Les rumeurs allaient bon train depuis quelques jours. Ce qui a sans doute conduit le groupe BPCE à précipiter l'annonce de son projet de retrait de la cote de sa filiale Natixis. Un projet d'offre d'achat simplifié, portant sur les 29,3% du capital détenus par les minoritaires, sera ainsi déposé, au prix de 4 euros l'action, et cette offre sera suivie d'une offre publique de retrait obligatoire.
Après un premier semestre 2020 calamiteux, la filiale cotée a réussi à redresser ses comptes au quatrième trimestre pour finalement clôturer l'année sur un résultat net positif, meilleur qu'attendu, de 101 millions d'euros, malgré une charge du risque élevée. Après avoir mené depuis l'été dernier plusieurs chantiers (plan social, réduction des activités de marché, cession de sa filiale H2O AM), Natixis se prépare donc à une autre histoire, hors des contraintes de la Bourse.
Un adieu à la Bourse
Car, pour Laurent Mignon, président du directoire de BPCE, le constat est clair : « Une cotation de Natixis n'apporte plus les moyens nécessaires à son développement. » Et ce, pour une raison simple. Dans le secteur bancaire, « les cours de Bourse sont désormais structurellement en dessous de l'actif net réévalué, et les banques n'ont plus la capacité de financer leur croissance par augmentation de capital ». La dernière augmentation de capital de Natixis remonte à 2008 alors en pleine tempête des subprimes, sans que la jeune filiale cotée réussisse à retrouver depuis ses niveaux de valorisation d'avant crise financière, comme « l'ensemble des banques européennes », tient à préciser le dirigeant mutualiste.
« Le monde bancaire a changé », estime Laurent Mignon, et la crise sanitaire a « significativement » accéléré les contraintes qui pèsent sur les banques, la concurrence, les exigences de fonds propres, des taux bas et des investissements importants à prévoir dans la data et le digital. Il est donc temps, pour le groupe, de mettre Natixis sous l'abri mutualiste et de ses 70 milliards d'euros de fonds propres.
Prélude à une profonde réorganisation de Natixis
Pourquoi cette opération maintenant, alors que, l'été dernier, le groupe avait démenti tout projet de retrait de la cote ? Cette décision s'intègre, selon BPCE, dans un projet plus global de simplification de son organisation dans le cadre du nouveau plan stratégique qui sera présenté en juin prochain.
Elle intervient également à un moment où le groupe a finalisé tout un travail de rationalisation de ses activités, avec la cession de ses participations en Afrique, la vente de la néo-banque Fidor, l'intégration des expertises de l'ex-Crédit Foncier de France ou la vente qui vient d'être bouclée de l'essentiel de la participation résiduelle dans la Coface.
Mais cette opération, d'un montant de 3,7 milliards d'euros - un investissement important alors que les banques sont toujours confrontées au risque d'une explosion des créances douteuses, notamment dans le tissu des PME, cœur de cible du groupe mutualiste - vise surtout à permettre une profonde réorganisation de Natixis.
A l'issue de l'offre, BPCE entend acquérir auprès de Natixis les métiers qui sont en fortes synergies avec les réseaux Banques Populaires et Caisses d'Epargne, c'est-à-dire les activités d'assurances et de paiements. Un regroupement qui s'inscrit en droite ligne de l'opération réalisée en 2018 avec les services financiers spécialisés (SFS), pour un montant de 2,7 milliards d'euros.
Vers une cotation de la gestion d'actifs ?
Les métiers de gestion d'actifs, de gestion privée et de banque de grandes clientèles seront alors regroupés au sein d'un pôle, Global Financial Services, sous la responsabilité de Nicolas Namias, actuel directeur général de Natixis, nommé en août dernier. Ce pôle opérera sous ses principales marques, comme Natixis Investment Managers (et ses boutiques de gestion d'actifs), Natixis Wealth Management et Natixis CIB.
Cette scission des activités de Natixis était un projet régulièrement évoqué sur les marchés, sur l'exemple d'Amundi, la filiale cotée de gestion d'actifs du Crédit Agricole. Un scénario qui n'est pas « du tout à l'ordre du jour », précise Laurent Mignon... sans l'exclure tout à fait. « Mes commentaires sur la cotation des banques ne s'appliquent pas à la gestion d'actifs, et même être une société de gestion d'actifs filiale d'une banque cotée est plutôt défavorable. Mais si une cotation devenait nécessaire pour croître dans ses métiers, alors pourquoi pas ? », avance le dirigeant.
Enfin, le retrait de la cote devrait, selon le groupe, simplifier l'articulation des fonctions supports et des métiers de Natixis avec les réseaux d'agences. « C'est le sens de l'histoire du groupe qui n'a cessé depuis dix ans de resserrer ses liens avec Natixis dans les financements spécialisés, l'assurance ou les paiements. Tous ces rapprochements se sont traduits par une accélération du développement », explique Laurent Mignon.
Une histoire contrariée avec la Bourse
Reste que l'offre de retrait à 4 euros risque de décevoir les actionnaires minoritaires, en particulier ceux qui ont participé à l'introduction en Bourse de Natixis à un prix de 19,55 euros l'action. Certes, la crise financière est passée par là, mais le groupe mutualiste, attaché à des valeurs vis-à-vis de ses sociétaires, traîne finalement comme un boulet la cotation de sa filiale .
L'action Natixis avait alors été vendue massivement auprès des clients des Caisses d'Epargne et des Banques Populaires comme une valeur « sûre » alors que la banque d'investissement était largement engagée dans des activités à risque, notamment la dette des subprimes aux Etats-Unis.
Ce fût une réelle perte de confiance des clients, surtout de la « Veuve de Carpentras » des Caisses d'Epargne, et un vrai traumatisme pour les commerciaux des réseaux bancaires. Cet épisode a laissé des traces en interne et explique, en partie, la décision de Natixis de se séparer de H2O AM dont certains fonds risqués étaient vendus par les réseaux, et la forte sensibilité du groupe au risque de réputation.
Une valorisation équivalente à l'actif net
Le prix de 4 euros l'action retenu pour l'offre n'est pas « un prix de crise », se justifie Laurent Mignon. Il est supérieur aux objectifs de cours des analystes financiers et offre une prime de 16% par rapport au cours de Bourse de vendredi (déjà gonflé par les spéculations de marché) et de 40% sur la moyenne des 60 derniers cours de Bourse.
Il valorise surtout Natixis à sa valeur d'actif net tangible, insiste le groupe, alors que « les banques européennes se traitent en moyenne à 0,52 fois l'actif net tangible et que les dernières transactions entre banques en Europe se sont réalisées entre 0,3 et 0,4 fois l'actif net ». Pour Laurent Mignon, c'est donc « une opération attractive pour les investisseurs ».
Le cap est donc désormais mis sur un modèle de banque coopérative universelle décentralisée, « qui a fait notre succès depuis dix ans », bien à l'abri des turbulences des marchés financiers. « Nos métiers trouveront mieux leur développement dans le cadre d'une société non cotée et c'est comme cela que nous pourrons les développer dans les années qui viennent », insiste Laurent Mignon. C'est le clap de fin de l'histoire boursière tourmentée d'une filiale cotée qui n'a jamais su trouver sa place au sein d'un groupe mutualiste.
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