Remaniement : qui portera le Numérique dans le futur gouvernement ?

De nombreux acteurs de l'écosystème tech regrettent qu'Emmanuel Macron et Jean Castex n'aient pas créé un ministère du Numérique de plein exercice, à l'image de celui de la Transition Ecologique. Mais d'autres options sont sur la table. En plus du secrétariat d'Etat au Numérique -piloté ou non par Cédric O-, Emmanuel Macron pourrait créer d'autres secrétariats d'Etat, sur des enjeux transverses comme la cybersécurité.
Sylvain Rolland
Cédric O, l'actuel secrétaire d'Etat au Numérique.
Cédric O, l'actuel secrétaire d'Etat au Numérique. (Crédits : Reuters)

Le numérique est-il le grand laissé-pour-compte du remaniement ministériel ? C'est l'opinion de nombreux acteurs de l'écosystème tech français, à commencer par son lobby le plus puissant, France Digitale, qui s'est fendu d'un communiqué amer suite à l'annonce, lundi soir, des trente premiers membres du gouvernement de Jean Castex. Car aucun ministre plein ni délégué n'a été dédié au Numérique. "On s'inquiète. Le numérique n'est clairement pas la priorité du gouvernement Castex, alors qu'il aurait dû y avoir un ministère dédié à la transformation numérique de la santé, de la justice, de l'éducation, du travail et des entreprises" a réagi France Digitale dans un tweet lundi soir, avant de publier un communiqué officiel.

Un ministère du Numérique pour quoi faire ?

A chaque remaniement ministériel depuis l'élection d'Emmanuel Macron, la question de la place du Numérique dans le nouveau gouvernement se pose et à chaque fois, la réponse déçoit ceux qui espèrent un "vrai" maroquin. Leur argument ? "Le numérique est partout et déploie ses applications dans tous les domaines. Il faut l'appréhender comme un tout, et non comme une addition de mesures sectorielles", expliquent 54 personnalités dont des députés, hackers, dirigeants d'entreprises et experts, dans une tribune publiée le 26 juin dernier sur le site du journal Le Point et intitulée "Pour un ministère du Numérique à la hauteur de nos enjeux".

Un argument d'autant plus fort depuis la crise du Covid-19, comme le rappelle France Digitale :

"Le numérique, qui a permis pendant les derniers mois à 2.2 millions d'élèves de continuer à s'éduquer, à 7.4 millions de français à télétravailler et 1,4 million de patients d'avoir recours à la téléconsultation, n'a pas son ministère. Pourtant, les derniers mois ont mis en exergue le terrifiant désarmement technologique de notre pays. Tandis que le Quai d'Orsay découvrait le télétravail pour la première fois de sa vénérable Histoire, les Hôpitaux publics se sont retrouvés démunis face aux cyberattaques et l'Education Nationale n'a pas su organiser la continuité pédagogique "en ligne" pour des milliers d'écoliers défavorisés. Et pendant que certains géants du CAC 40 ont découvert la vétusté de leurs infrastructures de cloud et leur incapacité à télétravailler, des milliers de petits commerces n'ont pas pu poursuivre leur activité en ligne, faute de moyens de paiements digitaux ou de sites internet".

Les partisans d'un ministère du Numérique de plein exercice considèrent le numérique comme aussi important et transversal que l'écologie. Or, l'écologie bénéficie depuis plusieurs années d'un ministère de premier rang. Pourquoi le numérique, qui créé de plus en plus d'emplois et qui révolutionne tous les secteurs de l'économie ainsi que les usages des citoyens dans leur vie quotidienne, n'aurait-il pas droit au même traitement ? "L'écologie est beaucoup plus politique que le numérique, c'est à la fois une transformation majeure et un projet de société, c'est pour ça qu'il y a un parti intitulé "Europe Ecologie-Les Verts" qui gagne des élections", sourit un parlementaire de la majorité. Qui poursuit : "Le numérique est davantage perçu comme une lame de fond, c'est un sujet moins politique qui n'a pas encore généré de clivage gauche/droite vraiment marqué".

Lire aussi : Cédric O : "Nous devons réguler les géants du Net comme nous avons régulé les banques" (2/2)

Vers un secrétariat d'Etat au Numérique et un second dédié à la cybersécurité ?

Que vont donc faire Emmanuel Macron et Jean Castex ? Comme le numérique n'a pas été attribué aux trente ministres et ministres délégués, le plus vraisemblable est qu'il revienne à nouveau à un secrétaire d'Etat... ou à plusieurs. Plusieurs membres de la majorité présidentielle ont poussé ces derniers mois l'idée de "sortir" quelques grands enjeux du numérique, comme la cybersécurité, pour leur donner un "vrai portage politique".

Dans le cas de la cybersécurité, ses enjeux ne sont pas vraiment incarnés en France par une personnalité politique. Sur ce sujet, c'est l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), dirigée par Guillaume Poupard, qui est en première ligne et travaille étroitement avec les ministères, notamment le ministère de la Défense et Bercy. Parallèlement, la crainte d'une nouvelle crise qui viendrait d'une cyberattaque majeure sur des infrastructures critiques ne cesse de monter dans la classe politique. Le député LREM  Eric Bothorel l'expliquait dès fin 2019 dans un rapport de l'Assemblée nationale sur le sujet, dans lequel il appelait à un vrai portage politique du sujet:

"En France, il existe un délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces, poste précédemment occupé par M. Thierry Delville et non pourvu à ce jour. Votre rapporteur propose que soit envisagée la transformation de cette fonction en un ministère de plein exercice sur les questions de cybersécurité, afin de donner une véritable responsabilité gouvernementale à la personne de référence en France pour la cybersécurité et les industries de la cybersécurité. Cette fonction permettrait une meilleure incarnation politique des enjeux de cybersécurité, dont la qualité transverse cautionne trop souvent la dispersion", écrivait le député.

Lire aussi : Nomination de Cédric O au Numérique : les quatre raisons d'Emmanuel Macron

Rattacher le Numérique au Premier ministre : une fausse bonne idée ?

La décision d'Emmanuel Macron et Jean Castex d'ignorer l'appel à créer un ministère du Numérique s'explique aussi par d'autres raisons. La première, politique, est que la "startup nation" chère au candidat Macron de 2017, n'a plus du tout le vent en poupe depuis la crise des Gilets Jaunes et la défiance des citoyens envers le solutionnisme technologique, comme l'a montré l'échec de l'application de traçage des contacts StopCovid. Créer un ministère du Numérique de plein exercice qui attirerait de la visibilité sur une "startup nation" impopulaire, n'apparaît pas un bon calcul politique pour Emmanuel Macron dans la perspective de sa réélection en 2022.

De plus, les différentes administrations avec lesquelles le ministre en charge du Numérique doit interagir quotidiennement, dépendent principalement de Bercy. C'est pour cette raison que jusqu'à présent, ce maroquin a pris la forme d'un secrétariat d'Etat rattaché à Bercy et, dans le cas de Cédric O, également au ministère de l'action et des comptes publics.

En 2017, Emmanuel Macron a été le premier à faire une entorse à cette tradition en rattachant Mounir Mahjoubi directement sous l'autorité du Premier ministre. L'objectif : envoyer un signal fort en présentant le numérique comme au cœur de l'action publique, rayonnant sur l'ensemble des ministères. Mais ce changement très symbolique, par ailleurs bien accueilli par l'écosystème du numérique en son temps, s'est révélé une fausse bonne idée. L'éloignement de Bercy et de ses administrations a été une véritable épine dans le pied de Mounir Mahjoubi, qui s'est retrouvé affaibli, loin des administrations et trop dépendant de la coopération de ses collègues ministres. Lors du premier remaniement du quinquennat, en 2018, Mounir Mahjoubi était revenu à Bercy, "son rattachement naturel" avait alors commenté le secrétaire d'Etat.

Cédric O ou pas Cédric O ?

L'autre inconnue du remaniement ministériel est le maintien de l'actuel titulaire du poste, Cédric O. D'après nos informations, la balance penche plutôt vers une reconduction du secrétaire d'Etat, qui cumule plusieurs atouts. D'abord, une loyauté sans faille envers Emmanuel Macron, qu'il soutient depuis qu'il s'est lancé à la course à l'Elysée, en 2016, et qu'il a suivi au Château de mai 2017 à avril 2019 en tant que conseiller du Président et du Premier ministre sur les sujets économiques, et notamment numériques. Depuis 2017, Cédric O est le "vrai" ministre du Numérique, pilotant dans l'ombre l'action de son prédécesseur Mounir Mahjoubi avant de prendre la lumière.

Son deuxième atout est sa connaissance extrêmement pointue de tous les dossiers, de la French Tech à la régulation des géants du numérique. "Il incarne moins les sujets que Mounir Mahjoubi, il est moins bon sur la communication, mais dans le fond il est solide. Il est très rare de travailler avec un ministre doté d'un tel niveau d'expertise, ce qui fait que les choses avancent vite, d'autant plus qu'il garde ses entrées en haut-lieu", affirme une source dans l'administration. A deux ans de la fin du mandat, Emmanuel Macron compte aussi sur Cédric O pour porter, à l'échelle européenne et avec Thierry Breton, des dossiers de régulation des géants du numérique, qu'il aimerait lancer avant l'élection présidentielle. Enfin, son troisième atout est qu'il est globalement apprécié par ses interlocuteurs, qu'il s'agisse des lobbys tech -notamment France Digitale qui a pignon sur rue dans son cabinet au point que cela agace les autres organisations-, mais aussi des géants du Net -il avait aidé Emmanuel Macron à organiser les deux sommets Tech for Good en 2018 et 2019, avec de nombreuses annonces d'investissements à la clé.

Mais Cédric O a également trois points faibles. Le premier est sa gestion de l'application StopCovid, un outil cher, très contesté et globalement inefficace dans la lutte contre le Covid-19. Le deuxième est qu'il porte une partie du blâme pour la polémique autour du Health Data Hub, la plateforme de données de santé dont l'hébergement a été confié à Microsoft alors même que le gouvernement souhaite renforcer la souveraineté technologique de la France. Enfin, certains le rendent aussi responsable du fiasco de la loi Avia sur la haine en ligne, retoquée par le Conseil d'Etat au point d'être totalement vidée de sa substance. "Il ne sait pas tenir les députés ni faire passer une loi", raille un ambitieux qui rêve du poste.

Dans le cas où Cédric O sortirait, qui pour le remplacer ? Il y a actuellement un lobbying plus ou moins intense pour déloger l'actuel secrétaire d'Etat. Parmi les noms qui reviennent le plus : la députée Agir Laure de La Raudière (très bonne experte des sujets numérique dans leur globalité, proche de Bruno Le Maire, représentante avec Franck Riester d'un courant, Agir, dont Emmanuel Macron a besoin en 2022), le député LREM Pierre Person (surnommé "Monsieur Blockchain", également un expert renommé), le député LREM Eric Bothorel (pilier de la macronie à l'Assemblée nationale sur les sujets numériques) ou encore le PDG de Capgemini, Paul Hermelin.

Sylvain Rolland

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Commentaires 11
à écrit le 09/07/2020 à 15:35
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Ces gens avaient pour objectif de vendre les datas des gens, alors hormis servir un gafam, ils n'ont pas eu d'autres choix! Protéger les personnes âgées de la digitalisation sauvage? même pas car encore une fois ils digitalisent pour permettre aux...

à écrit le 09/07/2020 à 15:07
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Le numérique est la plus vaste escroquerie du moment, restons raisonnable et plaçons le sur l'étagère des outils entre le marteau et le ciseau. Pour exemple chaque citoyen a t-il besoin de la 5G ? cette question revient a vouloir que chacun roule en ...

à écrit le 08/07/2020 à 19:12
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La geek très connue du millieu de l'informatique ils l'ont mise à l'égalité homme femme, mais quand on est geek, le sens du partage, l'intelligence pratique on sait tout faire.

à écrit le 08/07/2020 à 15:31
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heureusement il semble que le Cédric n'est plus dans le gouvernement , c'est pas dommage après les bévues sur son civid ( déconne sur les mobiles après son refus d'utiliser les bonnes API et incompatible avec le reste du monde et de l'Europe ) OUF

à écrit le 08/07/2020 à 12:18
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On est déhà extrêmement en retard dans le numérique et l'IA. Là pour le coup on va se faire dépasser par les nuls!

à écrit le 08/07/2020 à 9:46
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Photo: "Les Envahisseurs - Ces êtres étranges venus d'une autre planète Leur destination : La Terre Leur but : En faire leur univers. David Vincent les a vus. Pour lui, tout a commencé par une nuit sombre le long d'une route de campagne, alors qu'il ...

à écrit le 08/07/2020 à 9:20
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Lorsque l'on voit que le précédent gouvernement n'a pas hésité a confié à amazon web services la gestion des données des prêts Covid garantis par l’État. On ne peut donc pas attendre grand chose de leur part.

à écrit le 08/07/2020 à 9:02
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La première priorité est le déploiement de la 5G. Les qualités des images et du son des interviews de personnes confinées étaient incroyablement faibles. Sans vouloir critiquer les personnes, quels sont les grands succès du secrétariat d'état au numé...

à écrit le 08/07/2020 à 4:14
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"Quelles options ". Je vais donner une piste a ces branlotins qui pretendent gouverner. Equiper les tres nombreuses mairies d'internet. Ca permettra aux populations locales sans equipement informatique ou tout simplemt d'acces internet de survivre.

à écrit le 08/07/2020 à 0:47
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Oui.

à écrit le 07/07/2020 à 19:34
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Le numérique, c'est bien... certainement...peut être. C'est pas trop mon truc. Par contre je constate qu'il manque de "vrais" plombiers, carreleurs, plâtriers, maçons, charpentiers, menuisiers, chaudronniers, serruriers...de "vrais" agriculteurs, re...

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