
Dans l'Hexagone, c'est une pionnière. L'usine Schneider Electric de Vaudreuil (Eure) est l'une des premières à s'être convertie, dès 2020, à la 5G. Ses 360 employés fabriquent des contacteurs, des variateurs de vitesse et autres démarreurs grâce à des lignes de production largement automatisées, des véhicules de livraison autonomes et autres bras robotisés.
Ici, toutes les machines intègrent des capteurs sans fil chargés de relever le courant ou la température. Toutes ces informations sont traitées en temps réel par des logiciels d'intelligence artificielle, lesquels permettent, notamment, de prédire les pannes, les problèmes et, in fine, de changer certaines pièces avant qu'elles ne cassent. Les opérateurs, eux, utilisent souvent des tablettes à réalité augmentée. Ces outils leur permettent d'accéder immédiatement à toutes les informations dont ils ont besoin pour assurer la maintenance des installations. Tous ces nouveaux outils ont permis, d'après Schneider Electric, de réduire de 10% les coûts de production de l'usine.
La 5G, une technologie à part
Cette transformation a été rendue possible par une technologie : la 5G. Elle a ici une place centrale. À l'usine Schneider Electric de Vaudreuil, elle permet, via le déploiement d'un réseau privé, de connecter les terminaux, les capteurs, les machines, et ainsi d'orchestrer ce ballet ininterrompu de flux de données. La 5G a en effet une particularité méconnue du grand public : à la différence de la 2G, de la 3G ou de la 4G, elle a été nativement pensée et développée pour numériser les processus industriels.
Outre de plus gros débits, elle traite les informations en temps réel, presque sans latence, ce qui est essentiel pour les applications critiques, comme les voitures autonomes. Autres avantages : cette technologie peut gérer simultanément des myriades d'objets connectés, mais aussi réserver une partie de la bande passante à des applications qui ne peuvent souffrir de la moindre coupure, à l'instar des opérations chirurgicales à distance. Couplée à l'intelligence artificielle, la 5G constitue ainsi, aux yeux de nombreux observateurs, un puissant outil pour « digitaliser » l'industrie, ses lignes de production et autres flux logistiques.
La France en quête de « souveraineté industrielle »
C'est la raison pour laquelle cette technologie est au cœur du projet de réindustrialisation du gouvernement. Il s'agit, avec elle, de transformer les usines en « usines 4.0 », présentées comme le fer de lance de « l'industrie du futur ». L'objectif est double. Le premier est de relancer l'industrie française, dont le poids économique n'a cessé de dégringoler depuis le deuxième choc pétrolier à la fin des années 1970, et de passer un cap en matière de compétitivité. Le second est de rapatrier certaines activités clés, aujourd'hui délocalisées dans des pays à bas coûts. Autrement dit, la 5G est la technologie qui doit permettre à la France, d'après Emmanuel Macron, de retrouver sa « souveraineté » économique et industrielle.
Cette ambition de rebâtir ainsi l'« indépendance stratégique » du pays - expression parfois préférée, car moins synonyme de repli sur soi - ne date pas d'hier.
« L'industrie du futur est au cœur de notre réorganisation de la politique industrielle, déclarait Emmanuel Macron en avril 2015, alors qu'il n'était que ministre de l'Économie du gouvernement Hollande. C'est la matrice de la montée en gamme et de la modernisation de notre tissu industriel. Elle permettra de rattraper le retard productif de l'industrie française, et d'effacer la bataille perdue de la robotisation dans les années 1990. »
Une technologie chouchoutée par l'exécutif
Mais cet objectif s'est mué en priorité politique depuis la crise du Covid-19, la France ayant manqué de produits essentiels qui n'étaient plus fabriqués sur le territoire national, comme les masques de protection. La guerre en Ukraine, qui a porté un rude coup à la mondialisation, n'a fait que conforter les ambitions de souveraineté industrielle de l'Élysée.
Depuis, la 5G est particulièrement chouchoutée par le gouvernement. Emmanuel Macron s'est toujours dit déterminé à ce que la France ne rate pas cette révolution annoncée. En septembre 2020, deux mois avant le lancement de la 5G, il a raillé les élus écologistes et de gauche qui réclamaient un moratoire sur le déploiement de cette technologie, que certains jugent énergivore et nocive pour la planète.
« J'entends beaucoup de voix qui s'élèvent pour nous expliquer qu'il faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile !, a-t-il canardé à l'Élysée, devant des entrepreneurs de la French Tech. Je ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l'écologie contemporaine. »
Un retard préoccupant
C'est aussi la criticité de la 5G qui a poussé l'exécutif à prendre des mesures pour écarter progressivement l'équipementier chinois Huawei des réseaux mobiles français. À quoi bon, en clair, rebâtir une souveraineté industrielle et économique si c'est pour qu'elle repose, technologiquement, sur des infrastructures chinoises dont on se méfie ?
Il n'empêche que la 5G est encore loin d'avoir irrigué toutes les usines de l'Hexagone. Certains grands groupes s'y sont certes convertis, comme le fabricant de câbles sous-marins Alcatel Submarine Networks, ou ArcelorMittal. Mais ils sont l'arbre qui cache la forêt. La France a, en réalité, déjà pris du retard dans les réseaux privés, pourtant essentiels au déploiement de la 5G industrielle, par rapport aux États-Unis ou à la Chine. Au début d'année, le think tank Idate jugeait pudiquement que la France n'était pas « la mieux placée » dans cette course de vitesse. Il n'y a pas, selon ses experts, de temps à perdre. Dans ce type de compétition, les perdants finissent souvent par acheter les produits du gagnant sur étagère.
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