Grosse tension au sommet d'Air France-KLM sur la gouvernance

Selon des sources concordantes, le nouveau directeur général d'Air France-KLM, Ben Smith, est en désaccord avec le président de KLM, Pieter Elbers, sur le pouvoir à attribuer à ce dernier au sein d'Air France-KLM. Le schéma de gouvernance évoqué jusqu'ici en interne qui prévoyait de nommer Pieter Elbers au poste de directeur général adjoint du groupe avec la responsabilité de plusieurs domaines stratégiques a un coup dans l'aile, voire n'a plus lieu d'être, car d'autres schémas sont à l'étude.
Fabrice Gliszczynski
Benjamin Smith, directeur général d'Air France-KLM et Pieter Elbers, président du directoire de KLM
Benjamin Smith, directeur général d'Air France-KLM et Pieter Elbers, président du directoire de KLM (Crédits : DR)

Grosse tension chez Air France-KLM. Non pas au sein d'Air France entre les pilotes et la direction, même si les discussions catégorielles sur les salaires n'avancent pas, mais au sommet du groupe entre le nouveau directeur général, le Canadien Ben Smith, et Pieter Elbers, le président du directoire de KLM, l'autre filiale du groupe à côté d'Air France.

Le schéma de gouvernance envisagé n'a pas été annoncé comme prévu

Après avoir bien commencé au moment de la prise de fonction de Ben Smith mi-septembre, la relation entre les deux hommes forts d'Air France-KLM est aujourd'hui au plus bas en raison de divergences entre les deux hommes sur l'évolution de gouvernance du groupe. En particulier sur le rôle et le pouvoir à attribuer à Pieter Elbers au sein d'Air France-KLM alors que, en parallèle de ses fonctions actuelles, le poste de directeur général adjoint du groupe -une fonction qui n'existe pas aujourd'hui, lui était promis avec, en plus, la responsabilité de trois domaines stratégiques d'Air France-KLM : les alliances, l'informatique et la maintenance. Un rôle de super numéro 2, qui traduisait la montée en puissance de la compagnie hollandaise au sein du groupe depuis son rachat par Air France en 2004, mais qui interpellait sur l'étendue du pouvoir réel de Ben Smith.

Désaccord sur la place à accorder à Pieter Elbers

Prévu pour être dévoilé fin octobre, ce schéma n'a pas été annoncé comme il devait l'être à l'issue du conseil d'administration du 30 octobre, la veille de la publication des résultats trimestriels. Selon plusieurs sources concordantes, ce schéma a du plomb dans l'aile. Il est même mort-né pour certains. « Ce schéma est de facto abandonné par abstention », explique-t-on à La Tribune.

« Ben Smith n'est là que depuis 8 semaines, il a besoin de temps pour se faire une opinion sur la gouvernance », fait-on remarquer en interne.

Pour autant, au-delà du calendrier, il existe des raisons plus profondes pour expliquer ce décalage.

« Ben Smith veut diriger le groupe. Il n'est pas d'accord sur le partage prévu avec Pieter Elbers et sur la place à accorder à ce dernier au sein du groupe. Il ne veut pas être dessaisi des alliances, de l'informatique et de la maintenance du groupe », explique un connaisseur du dossier.

D'autant plus qu'il aurait été tenu informé très tardivement de ce schéma pourtant discuté dès le mois de juillet entre le comité de nomination d'Air France-KLM présidé par Anne-Marie Couderc (par ailleurs présidente non exécutive du groupe) et la direction de KLM, laquelle, selon la même source, n'était pas demandeuse d'autant de pouvoirs pour Pieter Elbers, à part peut-être la responsabilité des alliances pour laquelle le président hollandais s'était montré volontaire.

Du coup, d'autres schémas sont aujourd'hui à l'étude, expliquent deux sources au courant du dossier. Mais, rappelle l'une d'elles, « il faudra dans tous les cas faire une place à Pieter Elbers. » Car du côté hollandais, on est évidemment furieux que le schéma de gouvernance envisagé n'ait pas vu le jour.

Refus de faire entrer Ben Smith au conseil de KLM

Selon plusieurs sources, la position de Ben Smith s'explique notamment par l'opposition affichée par une partie du camp hollandais à son entrée au conseil de surveillance de KLM, laquelle, selon nos informations, était pourtant envisagée depuis le jour de sa nomination au poste de directeur général d'Air France-KLM le 16 août.

« Ben Smith a été interloqué par l'opposition à sa nomination au conseil de KLM », assure un administrateur.

Début octobre en effet, alors qu'un feu vert du conseil de surveillance de la compagnie hollandaise était toujours jugé envisageable par certains, la charge brutale du président du work council (comité d'entreprise) de KLM, Jan Willlem van Dijk, a surpris tout le monde, Ben Smith le premier, lequel, à ce moment-là, n'était en fonction que depuis trois semaines seulement. Dans un courrier virulent publié par De Telegraaf, Jean Willem van Dijk rappelait l'opposition d'une partie des salariés à l'entrée du directeur général d'Air France-KLM au conseil de KLM. Une grenade similaire à celle dégoupillée en 2016 à l'encontre de l'ancien PDG d'Air France-KLM, Jean-Marc Janaillac, alors que sur le papier rien n'empêchait (et n'empêche) pourtant une telle nomination dans la mesure où la majorité des administrateurs de KLM (5 sur 9 administrateurs de KLM) sont nommés par Air France-KLM. Certains observateurs ont vu derrière cette déclaration d'hostilité à l'encontre de Ben Smith la main de la direction de KLM, et notamment celles de Hans Smits, le président du conseil de surveillance et de Pieter Elbers, le président du directoire. Cet épisode a-t-il déclenché la tension actuelle ? Beaucoup le pensent.

Méfiance mutuelle

En attendant, les relations entre Ben Smith et Pieter Elbers se sont sérieusement refroidies. Et la méfiance s'est installée.

« Nous avons l'impression que Ben Smith se méfie de Pieter Elbers », estime une source. D'autres tentent d'équilibrer les choses et préfèrent parler de « méfiance mutuelle ».

Etiqueté « KLM First », le dirigeant néerlandais est considéré dans l'Hexagone comme un tenant de l'autonomie de la compagnie hollandaise, laquelle a souvent fait ce qu'elle voulait dans son coin, refusant les décisions stratégiques quand celles-ci pouvaient remettre en cause son influence au sein du groupe. Une position aux antipodes de celle de Ben Smith qui prône au contraire une intégration plus poussée entre les deux compagnies, comme il l'a indiqué dans son discours aux salariés lors de sa prise de fonction en septembre.

"Ensemble, Air France et KLM représentent une coalition que beaucoup nous envient. Ensemble, nous formons une force dont il faut tenir compte. Avec la puissance d'Air France et KLM travaillant en tandem, nous pouvons conquérir à la fois les marchés européens, mais aussi mondiaux", avait-il déclaré dans son message vidéo adressé aux salariés, en pointant les dégâts des « luttes internes ».

Rapport de force compliqué

Selon deux sources, cette méfiance serait renforcée à tort ou à raison chez Ben Smith par le sentiment que Pieter Elbers remettrait en cause son autorité. Qu'en est-il exactement ? Difficile à dire, même si un dirigeant d'Air France rappelle en plaisantant qu'en raison de la personnalité et du statut du dirigeant hollandais, les précédents patrons du groupe ont probablement dû partager le même sentiment.

Quoi qu'il en soit, la relation qu'entretiennent ces deux hommes pratiquement du même âge (47 ans pour Smith, 48 pour Elbers), s'inscrit dans un rapport de force compliqué.

Le Canadien est aujourd'hui hiérarchiquement au-dessus du Hollandais, alors qu'avant son arrivée chez Air France-KLM il y a trois mois, il apparaissait sur le papier un cran en dessous de Pieter Elbers. En effet, Ben Smith était alors le numéro 2 d'Air Canada qu'il a contribué à redresser, et inconnu dans le secteur sur la scène internationale, alors que le Hollandais est le numéro 1 d'une compagnie de la taille d'Air Canada qu'il pilote parfaitement depuis 4 ans et est reconnu par ses pairs au niveau mondial.

Par ailleurs, le profil de Ben Smith constitue évidemment un gros changement pour Pieter Elbers dans sa relation avec le patron d'Air France-KLM. Alors qu'il avait dû composer jusqu'ici avec des patrons du groupe plus âgés à la connaissance du secteur moins pointue que la sienne, il a désormais quelqu'un qui présente le même profil que lui avec une connaissance et une compétence du secteur au moins aussi grande que la sienne, doublée d'une grande ambition. Autant d'éléments qui, combinés à la forte personnalité de Pieter Elbers, peuvent en effet expliquer une relation compliquée.

« Le climat n'est pas houleux, ils n'ont tout simplement pas encore trouvé la bonne manière de fonctionner ensemble. Ils ont le même profil. Ils sont tous les deux pragmatiques, partagent la même vision du business, et connaissent tous les deux le secteur sur le bout des doigts. Cela ne peut que marcher », estime un dirigeant optimiste.

En outre, selon deux administrateurs, un élément interne au camp hollandais a également contribué à dissuader le groupe d'accorder un trop grand pouvoir à Pieter Elbers à Air France-KLM. La crainte de voir certains éléments importants, Hollandais notamment, quitter le groupe parce qu'ils sont peu en phase avec Pieter Elbers.

Le mythe de l'intégration

Ces divergences sur la gouvernance en inquiètent plus d'un. Car à côté des questions de compétitivité, le système de gouvernance d'Air France-KLM est en effet un frein au développement du groupe. Il empêche notamment de rattacher à la holding d'autres compagnies, soit du groupe, soit dans le cadre d'une acquisition. Le cas de Transavia est un bon exemple. Alors que les compagnies low-cost de IAG et du groupe Lufthansa (Vueling et Eurowings) sont rattachées au groupe, celles d'Air France-KLM (les deux Transavia, France et Holland), sont rattachées à chacune des deux filiales du groupe : Air France et KLM.

Alors que l'une des missions de Ben Smith est de ressouder les deux compagnies du groupe qui n'ont cessé de s'éloigner ces dernières années au fur et à mesure que les performances économiques des deux compagnies se creusaient, cette opposition au sommet qui traduit la méfiance réciproque entre chaque entité du groupe, risque de tuer dans l'œuf ce projet avant même qu'il ne soit lancé.

Par ailleurs, les discussions vont se poursuivre pour la recherche d'un directeur général pour Air France, un poste pour l'heure occupé de manière temporaire par Ben Smith. Nathalie Stubler, PDG de Transavia France, et Anne Rigail, directrice générale adjointe Client d'Air France sont les noms qui circulent le plus.

Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 15
à écrit le 29/11/2018 à 11:41
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les français sont bien trop tendres en business, que ce soit pour Nissan ou KLM. Ces boites étrangères étaient sur le point de disparaitre, il fallait les manger et prendre le controle total, quitte à ne leur laisser que l'habillage pour leurs opini...

à écrit le 27/11/2018 à 21:11
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L’idée répandue aux pays bas peut s’énoncer comme suit : nous sommes plus rentables , nous sommes les bon élèves , Air France ce sont des fainéants ( Air lazy...) donc nous sommes fondés à tout diriger ....à notre profit.... C’est oublier un peu vit...

à écrit le 27/11/2018 à 13:12
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J'ai l'dee que Ben Smith a "vendu" le KLM au profit du SPNL en echange de leur accord sur les negocations, plus pour son propre image. Le debut de son echec.

à écrit le 27/11/2018 à 9:11
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Le pouvoir ne se partage pas, c'est pourtant simple a saisir.

à écrit le 27/11/2018 à 7:44
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Donc vous voulez fusionner voire degrader le funcionnement du KLM au niveau du AF?

à écrit le 27/11/2018 à 6:59
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Ben, il est beau! Mais le business, c est en Hollande que cela se passe 12 trillions d euros y circule chaque année. Si af pouvait seulement s inspirer un peu plus du savoir faire 'dutch' on progresserai!

le 27/11/2018 à 15:26
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Assez juste. Sans être idolâtre des bataves, on peut leur accorder que leur population partage le même but. Ce qui est loin d'être le cas à Air France. Les pilotes chez KLM sont une part de cogestion de l'entreprise (sans arriver au niveau des germai...

à écrit le 26/11/2018 à 20:52
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toujours se méfier des hollandais, ils se moquent éperdument des autres, eux seuls comptent, leurs profits, leurs intérêts EUX SEULEMENT. il suffit de voir leurs comportement d'arrivistes en France lorsqu'ils parasitent nos campings, nos plages. des ...

à écrit le 26/11/2018 à 18:19
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Il ne faut pas oublier que c'est Air France qui a racheté KLM ! Air France est en train de devenir une sorte de low Cost de KLM (hop, joon). Si cela avait été l'inverse KLM aurait fermé Air France et récupéré ses lignes rentables sans état d'âme !...

à écrit le 26/11/2018 à 18:01
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Comment est réparti le capital de KLM ? à ma connaissance, 100% appartient à la société AirFranceKLM, non ? C'est donc AirFranceKLM qui doit décider qui fait quoi !!! Quand au refus de KLM d'accepter Ben SMITH au conseil d'administration, mais comm...

à écrit le 26/11/2018 à 15:37
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Sans les KLM revenues bien dessus celui du AF, ce dernier n'a acune change de survivre.

le 26/11/2018 à 18:04
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Il y a 15 ans les hollandais étaient très content qu'Air France les reprennent. A cette époque, c'était Air France qui était en grande forme. Entre temps, certains dirigeants ont choisi d'affaiblir Air France au profit de KLM dont l'exploitation co...

à écrit le 26/11/2018 à 10:48
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Est-ce AF qui a acheté KLM ou l'inverse? Il faut se faire respecter .

à écrit le 26/11/2018 à 10:11
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Aaah !! les problèmes d'EGO !!!! et qui va trinquer ?? si ça continue ??!!...

à écrit le 26/11/2018 à 9:23
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Combat de coq dans l’arène... Comme d'hab, pour l'égo démesuré de petits roitelets, les deux compagnies vont encore trinquer... Et la concurrence se frotte les mains

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