Avec l'avènement d'une révolution technologique aussi majeure que l'IA, mieux vaut se préparer plutôt que de subir. Et l'application de ce principe est particulièrement cruciale pour l'emploi. Dans son premier grand rapport publié ce mercredi, la Commission IA, nommée par le gouvernement en septembre dernier, s'est penchée sur le sujet.
D'emblée, l'étude postule un « effet positif sur l'emploi » dans les entreprises qui intègrent l'intelligence artificielle. Et d'insister que, globalement cette technologie « remplace des tâches, et non des emplois ». Dans la quasi-totalité des emplois (19 sur 20, selon le calcul de l'étude), il existerait des tâches que l'IA ne peut pas accomplir.
5% des emplois français menacés par l'IA
Quid alors du pourcentage des emplois directement remplaçables par l'IA ? En France, « ils ne représenteraient que 5 % », tranche cette recherche, qui pour rappel, a été concoctée par une quinzaine d'experts de haut niveau, chapeautés par Anne Bouverot, présidente du conseil d'administration de l'Ecole normale supérieure et Philippe Aghion, professeur au Collège de France. Pour les sociétés sujettes à des baisses nettes d'emplois, les chercheurs insistent par ailleurs pour qu'elles soient bien accompagnées par les pouvoirs publics.
Par ailleurs, les chercheurs précisent bien que la création ou la destruction d'emploi à cause d'une nouvelle technologie dépend de la prédominance de l'un ou l'autre des effets suivants : d'un côté l'éviction (si le travail d'un humain est clairement remplacé par une machine), ou au contraire, le gain de productivité du travail humain, permis de facto par la machine.
Les emplois administratifs et commerciaux sur la sellette
Quelles sont les entreprises dont les emplois sont les plus menacés par l'intelligence artificielle ? Si ce travail de la Commission IA demeure prospectif, il dégage tout de même quelques grandes tendances. « Les entreprises qui adoptent l'IA pour la gestion administrative ou le marketing voient leur emploi en professions intermédiaires administratives et commerciales diminuer », relève l'étude.
Dans un graphique, les experts estiment qu'entre 2016 et 2021, les structures ayant opéré ce type de changement ont perdu 10% de postes administratifs et commerciaux. Un autre graphique offre une photographie des métiers les plus susceptibles d'être remplacés. Parmi eux, figurent les télévendeurs, les comptables ou encore les secrétaires.
La fintech suédoise Klarna illustre cet effet négatif de l'IA sur ce type d'emplois. En juin 2022, la société spécialisée dans le paiement numérique fractionné, a annoncé le licenciement de 700 personnes (10% de son effectif de l'époque), notamment dans son service de relation client, en grande partie remplacé par un chatbot IA. Dans un communiqué publié fin février, Klarna s'est même vantée de son efficacité en affirmant que celui-ci était capable d'effectuer des tâches équivalentes à celles de 700 personnes. Si la fintech n'a évidemment pas fait de parallèle avec ce plan de licenciement massif, ce communiqué n'a pas manqué d'interroger de nombreux observateurs du secteur, et suscité des critiques sur les réseaux sociaux.
Les freelances et les professions intellectuelles pas épargnées
Ce travail de la Commission IA fait aussi un zoom sur l'impact de l'intelligence artificielle générative, dernière grande évolution du secteur IA. « ChatGPT a eu un effet négatif sur l'emploi et la rémunération des travailleurs américains free-lance », souligne à ce sujet l'enquête. Pour illustrer ce fait, les chercheurs s'appuient sur une étude américaine, parue en 2023.
Celle-ci s'est intéressée à une importante plateforme de missions ciblées sur des tâches de petite ou moyenne envergure au sein de plusieurs métiers (saisie de données, conception graphique, développement de logiciels, marketing, etc). « Elle met en évidence une baisse du nombre d'emplois et des revenus, y compris pour les actifs ayant une expérience plus importante, suite à la mise en service de ChatGPT en novembre 2022 », synthétise le rapport.
Les professions, dîtes « intellectuelles » (comme les journalistes, les juristes ou les interprètes) ont, certes, peu de chance d'être totalement supplantées par l'IA. Mais d'après l'étude, certaines de leurs tâches n'en demeurent pas moins exposées par l'IA générative. « Certains métiers de la connaissance, de la stratégie et de la créativité (médecins, enseignants, avocats, journalistes, artistes...), autrefois perçus comme des creusets de l'intelligence humaine, pourraient être concernés par une réduction du nombre total d'emplois », prévient d'ailleurs le rapport.
L'IA, facteur de productivité et... d'emploi ?
« Il est notamment probable qu'une entreprise innovante qui adopte l'IA deviendra plus productive que les entreprises du même secteur qui ne l'adoptent pas », avancent également les membres de la Commission IA, qui s'appuient sur une étude de l'Insee. D'après celle-ci, 391 entreprises françaises ayant adopté l'IA en 2018 auraient grandi davantage que d'autres entreprises non équipées.
Cet effet positif « résulte principalement de la création de nouveaux emplois, plutôt qu'un maintien plus important d'emplois existants », précisent les experts français. Selon cette logique, une productivité plus importante grâce à l'IA, permettrait à une société qui en est dotée d'engranger de nouvelles parts de marché, donc des bénéfices et in fine, du budget pour des nouveaux emplois.
La Commission IA précise également que le nombre d'emplois ayant un potentiel d'amélioration par l'IA (13,4%) est bien plus élevé que celui ayant un potentiel de remplacement par l'IA (5,1%). Et puisqu'en parallèle, l'IA permettrait une explosion de la croissance économique d'un pays, favorable à la création d'emploi, ses effets négatifs seraient plus que compensés.
L'IA pourvoyeur de nouveaux postes si... la formation est au rendez-vous
Autre fait noté par le rapport : le développement de l'intelligence artificielle, et son déploiement dans l'économie, vont créer leurs propres emplois. Ainsi, l'enquête projette que dans dix ans, les offres de postes devraient représenter respectivement 1% (développement IA) et 0,5% (déploiement IA) de l'ensemble du marché de l'emploi. En d'autres termes, cela correspondrait, selon les chiffres de France Travail (ex-Pôle emploi), à un besoin de 56.000 pour le développement et 25.000 postes par an pour le déploiement.
Mais pour atteindre cet horizon, les experts mettent en exergue un problème. Les formations françaises en IA au niveau bac +3 ne comptaient que 16.687 places en 2021, selon la Cour des comptes. Ce, malgré les efforts déployés suite au rapport Villani sur l'IA, sorti en 2018. « Pour répondre aux besoins en développement d'IA, il faudrait donc au moins tripler ce chiffre au cours de la décennie à venir », calculent les auteurs. Afin d'y parvenir, les chercheurs préconisent non seulement d'ouvrir plus de places dans les formations spécialisées, mais aussi d'inclure des modules d'IA dans un grand nombre de formations, et ce, dès le secondaire.
Enfin, un second type de profil semble nécessaire au déploiement de l'IA au sein des entreprises. « Celui de personnes chargées de l'infrastructure du système d'information disposant de connaissances indispensables à l'IA, notamment sur la collecte et le traitement des données, pour tirer le meilleur parti du déploiement des solutions d'IA au sein des entreprises », explique le comité interministériel, dans son travail.
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