Rachat de Twitter : quelles sont les chances d'Elon Musk de faire baisser le prix ?

Elon Musk a déclenché une panique sur les marchés après avoir annoncé qu'il "suspendait" son rachat de Twitter, le temps d'évaluer le nombre de faux utilisateurs. D'après les experts interrogés par La Tribune, ce coup médiatique ne signifie pas qu'il souhaite rompre le contrat, mais qu'il souhaite plutôt le renégocier à la baisse. Face à cette manœuvre, Twitter a le choix entre accepter la réouverture des discussions, ou aller en justice pour faire valoir le contrat initial. Si les négociations reprenaient, Elon Musk a des arguments pour obtenir une ristourne.
François Manens
(Crédits : MIKE BLAKE)

Vendredi, Elon Musk a annoncé à la surprise générale que son accord à 44 milliards de dollars pour le rachat de Twitter est "suspendu". La prétendue raison : l'homme d'affaire serait dans "l'attente de détails qui confirmeraient que les faux comptes et les comptes de spam ne représentent en effet que moins de 5% des utilisateurs", comme l'affirme le réseau social.

Dans la foulée de cette annonce, le cours de l'action a chuté de plus de 9%, bien que le milliardaire ait ajouté deux heures plus tard qu'il était toujours engagé dans le rachat. Et pour cause : légalement, la "suspension" annoncée n'a aucune valeur. Le contrat signé par Musk et les dirigeants de Twitter engage les deux parties à faire aboutir la transaction, à moins que des conditions exceptionnelles apparaissent et permettent de le résilier.

Difficile donc d'imaginer que Musk veuille se retirer du rachat, tant ses options de sorties sont limitées et coûteuses. En revanche, sa prise de parole publique pourrait avoir un autre objectif : renégocier le prix du rachat -54,20 dollars par action- à la baisse. Pour l'instant, la position du conseil d'administration de Twitter sur le sujet est inconnue. Un de ses membres, Brett Taylor (également co-CEO de Salesforce) a simplement déclaré sur Twitter qu'ils étaient aussi engagés à faire aboutir le rachat.

Elon Musk n'a pas à être surpris sur la question des faux comptes

Les experts en fusions et acquisitions interrogés par La Tribune s'accordent : la suspension du contrat évoquée par Elon Musk n'a aucune valeur juridique. Le contrat ne peut avoir que deux issues : son aboutissement, ou sa résiliation. Ce dernier cas de figure nécessiterait des conditions extrêmes, que La Tribune détaillait la semaine dernière. "Pour résilier le contrat, il faudrait un tremblement de terre intense et long sur la durée", résume Pierre-Emmanuel Perais, avocat chez Linklaters.

Une condition qui ne s'aligne pas avec un éventuel débat sur le nombre de vrais et faux utilisateurs. "Une simple baisse du nombre d'utilisateurs ne lui donne pas le droit de résilier le contrat", tranche le spécialiste, avant d'ajouter, "il n'est pas prévu que l'accord soit annulé pour un chiffre incorrect, et je n'ai pas en tête un accord qui aurait capoté pour cette raison"

Comme l'a relevé Newsweek, la déclaration sur les 5% de faux comptes Twitter citée par Elon Musk pour justifier la "suspension" de l'accord est répétée pratiquement mot pour mot dans les 11 derniers rapports trimestriels de l'entreprise. Autrement dit, le réseau social estime depuis 2019 avoir environ 5% de "bots" [comptes automatisés, ndlr] parmi ses utilisateurs. Donc Elon Musk ne peut pas lui reprocher d'avoir caché cette information.

D'ailleurs, le milliardaire lui-même répète depuis des années qu'il s'agit d'un des plus gros problèmes de la plateforme, signe qu'il avait bien conscience du phénomène. Ce samedi matin, il a précisé que pour déterminer si Twitter ment sur les chiffres, "son équipe allait observer un échantillon de 100 abonnés du compte @twitter, choisis au hasard". Il a invité ses 92 millions d'abonnés à également faire le test, et à lui faire part des résultats. Il s'agit d'une procédure dérisoire, qui mettrait difficilement en cause les chiffres du réseau social, produits d'une analyse à grande échelle.

Pression à la renégociation

"Un élément de fraude pourrait être une cause de résiliation dans l'absolu, mais même Elon Musk ne parle pas de tromperie de la part de Twitter", remarque Karl Hepp de Sevelinges, avocat associé chez Jeantet. Pour lui, "la manœuvre d'Elon Musk est clairement une tentative de renégociation, comme LVMH a pu le faire avec Tiffany en 2020".

Le géant du luxe avait signé en novembre 2019 un accord pour le rachat du bijoutier Tiffany à hauteur de 135 dollars par action, quelques mois avant le déclenchement de la crise du Covid-19. LVMH avait ensuite reproché à Tiffany de ne pas avoir respecté les conditions du rachat (notamment à cause de la crise et de difficultés commerciales entre la France et les Etats-Unis), et d'avoir ainsi fait perdre de la valeur à l'entreprise. Finalement, le groupe français n'a pas annulé le rachat, mais il est parvenu à renégocier le prix de 131,5 dollars par action, soit une ristourne de 425 millions de dollars sur une transaction de 15,8 milliards de dollars.

De son côté, Elon Musk a choisi les faux comptes comme angle d'attaque, mais il profite plus généralement du fait que Twitter est dans une relative position de faiblesse. L'entreprise a récemment annoncé le gel de ses recrutements et le licenciement de deux dirigeants nommés il y a à peine 6 mois. Le CEO Parag Agrawal a justifié ces mesures par l'échec de ses équipes à atteindre les objectifs intermédiaires de croissance qu'elles s'étaient fixées. Par ailleurs, le secteur américain de la tech traverse une période difficile, et le réseau social n'en est pas exempté. Toutes les valeurs technologiques s'effondrent, conséquence du durcissement à venir des taux dans un contexte géopolitique très tendu.

Avec cette tendance boursière, le premium [la différence entre le cours de l'action et le prix de rachat, ndlr] offert par Musk aux actionnaires de Twitter dans son offre initiale, devient encore plus important.

"Si le prix renégocié à la baisse offre toujours un premium intéressant, il sera accepté par les actionnaires. Avec la baisse de l'action, Elon Musk a une marge de manœuvre non négligeable", évalue Pierre-Emmanuel Perais.

Dans ce genre de situation, l'apparition d'un acheteur tiers prêt à offrir un prix haut pourrait faire capoter la tentative de renégociation à la baisse. Mais Twitter est trop cher pour imaginer un tel scénario. "Très peu de personnes peuvent mettre autant d'argent sur la table qu'Elon Musk. Et ceux qui ont les fonds pour le faire, comme les Gafam, ont des barrières régulatoires [anti-concurrentiels, ndlr] qui les empêcheraient de le faire", estime l'avocat.

Twitter peut difficilement se défendre

"Twitter a le choix entre accepter cet appel à la renégociation ou aller au forceps pour faire appliquer le contrat", rappelle Karl Hepp de Sevelinges. "Pour faire exécuter le contrat, il peut aller au tribunal, mais c'est un processus long, qui ne profiterait économiquement à aucun des deux partis. Il faudrait des mois voire des années avant que l'affaire ne soit résolue", complète-t-il.

Autrement dit, le réseau social se trouve face à un dilemme : soit il accepte de discuter d'un rachat à la baisse, soit il entame une procédure judiciaire qui pourrait mettre en danger son activité économique. Reste que les grandes entreprises américaines n'hésitent pas à se lancer dans de grandes procédures judiciaires et à jouer la confrontation.

Mais comme le soulignent les deux experts, la position du conseil d'administration de Twitter est encore inconnue. Ils pourraient tout à fait être ouverts à la discussion avec le milliardaire, comme s'y opposer frontalement. Elon Musk a joué son coup, à eux de renvoyer la balle dans les jours à venir.

François Manens

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Commentaires 2
à écrit le 15/05/2022 à 9:26
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Après cette restriction générale de la liberté d'expression qu'il dénonce justement, il met encore une fois le doigt sur une anomalie majeur à savoir tous ces business construits sur de faux comptes mais que ce soit sur twitter, facebook, instagram t...

à écrit le 14/05/2022 à 12:08
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Aucune confiance dans ce type en plus il a une tête bizarre, méfiance !!!!

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