
Cet édito est la version Web de notre newsletter « Votre Tribune de la semaine », à recevoir chaque samedi dans votre boîte e-mail, dès 8 heures.
___
Retour des Gilets Jaunes annoncé à Paris ce samedi 7 janvier - à voir si la mayonnaise reprend comme à l'automne 2018 -, « giletjaunisation » d'une société plus polarisée et fragmentée que jamais, montée en force d'un néo-poujadisme boulangiste, qui rouvre la boîte de Pandore du « quoi qu'il en coûte », au grand dam de Bruno Le Maire. Le patron de Bercy obligé d'avaler encore quelques couleuvres budgétaires pour atténuer la hausse des prix de l'énergie a même dû s'ériger en père-la-rigueur lors de sa cérémonie de vœux, pour freiner les tentations de ceux qui veulent rouvrir un guichet sans limite : 2023 s'annonce sous les meilleurs auspices et commence par l'ouverture sans surprise d'un front social à l'ampleur encore imprévisible, objet de toutes les attentions du pouvoir.
Rendez-vous est pris pour le 10 janvier, pour l'ANNONCE, très prévisible celle-là, d'un report de l'âge de la retraite, probablement à 64 ans, à moins que ce soit 65, comme certains jusqu'au-boutistes continuent à le préconiser à l'Elysée (quitte à prendre un risque de grève, autant y aller à fond, argumentent-ils), mâtiné d'allongement à 43 ans - maximum -, promet Elisabeth Borne, de la durée de cotisation. Le gouvernement pense même, raconte Fanny Guinochet, à une carambouille en envisageant de ponctionner, contre relèvement des cotisations employeurs, la Caisse (excédentaire) des accidents du travail, pour financer certaines mesures de compensation comme la retraite à 1.200 euros minimum pour tous. Bientôt, c'est le Medef qui manifestera dans la rue contre la réforme. Le patronat regarde surtout de très près les mesures sur la pénibilité et sur les carrières longues qui pourraient bien pénaliser la métallurgie et le bâtiment notamment.
Impossible de dire si la mobilisation promise par les syndicats unanimes sera aussi importante qu'à l'hiver 2019-2020, mais à l'image de la météo, tout laisse penser que l'hiver 2023 sera chaud. Et une chose semble sûre, la réforme, pour passer avec les voix de LR sans blocage du pays, coûtera cher à Macron. Pas sûr que ce soit une si bonne affaire budgétaire. Un bon connaisseur des multiples réformes des retraites rappelle celle de Nicolas Sarkozy, qui a fini par coûter plus cher qu'elle n'a rapporté. Reste le symbole fort du relèvement de l'âge, exigence de Bruxelles, et possible solution pour forcer les entreprises à garder les seniors dans l'emploi. Et, si le tabou des 64 ans saute, pourquoi pas 65 voire 67 ans un jour...
Certes, l'inquiétude sur l'état de l'économie, la poursuite de la guerre, ne favorise peut-être pas des manifestations monstres à plus d'1 million de personnes. Mais la promptitude de l'exécutif à traiter la question des factures d'électricité des boulangers et la montée des demandes des autres professionnels notamment la restauration donne la mesure de la crainte d'une coalition des colères et des luttes sur front de poussée de l'inflation.
La séquence « rembourse-moi idiot » qui a émaillé la semaine dernière est de fait assez édifiante. Il n'y avait pas besoin de faire l'ENA pour se douter que les entreprises qui avaient dû renégocier leurs contrats avec leurs fournisseurs d'énergie aux prix de la fin de l'été et du début de l'automne, lorsque gaz et électricité étaient aux plus hauts, allaient voir arriver la facture en janvier. Pourquoi avoir donc attendu ce début d'année pour agir et tenter de tordre le cou des méchants profiteurs de crise, pour dénoncer l'inefficacité du fameux numéro vert censé permettre aux petites TPE de demander le bénéfice de « l'amortisseur » promis.
On a donc vu se jouer une grande scène du deux, de Bercy avec Bruno Le Maire à un Elysée avec Macron appelant lesdits fournisseurs à renégocier. Mais comment faire alors que ces derniers ont eux-mêmes acheté leur électricité au prix fort ?, explique Marine Godelier. Impossible de faire bénéficier les petites PME des prix du gaz et de l'électricité de ce début d'année qui ont miraculeusement reflué à leurs plus bas depuis un an grâce au redoux hivernal et à l'efficacité des équipes d'EDF qui ont rétabli suffisamment de réacteurs nucléaires pour nous faire espérer éviter le black-out, cette année du moins ?
Pas du tout, a-t-on découvert vendredi avant le 20h00 : TotalEnergies a anticipé en s'engageant à revoir à la baisse les contrats des petites entreprises. Un bon coup de com' pour Patrick Pouyanné qui réédite le coup de la ristourne qui avait fait se précipiter les automobilistes dans les stations-service du groupe. Combien ont depuis pris la carte de fidélité ? Et quelques heures plus tard, vendredi soir, Bruno Le Maire annonçait que 600.000 très petites entreprises bénéficieront d'un bouclier tarifaire pour l'électricité en 2023. Les fournisseurs vont garantir que le prix payé en 2023 n'excédera pas 280 euros le mégawattheure en moyenne sur l'année, a annoncé le ministre de l'économie après une rencontre avec les principaux acteurs du secteur. Une « excellente nouvelle pour tous les boulangers, tous les artisans, tous les bouchers, toutes les lingeries, tous les restaurateurs qui avaient commencé à signer ou avaient déjà signé des contrats qui pouvaient être de 300, 350, 400 euros ». On ne sait pas encore bien comment l'Etat et les fournisseurs se partageront la ristourne, mais tout est bien qui finit bien. La peur d'une révolte des petits commerçants ou d'une jonction avec les Gilets Jaunes, voire d'une récupération par les extrêmes, a eu raison une fois de plus de la rigueur budgétaire. Qui prendra la paume ? C'est nous, d'une façon ou d'une autre ! Et ce n'est sans doute pas fini car désormais, les PME demandent le même plafonnement que les TPE au nom de... la concurrence, ou plutôt des distorsions de concurrence entrainées par cette intervention de l'Etat. Comme quoi, qui veut faire l'ange, fait souvent le bête !
Parmi les événements de ce début d'année, il faut noter un fait historique : la fin des taux négatifs partout dans le monde. Les taux à dix ans français ont aussi franchi en ce début d'année les 3% ce qui va commencer à être un sujet pour financer notre dette publique qui vient de passer la barre des 3.000 milliards d'euros. Rassurons-nous, selon le Gouverneur de la Banque de France, les taux d'intérêt de la BCE devraient atteindre un pic d'ici à l'été, en même temps que l'inflation. Si cette prédiction se réalise, François Villeroy de Galhau sera bien l'un des hommes de l'année.
L'autre homme de ce début d'année, c'est Bruno Le Maire, qui pour sa sixième année à Bercy a défendu devant la presse et les milieux économiques son plan pour remporter les trois défis de 2023, à savoir l'inflation, l'industrie verte et le rétablissement des finances publiques. Compte tenu de ce qui précède et notamment de la hausse des taux d'intérêt, ces défis sont surhumains car en partie contradictoires. La lutte contre l'impact de la crise énergétique va coûter un pognon de dingue et oblige à soutenir les ménages les plus modestes durablement sauf à risquer que les Gilets Jaunes se rappellent « au roi, à la reine et au petit mitron » ; le futur projet de loi sur la transition verte de l'énergie va nécessiter des investissements de dingue, évalués par le Medef à 75 milliards d'euros par an ; et financer tout cela par une maîtrise de la dépense publique, c'est bien beau, mais comme me le disait un des témoins du discours de BLM, « la rigueur, cela ne s'annonce pas à grand bruit, cela se pratique humblement et en silence »...
Sujets les + commentés