Nathalie Font aux manettes de Thales Alenia Space à Toulouse

PORTRAITS DE FEMMES DIRIGEANTES (4/4). A 39 ans, Nathalie Font a pris depuis quelques mois la tête de l'établissement de Thales Alenia Space à Toulouse, le plus grand site industriel du géant européen du spatial. Un signal dans un secteur qui compte seulement un quart de femmes et encore moins dans les postes techniques et d'encadrement.
Enceinte de son deuxième enfant, Nathalie Font est à la tête du site industriel de Thales Alenia Space à Toulouse.
Enceinte de son deuxième enfant, Nathalie Font est à la tête du site industriel de Thales Alenia Space à Toulouse. (Crédits : Rémi Benoit)

Une page se tourne au sein de Thales Alenia Space à ToulouseNathalie Font, ingénieure de 39 ans, a pris depuis le mois d'octobre la direction du plus grand site industriel du géant européen du spatial avec plus de 2.800 salariés (sur un effectif global de 8.000 personnes sur neuf sites en Europe). C'est au coeur de cet immense site de 27 hectares équipé de labos de recherche, de 10.000 m2 de salles blanches et d'importants moyens de tests pour simuler l'environnement spatial que sont développés la nouvelle génération de satellites Space Inspire mais aussi une partie des équipements de la future constellation française d'Internet des objets Kinéis.

Jusqu'à présent, le site industriel, qui a fêté ses 40 ans en 2023, avait uniquement été dirigé par des hommes, en apogée de leur carrière. « Généralement, ce poste est assuré par des personnes nommées à quelques années de la retraite, connaissant le site sur le bout des doigts. La nomination de Nathalie Font rompt avec cette habitude même si elle connaît très bien Thales Alenia Space qu'elle a rejoint dès son stage de fin d'études. C'est courageux de sa part parce qu'il s'agit d'un poste exposé : il faut faire tourner le site mais la direction a aussi une responsabilité pénale », relève Isabelle Buret, aujourd'hui VP Advanced System Development au sein d'Eutelsat.

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« Tu as été recrutée parce que tu es une femme »

Cette dernière connaît parfaitement le parcours de Nathalie Font qu'elle a recruté à Thales Alenia Space pour un stage portant sur le dimensionnement d'un réseau lunaire de télécommunications à l'issue de ses études d'école d'ingénieurs à l'IMT Atlantique (Télécom Bretagne) en 2007. « Elle sortait clairement du lot avec sa grande détermination et beaucoup plus de maturité que les jeunes de son âge. C'est une fille peut-être, mais c'était surtout la meilleure candidature », souligne Isabelle Buret.

Pourtant à sa sortie d'études, Nathalie Font doit faire face à des remarques machistes :

« Un camarade de ma promo embauché en même temps que moi m'a dit 'J'ai été recruté parce que je suis bon, toi parce que tu es une femme. C'est la première fois que j'étais confrontée de manière aussi frontale au sexisme. J'ai découvert ce sujet assez tard. Pour moi, fille ou garçon, cela ne faisait pas de différence. C'est peut-être lié à mon histoire. J'ai été élevée par une mère célibataire donc pour moi une femme peut tout faire. »

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Celle qui a grandi dans la région lyonnaise a été poussée dès le lycée à emprunter une voie scientifique. « J'étais plutôt partie pour la fac de droit pour devenir juge d'instruction avec cette idée de rendre service pour le bien commun. Mais une professeure de sciences physiques avec un passé d'ingénieure, m'a dit : 'si toi, qui a des facilités, tu ne fais pas d'études de sciences, qui en fera ?' », se remémore-t-elle.

nathalie font

 Nathalie Font (Crédits : Rémi Benoit)

Nathalie Font intègre alors une prépa dans un lycée militaire. Elle gardera un fort attachement avec le milieu militaire en devenant dès ses études et pendant dix ans réserviste dans l'armée de terre. « Cette expérience est très formatrice puisque dès l'âge de 20 ans j'ai été amenée à exercer des fonctions d'encadrement. Plus tard, cheffe de section, je formais des groupes d'une trentaine de personnes notamment destinées à assurer des missions Vigipirate ou Sentinelle », raconte Nathalie Font.

En parallèle chez Thales Alenia Space, « elle a pris assez jeune des responsabilités importantes », note Sami Ben-Amor qui l'a recrutée dans son service en 2013. Après des débuts au sein des activités d'ingénierie des charges utiles flexibles, puis au service marketing, elle a travaillé deux ans au sein de Thales en tant que responsable stratégie et marketing et travaille sur le développement des activités du groupe aux Etats-Unis. Elle revient en France, fin 2017, au sein de Thales Alenia Space à Cannes pour piloter la transformation numérique, notamment en développant la culture de la donnée et les jumeaux numériques. En 2020, Nathalie Font prend la tête du département de la ligne de produits antennes à Toulouse.

 « Les chefs à Paris s'interrogeaient au départ de me voir confier de gros dossiers à une collaboratrice d'une trentaine d'années mais au bout de quelques quelques heures d'interaction, il n'y avait plus de doute. Dans mes équipes, elle était très respectée. Grâce à sa ténacité, elle a surmonté les difficultés sur d'autres postes où le projet n'était pas financé à hauteur des ambitions ou alors quand elle devait travailler avec des collaborateurs qui n'étaient pas enclins à l'aider », souligne Sami Ben-Amor, désormais directeur du compte stratégique de l'Esa au sein de Telespazio.

Percée timide des femmes à des postes d'encadrement dans le spatial

Le tout dans un groupe qui compte seulement 27% de femmes, et beaucoup moins sur les fonctions techniques et d'encadrement. Au sein des grands donneurs d'ordre du spatial, les exemples de femmes parvenant à se hisser à de hauts niveaux d'encadrement restent rares, à l'image du parcours de Pascale Sourisse, PDG de Thales Alenia Space à sa création en 2007. L'essor des startups du NewSpace a coïncidé avec l'émergence d'une nouvelle génération de dirigeantes à l'instar d'Hélène Huby à la tête de The Exploration Company ou à la tête des antennes françaises de l'Américain Loft Orbital (Emmanuelle Méric), l'Espagnol Pangea Aerospace (Marie-Laure Gouzy), l'Italien Aiko (Aurélie Baker) ou le Portugais Tekever (Nadia Maaref)...

« Beaucoup de startups du NewSpace cherchent des profils expérimentés pour se développer. Les femmes sont plus enclines à prendre le risque de quitter un acteur historique pour tenter leur chance dans une startup où elles pourront diriger comme elles entendent. Que Thales Alenia Space puisse nommer une femme à la tête d'un site industriel est un signal fort à destination des 'middle executives' (managers intermédiaires) pour montrer qu'il existe des opportunités et éviter la fuite de talents », estime Lucie Campagnolo, CEO de Spacefounders France, qui accélère les startups du NewSpace.

Car au-delà de la concurrence générée par le NewSpace, le vivier de jeunes femmes empruntant les études scientifiques s'étiole. « Depuis la réforme Blanquer, le nombre de lycéennes dans les spécialités scientifiques a grandement diminué. Le niveau actuel de parité n'est pas satisfaisant mais les projections ne sont pas du tout positives », déplore Pierre Bertrand, président de Space Elevator, association qui s'adresse aux lycéens pour augmenter la diversité sociale et la parité dans le spatial.

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Diversité sociale et virage environnemental

Dans ses nouvelles fonctions, Nathalie Font entend encourager la parité mais plus globalement « la diversité au sens large aussi bien au niveau de l'origine sociale que du parcours académique » au sein du site industriel, source de « richesse des échanges » et in fine d'« une meilleure performance de l'entreprise ». La dirigeante reste marquée par son expérience de réserviste avec « des jeunes sortant du système scolaire en sachant ni lire, ni écrire ». « C'est une réalité contemporaine qu'on peut avoir tendance à oublier dans un écosystème comme le nôtre. Mais j'ai eu à coeur de garder ce lien avec la société », ajoute celle qui a aussi donné durant ses études des cours de maths à la maison d'arrêt de Brest. Désormais, le site toulousain de Thales Alenia Space n'accueille plus uniquement des enfants de salariés en stage de 3e mais aussi des jeunes issus de la diversité.

Nathalie Font compte également accentuer le virage environnemental du site industriel. L'établissement, qui produit 10% de son électricité grâce à des ombrières photovoltaïques installées sur ses parkings, aura bientôt un éco pâturage et pousse l'écoconception avec l'intégration du recyclage ou du réemploi lors des processus de fabrication : « C'est à la fois un enjeu à la fois important au niveau industriel mais aussi au niveau sociétal pour de futurs recrutements pour lesquels nous sommes challengés par les jeunes. »

Des ambitions menées par la dirigeante de concert avec sa vie de famille. Maman d'un enfant de deux ans, elle attend un deuxième enfant pour cet été. « Cela demande une certaine gymnastique sur un poste à responsabilités avec des rendez-vous tôt le matin ou tard le soir et les horaires de la crèche mais on trouve toujours des solutions. Pour moi, l'équilibre entre la vie professionnelle et personnelle est essentiel pour que les salariés aient un cadre de vie sain et donnent le meilleur d'eux-mêmes », conclut-elle.

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