Voiture électrique : en Île-de-France un déploiement des bornes de recharge en ordre dispersé

ENQUÊTE 4/5. Quatrième volet de notre série de cinq enquêtes sur le business complexe des bornes de recharge électrique, publiées chaque jour depuis lundi jusqu'à vendredi. La Tribune propose un état des lieux de chaque région en présentant leur feuille de route. Instaurée par la métropole, la zone à faible émission du Grand Paris interdira à horizon 2024 la grande majorité des véhicules à essence et l'ensemble des diesels à Paris et en petite couronne francilienne. Alors que la demande progresse, la région, la métropole et la capitale assurent qu'elles ont déjà accéléré le déploiement de bornes de recharge électrique, quoique chacune dans leur coin. Le retour du banni Total, qui reprend les bornes Autolib', pourrait contribuer à la réussite du développement.
César Armand
Une voiture se rechargeant sur une borne de la métropole du Grand Paris.
Une voiture se rechargeant sur une borne de la métropole du Grand Paris. (Crédits : DR)

C'est l'une des premières décisions qu'a fait voter Valérie Pécresse, réélue présidente de la région Île-de-France. La nouvelle candidate à l'élection présidentielle a défendu un dispositif "visant à développer une vraie filière électrique", assure Yann Wehrling, le vice-président (UCE) du conseil régional chargé de la transition écologique, du climat et de la biodiversité. Dès le 1er octobre prochain, les Franciliens habitant en grande couronne (Seine-et-Marne, Yvelines, Essonne, Val-d'Oise) et travaillant dans la zone à faibles émissions (ZFE) pourront bénéficier d'une aide allant jusqu'à 6.000 euros pour acheter un véhicule propre ou convertir un véhicule thermique à l'électrique (retrofit, Ndlr).

Ces espèces sonnantes et trébuchantes viendront s'ajouter aux aides financières déjà mises en place par l'Etat et la métropole du Grand Paris dans le cadre du guichet unique primeàlaconversion.fr. Les demandeurs peuvent y déposer un seul et même dossier afin de bénéficier jusqu'à 13.000 euros pour l'achat d'un véhicule propre d'occasion et même jusqu'à 18.000 euros pour l'achat d'une voiture propre neuve. Dans le cadre du contrat de relance et de transition écologique signé avec le préfet de région début 2021, la métropole du Grand Paris, regroupant 131 communes de petite couronne, a également trouvé une solution pour les ménages les plus modestes : le micro-crédit. Garanti par l'Etat à hauteur de 50%, il donne accès à un prêt allant jusqu'à 5.000 euros sur une durée de cinq selon les conditions de ressources.

La grande majorité des diesel et essences bientôt bannie du périph'

Selon la région, le territoire compte déjà « environ 40.000 » véhicules électriques en circulation (soit 20% du total), particulièrement dans les Hauts-de-Seine, les Yvelines et Paris « totalisant à eux seuls 3% » du parc français. Autre information : les véhicules électriques et hydrogène ne représenteraient à ce jour qu'« environ 1% » de la flotte circulant sur le périmètre de la zone à faibles émissions du Grand Paris.

Si le conseil régional et la métropole accélèrent dans le déploiement des aides, c'est parce que le temps presse. D'ici aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, l'ensemble des véhicules diesel et la majorité de ceux à essence vont être progressivement bannis du périphérique, de la ville de Paris et des communes desservies par l'A86 du lundi au vendredi de 8 heures à 20 heures. Par exemple, depuis le 1er juin 2021, les Crit'Air 4, c'est-à-dire ceux roulant au diesel 1, 2 ou 3 de plus de 15 ans et à l'essence âgés de plus de 24 ans, sont exclus. Et ce avant les Crit'Air 3 en juillet 2022 et Crit'Air 2 en janvier 2024. Cela n'est pas sans poser des difficultés aux acteurs économiques équipés en véhicules utilitaires.

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A l'origine de cette zone à faibles émissions francilienne : non pas le conseil régional, mais la métropole du Grand Paris qui a adopté dès novembre 2018 son plan climat air énergie métropolitain. Comme quatorze métropoles françaises signataires en octobre 2018 d'un engagement en ce sens avec l'Etat, l'intercommunalité parisienne se fonde sur les données de Santé publique France selon lesquelles 6.600 Grand-parisiens meurent chaque année à cause de la pollution atmosphérique et même 400.000 respirent un air très pollué « dépassant la valeur limite annuelle en dioxyde d'azote ».

En Île-de-France, 27.000 bornes d'ici 2028

Pour assurer la transition énergétique du parc automobile en Île-de-France, le soutien à la demande est donc porté en partie par les collectivités, mais encore faut-il que les infrastructures de recharge des véhicules électriques suivent. Le mille-feuilles administratif du territoire - région, métropole, ville de Paris - suggère une synchronisation forte pour mailler efficacement le territoire. Le site Avere-France référence 5.653 points de recharge sur cet espace géographique. De son côté, la région en recense 4.000. Et d'après les données compilées par l'atelier parisien d'urbanisme (APUR), à fin mai, l'Île-de-France compterait ainsi 2.476 bornes, dont 1.847 à l'échelle de la métropole et 1.493 dans Paris intra-muros.

A la différence d'une borne de recharge, qui se reconnaît par son coffrage installé sur la voirie, le point de recharge est l'équipement - un câble par exemple - qui permet de recharger un véhicule à la fois. Ainsi, une borne peut abriter plusieurs points de recharge. Ce qui peut expliquer les différences de chiffres.

Dès novembre 2019, la collectivité régionale s'est fixé l'objectif de « proposer » 12.000 bornes d'ici à 2023. Une offre renchérie par Valérie Pécresse. Lors de la campagne des élections régionales, la présidente-candidate (Libres) a promis que 17.000 seraient installées d'ici à 2028, date de la fin de son deuxième mandat local.

A l'échelle de la métropole, le Grand Paris promet de déployer, sur son aire géographique d'ici à 2022, un réseau de 5.000 bornes de recharge - dont 2.582 sur les anciens emplacements Autolib'. L'appel à initiatives privées lancé le 26 juillet 2019 a conduit à la désignation du groupement d'entreprises Métropolis (ETotem, Spie City Networks et SIIT). Il déploie et exploite les infrastructures dès lors que les communes mettent à disposition les emplacements retenus. Les villes n'ont rien à payer et perçoivent même une somme de 5.000 euros par place de stationnement dès la mise en service, puis une redevance annuelle correspondant à la redistribution de 50% des résultats nets dudit groupement.

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Pour les usagers, le service est accessible « à tous » les véhicules électriques et hybrides rechargeables « à tous » les utilisateurs, abonnés ou non au service. Métropolis s'est également engagé à mettre en place un centre d'appel dédié 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 qui « assure un délai de réponse par un opérateur inférieur à une minute », affirme la métropole. De la même façon que la société lauréate a promis d'intervenir « en moins d'une heure » en cas de besoin.

Aux dires de l'intercommunalité, 34 communes sont « d'ores et déjà engagées » dans les implantations de 626 points de charge - 440 bornes. 39 autres villes sont « en discussion avancée » pour un potentiel de 1.300 points de charge - 900 bornes. Autrement dit, plus d'un quart - 1.340 - des bornes prévues par la métropole du Grand Paris se trouve dans les tuyaux.

Écarté des JO, Total gère les bornes parisiennes

Pour accélérer la mise en place des bornes de recharge, les élus du Conseil de Paris ont d'ailleurs voté, en novembre 2020, la reprise des anciennes stations Autolib' par Total Marketing France. Après avoir remporté un appel d'offres portant sur la modernisation et l'extension du réseau de la Ville, la filiale du géant pétrolier s'en est vu confier la gestion dans le cadre d'un contrat de concession de dix ans. En contrepartie, elle s'acquittera d'une redevance minimale garantie « de l'ordre de 2,9 millions d'euros en année pleine », précisait à l'époque la capitale.

Concrètement, elle s'est engagée à déployer, d'ici à septembre 2024, 1.830 nouveaux points de recharge, dont 350 avant le 1er janvier 2022. A plus long-terme, ce seront 2.329 points - 433 stations - qui seront rassemblés sous la marque « Bélib' ». Si les abonnés historiques d'Autolib' bénéficient du réseau jusqu'au 31 décembre 2021, ils peuvent déjà souscrire, comme les nouveaux entrants, aux trois catégories de tarifs - abonné résident, abonné non-résident ou visiteur - elles-mêmes adaptées aux trois puissances de recharge : « Flex », « Boost » et « Boost+ ».

La décision n'en reste pas moins étonnante. En 2019, la maire (PS) Anne Hidalgo faisait comprendre à son PDG que Total ne pourrait être sponsor des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. En assemblée générale le 29 mai 2019, Patrick Pouyanné avait rapporté que « la maire de Paris [avait] des doutes sur le fait que Total puisse contribuer à ces Jeux ». « Il n'est pas envisageable à mes yeux que Total puisse être un sponsor contre l'avis de la maire de Paris », avait ajouté le patron du groupe coté, espérant, « la convaincre que Total est à la fois une entreprise éthique et engagée dans la vie des énergies renouvelables ».

Depuis cette passe d'armes, les élus parisiens ont mis leurs querelles de côté. Ironie de l'histoire, David Belliard, président d'alors du groupe EELV, qui s'opposait au soutien de Total aux JO, est devenu après les élections de 2020 adjoint à la maire de Paris chargé de la Transformation de l'espace public, des Mobilités et des Transports. C'est lui qui a défendu l'offre de Total pour la reprise des stations Autolib', l'estimant « la mieux-disante, mais surtout il n'y a pas d'acteurs 100% énergie renouvelable en capacité de répondre à ce type de marché ». L'adversaire d'hier est devenu le copilote du déploiement des bornes de demain.

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