Il est là, à la barre du tribunal, les épaules légèrement voûtées, le visage statufié comme au premier jour du procès. À la lecture du jugement, Jacques Poujol, l'ex-dirigeant de Spanghero, un des principaux prévenus dans l'affaire des lasagnes à la viande de cheval, reste impassible, donnant l'impression que le verdict n'a pas de prise sur lui. Le Tribunal correctionnel de Paris vient pourtant de prononcer à son encontre une peine de prison de deux ans, dont dix-huit mois avec sursis, la confiscation de 100.000 euros et, surtout, l'interdiction d'exercer dans le domaine de la viande pendant deux ans. Ce qu'il redoutait par-dessus tout. Six ans après le début de l'affaire Spanghero, le temps de la justice est donc venu. Les faits, on les connaît. L'information a été diffusée en boucle au creux de l'hiver 2013. Un vaste trafic de viande de cheval vendue pour du bœuf avait été mis au jour après qu'un agent irlandais de la répression des fraudes, intrigué par des steaks hachés vendus au rabais, ait décidé d'en analyser la composition.
L'enquête révélera une escroquerie à grande échelle portant sur 50.000 tonnes de viande de cheval vendue en Europe et transformée en 4,5 millions de plats cuisinés. Durant trois semaines, en février, quatre hommes ont comparu devant le Tribunal correctionnel de Paris. Jacques Poujol et Patrice Monguillon, les deux anciens dirigeants de l'entreprise Spanghero, basée à Castelnaudary dans l'Aude, sont soupçonnés d'avoir vendu sciemment 500 tonnes de viande de cheval au prix du bœuf à Tavola, une filiale de Comigel, sous-traitant de Findus et Picard. Et de s'être entendus, pour cela, avec deux intermédiaires néerlandais Johannes Fasen et son acolyte, Hendricus Windmeijer. Campés à la barre du tribunal, tous ont nié la fraude intentionnelle. Encore moins la préméditation.
Litanie de négligences
Le procès a permis de révélerce que cette industrie trimballe de mauvaises pratiques. Chez Spanghero, on faisait valser les étiquettes des paletettes de viande où figurent des informations précieuses comme le lieu de naissance, d'élevage et d'abattage des animaux; on changeait les codes douaniers qui précisent la nature et l'espèce de la viande; on modifiait les données saisies dans le système informatique. Bref, une entreprise où la traçabilité était « méticuleusement torpillée », a fustigé le procureur. En garde à vue et au cours du procès, les dirigeants de l'entreprise n'ont eu de cesse de présenter les faits qui leur sont reprochés comme une série de maladresses. Seulement, il n'y a pas eu qu'une litanie de négligences. Il y a tous ces clignotants qui sont censés alerter les dirigeants et qui ont été, ici, superbement ignorés. Comme le tarif auquel la viande a été achetée au trader néerlandais : 2,55 euros le kilogramme en moyenne, bien en deçà du tarif du marché. À ce prix-là, la moindre des choses, c'est de redoubler de vigilance. « Il n'y a pas de mystère : quand c'est pas cher, c'est qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond », décrypte un agent de la répression des fraudes présent à l'audience.
Le plus inquiétant dans cette affaire, c'est qu'aucun contre-feu n'a fonctionné. Les pouvoirs publics n'ont de cesse de répéter que la France dispose d'un des meilleurs systèmes de sécurité sanitaire des aliments. Sur le papier, c'est vrai. Mais dans la pratique, il en va tout autrement. Si la fraude est passée inaperçue pendant tant de mois chez Spanghero, c'est parce que les dirigeants de la coopérative basque Lur Berri, propriétaire de Spanghero, avaient accordé à Jacques Poujol tous les pouvoirs. C'est lui qui a créé de toutes pièces l'activité de négoce dans un ancien entrepôt frigorifique à l'écart de l'usine de cassoulet, de steaks hachés et de merguez; lui seul qui en assurait la gestion; lui encore qui était l'unique interlocuteur du trader néerlandais Johannes. Fasen à qui il passait ses commandes d'un simple coup de fil; lui, enfin, qui était en charge du contrôle qualité. Faut-il que certaines entreprises agroalimentaires soient inconscientes pour jouer de la sorte avec la santé des consommateurs? Depuis l'affaire de la vache folle, un ensemble de règlements européens - le Paquet hygiène - entrés en application en 2006, rend les entreprises responsables des produits qu'elles mettent sur le marché.
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Avant même de fabriquer la première barquette de viande, de vendre le premier steak haché, de distribuer le premier litre de lait, les opérateurs doivent pouvoir justifier qu'ils ont identifié les risques auxquels ils sont exposés et qu'ils les maîtrisent. Pour cela, ils doivent effectuer des contrôles, auditer leurs fournisseurs, procéder à des analyses bactériologiques, physico-chimiques, d'ADN, etc. Ça vaut autant pour Spanghero que pour Tavola, Findus et Picard. À la barre du tribunal, Marie-Claude Boucher, enquêtrice à la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires (partie depuis à la retraite), a été formelle : une décongélation des pains de viande à réception aurait permis à Tavola de découvrir, sans méprise, que les livraisons de Spanghero portaient sur du cheval, identifiable par sa couleur sombre, son odeur et son gras jaune et huileux. Quant à Findus et Picard, s'ils avaient correctement audité leur fournisseur, ils auraient pu constater que les codes douaniers avaient été changés et la traçabilité perdue. Ils auraient aussi découvert accessoirement que leur cahier des charges n'était pas toujours respecté concernant l'origine des viandes.
Pratiques interdites
Inquiétant quand on pense, qu'au final, c'est le consommateur qui subit le préjudice de ces scandales alimentaires. À ce propos, le montant des dommages et intérêts prononcés par le tribunal dans l'affaire Spanghero laisse perplexe. Il s'agit pourtant là « d'une des plus importantes fraudes alimentaires de ces dernières années », a souligné le procureur. Or, les associations de consommateurs percevront ensemble 10.000 euros. C'est peu comparé aux 60.000 euros obtenus dans une autre affaire, moins médiatisée, celle de la Cooperl, le leader français du porc, condamné en 2015 pour avoir falsifié à grande échelle des analyses de recherche de salmonelles.
L'explication tient peut-être dans le fait qu'« il n'y a pas eu mort d'homme » dans l'affaire de la viande de cheval. Combien de fois a-t-on entendu cette petite phrase du côté de la défense pendant le procès ? Mais il s'en est fallu de peu. L'enquête a révélé que de la viande de mouton séparée mécaniquement avait été utilisée dans la fabrication des merguez. Une pratique inter-dite en raison des risques de présence de prion. L'agent infectieux en cause dans l'affaire de la vache folle...
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