation. Johan Lundgren a aussi livré un bilan de sa compagnie qui semble enfin repartir sur le chemin de la rentabilité après avoir enchaîné les pertes depuis la pandémie.
Léo Barnier
Le directeur général d'Easyjet, Johan Lundgren, se veut très confiant sur l'été qui arrive et la croissance à long terme du transport aérien.
Le directeur général d'Easyjet, Johan Lundgren, se veut très confiant sur l'été qui arrive et la croissance à long terme du transport aérien. (Crédits : Easyjet)

LA TRIBUNE - Comment voyez-vous la période qui arrive ? Le printemps et l'été ?

JOHAN LUNDGREN - Easyjet est entrée dans la pandémie comme l'une des compagnies aériennes les plus fortes. Elle en ressort de la même façon. Avec la pandémie, nous avons clairement saisi l'opportunité d'améliorer tous les aspects de la compagnie, ce qui s'est traduit par une réduction de notre déficit avant impôts d'au moins 120 millions de livres sterling (136 millions d'euros) dans nos résultats cet hiver. Nous constatons que la demande est très forte, y compris pour cet été. Notre activité a déjà dépassé le niveau de 2019 dans de nombreux endroits. Nous avons enregistré 60 % de réservation pour le troisième trimestre (avril à juin), et 30 % pour le quatrième (juillet à septembre). Il s'agit de niveaux similaires à ceux d'avant la pandémie. Pour le troisième trimestre, les recettes sont conformes à ce qui était prévu, soit une augmentation de 20 % par rapport à l'année dernière grâce à une combinaison de taux de remplissage, de services auxiliaires et de rendement des billets.

Pensez-vous qu'il s'agit toujours d'une demande en suspens pendant la pandémie qui s'exprime aujourd'hui ou d'une nouvelle demande structurelle forte ?

Je pense que c'est en partie un mélange des deux. Il est clair que les gens n'ont pas eu l'occasion de partir en voyage autant qu'ils le souhaitaient auparavant. Il faut aussi être attentif et se demander dans quelle mesure les économies réalisées tout au long de la pandémie ont été épuisées. Certaines banques estiment que 50 % de ces économies ont été dépensées.

Mais il y a aussi certaines choses qui ont définitivement changé dans le comportement des gens. Alors que la crise du coût de la vie est bien réelle pour beaucoup de gens et que le revenu disponible d'un grand nombre de ménages a diminué, les priorités sont encore plus fortes qu'auparavant : voyager est la première chose que les gens veulent faire plutôt que d'acheter des biens matériels ou améliorer leur maison après être restés chez eux pendant si longtemps.

Et dans les périodes difficiles, nous savons que les gens sont toujours attirés par la valeur, le meilleur rapport qualité-prix et les marques en lesquelles ils ont confiance. C'est la force principale qu'offre Easyjet à ses clients et la raison pour laquelle nous enregistrons un si grand nombre de réservations pour l'été. Je pense donc que la demande restera forte.

A l'inverse, il y a l'incertitude qui entoure les facteurs macroéconomiques, les événements géopolitiques et les éléments qui échappent à notre contrôle. Les perturbations causées par les grèves ne sont pas utiles et pourraient avoir un effet très négatif sur la demande. Et c'est pourquoi je suis si contrarié par les grèves des contrôleurs aériens français qui ont impacté 10 millions de passagers selon Eurocontrol. Nous ne remettons pas en cause le droit de grève, mais nous demandons au gouvernement et au régulateur d'augmenter le niveau de service fourni pour permettre aux vols d'avoir lieu et protéger les survols.

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Vous mentionnez l'impact des grèves sur vos opérations. Mais craignez vous des perturbations comme celles rencontrées l'an dernier, qui vous ont conduit à annuler de nombreux vols.

Nous avons beaucoup investi dans la résilience. L'année dernière a été difficile pour l'ensemble du secteur, avec une pénurie de personnels. Nous avons commencé à recruter dès la fin de l'été dernier pour nous assurer que nous disposions d'un nombre suffisant de personnes afin de pouvoir mener des opérations robustes.

Nous disposons désormais de toutes les ressources nécessaires. L'expérience que nous avons eue avec nos clients à Pâques a été très bonne. C'est l'une des meilleures expériences que nous ayons eues à cette période, malgré les grèves du contrôle aérien en France qui ont entraîné des perturbations sur l'ensemble du réseau.

Comment le marché français peut-il contribuer à votre développement pour cet été ?

La France est un marché d'une importance stratégique absolue. Nous considérons qu'il s'agit de l'un de nos marchés domestiques. Nous voyons qu'il y a de la place pour croître et nous voulons continuer à le faire. Nous sommes très fiers d'être en France. Je suis ici aujourd'hui parce que nous célébrons le 20e anniversaire de la base d'Orly. Nous avons sept bases en France et 250 liaisons dont une centaine que nous sommes les seuls à assurer. Il n'y a pas d'autre concurrence. Nous représentons donc une part importante de la connectivité en France et en particulier dans les régions.

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Malgré ces améliorations, easyJet reste déficitaire là où d'autres compagnies font des bénéfices importants. Comment expliquez-vous un tel décalage ?

La différence s'explique très simplement par le fait que nous avions plus d'activités que toutes les autres compagnies aériennes sur le marché britannique, où les restrictions de voyage ont été les plus préjudiciables. N'oubliez pas que l'Europe volait à l'été 2021, alors que les dernières restrictions de voyage au Royaume-Uni n'ont été supprimées qu'en mars 2022. Avant cela, il était impossible de voyager n'importe où, ce qui nous a été préjudiciable du fait que nous sommes la plus grande compagnie aérienne du Royaume-Uni. Mais j'ai toujours dit que lorsque les restrictions de voyage seraient levées, nous reviendrons en force. Et nous revenons en force. C'est ce que l'annonce sur les prévisions d'avant-hier visait à faire. Il s'agit donc simplement d'une question de timing.

Pensez-vous retrouver le chemin de la rentabilité cette année ?

 Oui, absolument. Avant-hier (mardi), nous avons revu à la hausse nos chiffres pour notre exercice 2023 (qui prendra fin au 30 septembre, NDLR). Avant cette mise à jour, le marché s'accordait à dire que nous devrions réaliser un bénéfice avant impôt de 260 millions de livres pour cette année. Nous sommes désormais confiants pour dire que nous allons dépasser ce chiffre. Il est encore trop tôt pour donner des indications précises sur ce que le résultat final devrait être, mais nous sommes convaincus qu'il sera supérieur aux 260 millions de livres prévus par le marché.

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Y a-t-il tout de même un risque de déficit sur cet été en dépit des volumes de trafic attendus ? Avec une explosion des coûts par exemple.

Je ne pense pas que ce soit le cas. Nos coûts sont déjà très bien couverts, par exemple pour le carburant et les devises étrangères. Nous ne pensons donc pas qu'il s'agisse d'un risque majeur. Le risque que nous avons signalé dans notre déclaration d'hier est davantage lié à des facteurs macroéconomiques, à des événements politiques, à des choses qui échappent à notre contrôle et qui peuvent réellement affecter la demande à court terme. Nous l'avons vu au cours des trois dernières années avec la pandémie et la guerre en Ukraine. Beaucoup de choses peuvent arriver. Malgré cela, nous sommes convaincus que ce niveau de demande va nous permettre de passer un bon été.

Comment voyez la solidité du transport aérien européen en cette sortie de crise ? Y a-t-il encore beaucoup de fragilités ?

Nous constatons aujourd'hui qu'il y a une forte demande, avec la plupart des compagnies aériennes qui indiquent que les chiffres se redressent. Je suis très confiant quant à la position d'Easyjet et je pense que nous en bénéficierons particulièrement.

A l'inverse, les compagnies aériennes inefficaces avant la crise seront encore plus inefficaces maintenant. Il n'est pas réaliste de penser que des compagnies aériennes qui misent sur des prix très élevés, le long-courrier et la classe affaires pourront continuer à le faire. Ce sont nos principaux concurrents, nous aimons les affronter et nous continuerons à le faire. Beaucoup de transporteurs traditionnels ont aussi des filiales alternatives soi-disant à bas prix, mais nous avons amélioré notre position concurrentielle et nous serons encore plus compétitifs après cette pandémie.

Le marché sera relativement tendu du point de vue de l'offre en raison des problèmes de livraison de Boeing et d'Airbus. Vous ne verrez donc pas un acteur exploser en termes de capacités, parce que ces capacités ne sont pas là. C'est donc quelque chose qui pourrait être différent des fois précédentes, au sortir d'une période économique difficile. La principale limite à la croissance pourrait venir d'ici.

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Cela peut-il donner lieu à des concentrations ?

Beaucoup de gens envisagent une consolidation selon un modèle proche des Etats-Unis. J'ai du mal à voir cela arriver de cette manière, avant tout parce qu'il y a un grand nombre de compagnies aériennes qui sont soutenues, connectées et détenues par les gouvernements. En termes purement commerciaux et d'économie de marché, certaines d'entre elles n'auraient probablement pas pu survivre si elles n'avaient pas été soutenues. Je ne pense pas que l'intervention des pouvoirs publics soit près de s'arrêter. Le type de consolidation organique que l'on pourra observer sera donc limité. Alitalia en fut l'exemple pendant de nombreuses années.

Les autres acteurs comme nous sont très confiants dans leur capacité à se développer en propre. Nous faisons en sorte de n'avoir besoin de personne d'autre. Certes, n'importe quel dirigeant se doit d'évaluer une transaction qui apporte de la valeur aux actionnaires avec un minimum de risque. Mais, il est beaucoup moins probable que ces choses ne se produisent que certains ne le pensent.

En 2021, Easyjet avait dévoilé avoir fait l'objet d'une offre d'achat non sollicitée - possiblement de la part de Wizz Air - et l'avoir rejetée en raison d'un prix insuffisant. Pensez-vous être toujours une cible potentielle pour une fusion-acquisition ?

Nous avons reçu une offre de la part d'une société, mais il n'a jamais été confirmé de quelle société il s'agissait. C'était une offre opportuniste à un moment où le prix de nos actions était très bas. Nous l'avons évaluée très soigneusement et nous l'avons rejetée parce qu'elle n'apportait pas de valeur à nos actionnaires. Elle n'était pas recevable dans ces conditions. Et le soumissionnaire s'est retiré.

La capitalisation boursière d'Easyjet s'élève aujourd'hui à environ 4 milliards de livres et le prix de l'action a augmenté de quelque 60 % depuis le 1er janvier. Nous avons fait beaucoup d'efforts pour nous transformer à bien des égards. Cela n'a pas été facile, mais les investisseurs voient désormais comment la compagnie est capable de voler sans restrictions et cela a un effet sur le prix de l'action.

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Que pensez-vous de la décision française d'interdire les vols en cas d'alternative en train de moins de 2h30 ou celle des Pays-Bas de réduire l'activité sur l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol ?

La suppression des vols n'a pas eu d'impact sur nous parce que nous n'avions pas de vols de cette nature. Mais je tiens à dire qu'il est injuste et incorrect de dire que les émissions de carbone proviennent majoritairement de l'aviation court-courrier. La moitié de toutes les émissions de carbone de l'aviation en Europe proviennent des 6 % seulement de vols long-courriers. Si vous voulez vraiment vous attaquer à la décarbonation, vous devez immédiatement vous pencher sur les vols long-courriers. Il faut aussi chercher à inciter les compagnies les plus efficaces ou pénaliser celles qui ne le sont pas. Nous sommes 15 à 20 % plus efficaces que les compagnies aériennes traditionnelles avec l'introduction de nouveaux avions, et je pense que les gouvernements devraient vouloir encourager cela.

Je soupçonne que le plafonnement à Amsterdam-Schiphol est dû à une mauvaise gestion de l'aéroport. Pourquoi ne pas vouloir croître et augmenter la connectivité, avec tous les avantages que cela apporte, pour encourager financièrement la décarbonisation et permettre une transition plus rapide de cette industrie ? Je pense que c'est purement dû au fait qu'ils n'ont pas été capables de gérer les capacités dans l'ensemble.

Sur le plus long terme, pensez-vous que les compagnies aériennes puissent financer la transition écologique tout en préservant la volonté de démocratisation du transport aérien ?

Le coût de la transition doit être supporté par un grand nombre de parties prenantes. L'industrie ne peut pas le faire toute seule. Il faut donc que les gouvernements fassent des efforts pour investir dans les énergies renouvelables, comme l'hydrogène vert, dans les carburants aéronautiques durables (SAF), et qu'ils introduisent enfin la modernisation de l'espace aérien européen. Nous devons veiller à ce que des mesures incitatives soient mises en place pour que les entreprises privées se lancent dans ce secteur des technologies zéro émission, qui sera une industrie à part entière. C'est une chance inouïe pour n'importe quel pays de prendre les devants dans ce domaine. Et, bien sûr, l'industrie et les compagnies aériennes joueront leurs rôles en continuant d'investir, tout comme nous dépensons déjà des milliards de livres dans le renouvellement de notre flotte. Nous payons donc déjà pour cette transition.

Il y a aussi un certain nombre de taxes, très inefficaces, qui ne font rien pour décarboniser l'industrie. Très peu de ces taxes dites environnementales vont réellement dans des projets de décarbonation et servent plutôt à combler les déficits des budgets gouvernementaux. Il y a donc beaucoup de choses à faire, mais les solutions existent, elles sont réalistes et crédibles, et la transition n'a besoin que d'être mise en œuvre.

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Léo Barnier

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Commentaires 6
à écrit le 20/04/2023 à 11:00
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Voyager...mais pas avion. Au fond pour aller voir quoi? Que c'est souvent pire que chez nous ? Le voyage est bien autre chose que le transport et les "vacances" all inclusive low cost dans les usines à touristes.

à écrit le 20/04/2023 à 10:59
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"Voyager est la première chose que les gens veulent faire" Yes.. prendre une petite tente un sac à dos des bouquins (important) et marcher le long des canaux historiques français, c'est d'une beauté fabuleuse.. Certes il y a la solution vélo mais c'e...

à écrit le 20/04/2023 à 9:50
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Prendre l’avion, un luxe de riches : un Français sur quatre a pris l’avion, et seuls 4 % l’ont pris régulièrement vers un autre pays européen . C’est l’un des résultats du rapport publié par l’ONG britannique Possible.L’étude détaille, pays par pays,...

à écrit le 20/04/2023 à 9:02
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Plus on se trouve mal chez soi, plus on a envie d'aller voir ailleurs et surtout se raconter ! ,-)

le 20/04/2023 à 11:02
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@Bah. Surtout à se LA raconter...la jolie histoire, les vacances de rêve: un cauchemar🤕

le 20/04/2023 à 13:45
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"plus on a envie d'aller voir ailleurs" et se rendre compte qu'on est mieux chez soi... :-) Quand on ne bouge pas on ne s'en rend pas compte et bougonne dans son coin. :-) On peut aller camper à 30km de chez soi et se croire beaucoup plus loin, coup...

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