Réindustralisation : la réforme 100% santé pénalise la production de lunettes en France, dénoncent les industriels

Le 21 juin dernier, au siège industriel d’Atol, situé à Beaune, Éric Plat, PDG de l’enseigne, a reçu, la médaille de l’Ordre national du Mérite. Entouré de ses partenaires locaux, il a dénoncé la difficulté de produire des lunettes françaises sur le territoire. Notamment depuis la réforme « 100% santé » optique, en vigueur, depuis le 1er janvier 2020.
(Crédits : AMANDINE IBLED)

Sur le principe, l'idée de la réforme « 100% santé » n'est pas contestée par les fabricants. Et pour cause, il s'agit de rendre les lunettes accessibles à tous les Français. « Même si dans les faits, seuls 3 à 5% de la population est réellement concernée par cette réforme », précise Éric Plat, PDG d'Atol. Le marché reste en constante augmentation, en raison du vieillissement de la population et de l'exposition intensive aux écrans.

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« Près de 80% de la population porte des lunettes, contre 50% dans les années 1980 », note Éric Plat. Avant cette réforme et durant 30 ans, les opticiens proposaient des collections de lunettes éligibles aux clients bénéficiant de la CMU (couverture maladie universelle). Avec la réforme du « 100% santé », la prise en charge des lunettes a évolué.

Le 100% santé, « un accélérateur d'importation de lunettes chinoises »

Depuis le 1er janvier 2020, il existe deux classes pour les équipements optiques. La classe A est sans reste à charge (offre 100% Santé). La classe B prévoit des prix libres (hors offre 100% Santé), avec une prise en charge des montures, dans la limite de 100 euros par les assureurs complémentaires. Concrètement, chaque opticien doit présenter dans son point de vente au moins 54 montures à un prix inférieur ou égal à 30 euros.

Dans la pratique, les fabricants de lunettes en France, principalement situés dans le Jura et à Oyonnax, dénoncent « un accélérateur d'importation de lunettes chinoises » et une « paupérisation de la classe moyenne », moins bien remboursée.

« Pour répondre aux critères de la réforme, nous sommes passés de quasiment 0 à 17% de lunettes importées de Chine », constate Jean-Philippe Guilbert, directeur commercial de Morel, un lunetier jurassien basé à Morbier. « Et le gouvernement souhaiterait encore augmenter la part en passant à 30% dans les années à venir ! », poursuit-il, indigné.

Des contraintes croissantes pour les fabricants

À cheval entre le ministère de la Santé et celui de l'Industrie, la filière des lunetiers ne sait plus sur quel pied danser. D'un côté, le 100% santé détruit des emplois locaux, assure-t-elle, de l'autre, le souhait de réindustrialisation prône le retour à l'emploi industriel sur le territoire.

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Le PDG d'Atol pointe le manque de cohérence entre le discours des pouvoirs publics sur la réindustrialisation et cette réforme : « Le gouvernement a mobilisé un millier de fonctionnaires (...) pour contrôler les opticiens. Dans l'un des magasins, il manquait 7 montures sur 54, toutes forcément importées de Chine, l'opticien a dû payer une amende de 500 euros... »

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Non seulement, la France a perdu en capacité de production, mais les fabricants de montures ont du mal à rester compétitifs, compte tenu de l'accumulation de contraintes réglementaires.

« Certaines laques de traitement de surface ne sont plus autorisées en France, et nous sommes obligés d'utiliser des laques de moins bonne qualité pour répondre aux exigences réglementaires. En revanche, une monture qui a subi un laquage en Chine avec des produits interdits en France passe le contrôle qualité CE et peut être vendue en France », s'insurge Henri Grasset, président de la marque éponyme à Oyonnax en Rhône-Alpes.

Des solutions espérées

Force de proposition, la coopérative de lunettes, Atol, a envoyé une lettre gouvernement, afin d'envisager une baisse de la TVA à 5%, afin de soutenir la filière en France. « Nous sommes le seul produit de santé en France à être taxé à 20%, quand l'audio l'est à 5% », dénonce Eric Plat.

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Autre proposition, accélérer le choc de simplification, proposé par le gouvernement Hollande. « Si pour une nouvelle réglementation, on en supprimait deux à chaque fois, ou qu'on donnait une durée de vie à une loi de 10 ans maximum avant d'être revue, comme en Angleterre, on pourrait redonner de l'air à nos industries », suggère Éric Plat.

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