Guerre en Ukraine : des sanctions qui laissent (presque) indifférents les marchés… et la Russie

Le camp occidental affûte d’heure en heure ses sanctions à l’encontre de la Russie après son invasion de l’Ukraine. L’idée est notamment de couper la Russie du système financier et bancaire international, ce qui est déjà largement le cas depuis 2014. La Russie est devenue très autonome des marchés de capitaux grâce à sa manne gazière. En attendant, les marchés restent relativement calmes face à cette crise sans précédent en Europe.
La guerre en Ukraine suscite une nouvelle volée de sanctions occidentales pour nuire à une économie russe déjà très isolée de l'Occident.
La guerre en Ukraine suscite une nouvelle volée de sanctions occidentales pour nuire à une économie russe déjà très isolée de l'Occident. (Crédits : Reuters)

Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, l'a dit vendredi en marge d'une réunion de l'Ecofin : il faut couper tous les liens entre la Russie et le système financier. Pour l'heure, l'Union européenne vise deux banques liées au pouvoir russe et une banque de développement, ainsi que l'accès de la Russie aux marchés européens de capitaux ainsi que ses services financiers, comme la banque centrale de la Fédération de Russie.

En revanche, la question de l'accès à la messagerie sécurisée interbancaire Swift a suscité des débats au sein de l'Union, l'Italie et l'Allemagne se montrant très réticents à cette mesure qui pourrait déstabiliser leur approvisionnement en gaz russe. « Certains Etats membres ont fait part de leurs réserves », a confirmé Bruno Le Maire.

La Suisse en ligne avec les sanctions européennes

Au Royaume-Uni, le premier ministre britannique Boris Johnson souhaite « mettre le paquet » sur les sanctions, notamment pour exclure « totalement » les banques russes de la City. Des mesures qui interdiraient aux entreprises et banques russes de lever des fonds au Royaume-Uni, mais aussi qui limiteraient les montants que les citoyens russes pourront détenir sur leurs comptes bancaires britanniques. Londres est très favorable à l'exclusion des banques russes au réseau Swift.

Plus surprenant, la Suisse a également annoncé des mesures pour éviter que les sanctions internationales ne soient contournées en passant par le système bancaire suisse. Il sera ainsi interdit aux banques, assureurs ou intermédiaires financiers de nouer de nouvelles affaires avec les entités et les personnes visées par les sanctions européennes.

Enfin, aux Etats-Unis, de nouvelles sanctions viennent s'ajouter à celles prises en 2014 lors de l'annexion de la Crimée, notamment sur la première banque russe, Sberbank et 25 de ses filiales, dont l'État russe détient la majorité du capital.

Des marchés résilients face à une crise sans précédent

Au terme de cette semaine tragique, qui voit la Russie attaquer un pays européen (même s'il est historiquement sous influence russe), les marchés sont restés étrangement résilients. Comme imperméables aux discours martiaux des dirigeants occidentaux et au drame qui se joue à Kiev.

L'indice Stoxx 600 (600 premières capitalisations européennes) ne perd ainsi « que » 1,58% sur les cinq dernières séances alors que le CAC 40 cède 2,56% pour clôturer la semaine au-dessus des 6.750 points.

Même constat à Wall Street avec des indices quasi stables sur la semaine, dans le vert, comme le S&P 500 (+0,82%) ou le Nasdaq (+1,08%). Il faut reconnaître que les entreprises américaines avaient déjà pratiquement coupé tout lien avec la Russie depuis 2014.

« Deux raisons peuvent expliquer la faible réaction des marchés, passée le coup de l'émotion. La première tient à l'analyse géopolitique froide, mais je pense assez lucide, que le conflit ne s'étendra pas en dehors des frontières de l'Ukraine et qu'il ne se passera pas finalement grand-chose, excepté quelques sanctions dont on sait déjà qu'elles seront relativement indolores. La deuxième raison est que ce conflit pourrait modérer les ardeurs des banques centrales à resserrer leur politique monétaire cette année. Déjà, les anticipations de hausse des taux directeurs en mars aux Etats-Unis sont revenues à 25 points de base et la banque centrale européenne laisse entendre qu'elle pourrait reporter la fin de sa politique d'achat d'actifs », avance Eric Galiègue, analyste de marchés et président de Valquant Expertyse.

Mais, ajoute-t-il, « l'arbre ne doit pas cacher la forêt. Il existe beaucoup d'éléments qui s'accumulent depuis six mois qui pourraient faire basculer la Bourse vers un nouveau cycle baissier, et ce, indépendamment de la crise ukrainienne ».

Une Russie quasi absente des marchés de capitaux

Calme plat (ou presque) également sur les marchés obligataires. Le « dix ans » américain a oscillé sur la semaine dans un étroit corridor sous la barre des 2% et le Bund allemand s'est légèrement redressé à 0,23%. Pas de fuite donc massive « vers la qualité » qui traduit une très forte aversion au risque. Même sur le marché obligataire, l'impact de la crise est mesuré.

Sur la partie la plus risquée de la dette, le segment « high yield » (haut rendement), généralement très corrélé aux actions, le « spread » (écart de taux entre l'actif risqué et l'actif sans risque), mesuré par l'indice européen CrossOver, est ainsi revenu sur ses niveaux de stress de début février, autour de 330 points de base, contre un pic en semaine à 360 points de base, et 250 points de base en fin d'année 2021.

« Les marchés ont toujours un biais optimiste et personne n'avait anticipé l'invasion de l'Ukraine. Au vu de la hausse des rendements du début d'année et de cet évènement, les obligations pourraient retrouver la faveur des investisseurs par rapport aux actions pour les mois a venir, comme valeur refuge », estime Matthieu Bailly, stratège chez Octo AM, spécialiste de la gestion obligataire « value ».

Ce dernier souligne également le faible impact sur les émetteurs russes des sanctions promises. Pour la simple raison que ces émetteurs sont pratiquement absents des marchés de capitaux internationaux.

L'exception Gazprom

De fait, depuis quinze ans, la Russie s'est massivement désendettée (l'endettement de l'Etat russe représente seulement 17% de son PIB) et ses réserves, en or et en obligations internationales, accumulées grâce à la manne pétrolière et gazière, représentent près de 40% de son PIB. Sur le marché domestique, le montant total des émissions souveraines est d'environ 180 milliards de dollars, souscrites par des investisseurs russes alors que les obligations russes placées sur les marchés internationaux pèsent à peine 35 milliards de dollars, soit un quart de moins de la dette d'EDF !

« Depuis de nombreuses années, les obligations russes sont sur des listes « grises », c'est-à-dire que la plupart des investisseurs s'interdisent d'y souscrire.  Et depuis 2014, les banques russes sont privées de fait d'émissions sur les marchés internationaux et leurs papiers sont sous embargo et donc inéligibles dans les portefeuilles américains et européens », explique Matthieu Bailly. Ce qui tempère la force des déclarations politiques sur la fermeture des marchés pour la Russie. C'est visiblement déjà le cas.

A une exception près, relève Matthieu Bailly, Gazprom, le géant gazier russe et véritable « pompe à fric » de l'Etat russe, dirigé par des proches de Vladimir Poutine :

Gazrom, « le principal fournisseur de gaz en Europe est exempté des embargos en cours et il est toujours éligible dans les portefeuilles mondiaux. »

Il peut continuer d'émettre, notamment depuis le Luxembourg, ce qu'il ne fait cependant que très rarement.

Pas touche au gaz

C'est tout le dilemme dans lequel se trouvent les Européens : comment sanctionner la Russie (qui s'est d'ailleurs très largement isolée de l'Occident ces dernières années) sans compromettre l'approvisionnement en gaz de l'Europe, notamment de l'Allemagne et de l'Italie.

Cette question s'est curieusement cristallisée autour de l'accès à Swift, considéré comme une « arme atomique » alors que la véritable arme atomique (mais pour qui ?) serait un embargo sur le gaz et le pétrole russe.

Lire aussi 6 mnUkraine: impossible de se passer du gaz russe aujourd'hui, selon Pouyanné (TotalEnergies)

« Nous pouvons nous interroger sur la réelle utilité d'exclure les banques russes du protocole Swift qui n'est qu'un protocole d'échange de messages sécurisés et non un système de paiement », estime ainsi Julien Martinet, avocat associé au cabinet Swift Litigation.

« Il existe sur le plan juridique», poursuit l'avocat, « des mesures qui seraient beaucoup plus efficaces pour appréhender les avoirs ou bloquer les flux comme des lois d'embargo, des lois d'interdiction de transaction avec certaines entités, ou le gel des actifs, notamment des comptes bancaires détenus à l'étranger par des citoyens russes ou de l'immobilier, sous réserve d'être en capacité de bien identifier les véritables propriétaires, qui sont souvent dissimulés dans des trusts domiciliés dans des paradis fiscaux. Interdire l'accès à la messagerie sécurisée Swift gênerait sans nul doute les opérations, avec des délais plus longs, des coûts et des risques de fraude plus élevés, mais cela n'empêchera pas pour autant les transferts de fonds, qui trouveront bien vite d'autres canaux. »

Couper les liens avec le système bancaire russe

L'exclusion des banques russes du réseau Swift est une menace régulièrement agitée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni depuis 2014, et même évoqué par l'Union européenne en avril 2021 alors que la Russie commençait à amasser des troupes à la frontière ukrainienne. Cette menace, la Russie la connaît, la considère même « comme une déclaration de guerre », selon le premier ministre russe de l'époque Dimitri Medvedev.

« La probabilité que cette option soit mise en œuvre est restée faible. Le haut niveau d'interconnexion de la Russie avec l'Occident a servi de bouclier. Ce sont les Etats-Unis et l'Allemagne qui auraient le plus à perdre car les banques américaines et allemandes sont les utilisateurs les plus fréquents de Swift pour communiquer avec les banques russes », rapporte Maria Shagina dans son étude sur le sujet publiée en avril 2021 par le think tank Carnegie Moscow Center.

Toutefois, la Russie se prépare à cette éventualité. La banque centrale russe a mis en place une messagerie alternative, le SPFS, bien moins performante et qui reste essentiellement domestique. Il est envisagé de rendre obligatoire l'adhésion à ce réseau pour toutes banques opérant en Russie. Une autre option est souvent envisagée, celle du rapprochement du SPFS avec le système chinois CIPS, dans le cadre d'un nouvel axe sino-russe. De fait, le renminbi chinois a plus de potentiel à l'international que le rouble, même s'il ne représente que 2% des échanges mondiaux, contre plus de 40% pour le dollar.

Le levier des réseaux de paiement

Depuis 2014, un grand nombre de banques russes ont été placées sur liste noire par les Etats-Unis, et les grands réseaux internationaux de paiement, Visa et Mastercard, ont suspendu leurs services aux banques visées. Parallèlement, la Russie a développé son propre scheme avec Mir, avec plus de 80 millions de cartes émises. Ce système reste domestique et ne fonctionne pas à l'international. Seules des cartes cobrandées avec d'autres systèmes, comme Maestro (Mastercard), ou le système chinois UnionPay peuvent être utilisées à l'étranger.

Pour l'heure, une coupure formelle avec Visa ou Mastercard n'est pas formellement avancée parmi les sanctions occidentales. « Face aux derniers événements liés au contexte géopolitique, Visa continue de se concentrer sur la sécurité de ses employés et sur le maintien des opérations commerciales pour ses clients. Nous avons mis en place des mesures pour assurer la continuité de nos activités. Celles-ci ont permis d'assurer la disponibilité et le service de nos opérations en continu. Nous suivons étroitement les évolutions de la situation », déclare à La Tribune un porte-parole de Visa.

Une dernière option pourrait s'offrir à la Russie pour contourner les sanctions sur son système financier : le lancement d'un rouble numérique pour assurer les transactions transfrontières. La banque centrale de Russie vient d'ailleurs d'annoncer plusieurs tests de rouble numérique avec plusieurs banques russes, dont deux auraient réussi à opérer un transfert complet de monnaie numérique entre leurs clients. Le rouble numérique vise un objectif : réduire la dépendance de la Russie au dollar et... minimiser l'impact des sanctions.

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Commentaires 15
à écrit le 27/02/2022 à 9:18
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Parce que les marchés financiers ont passé la surprise maintenant ils planifient une Ukraine russe, exactement comme je le disais, même en temps de guerre leur gestion du monde reste prévisible c'est pour dire où ils ont fait tomber l'humanité les zo...

à écrit le 27/02/2022 à 9:11
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Les sanctions se retourneront durement contre nous.. A la guerre on se bat ou on discute.. Ça ne serait pas la première fois que les cosaques viendraient faire boire leurs chevaux dans les fontaines de Paris.. L'UE doit se limiter à l'"humanitaire et...

le 27/02/2022 à 11:51
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l esprit de munich est toujours vivant en france. Rappelez vous ce qu a dit Churchill au premier minitres angalias a l epoque: vous aviez le choix entre le deshonneur et la guerre. vous avez choisit le deshonneur, vous aurez la guerre

le 27/02/2022 à 19:49
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La ré-industrialisation de la France est en route. Albert montre le chemin avec une première usine de drapeaux blancs. Vieille tradition locale. Merci Albert !

à écrit le 27/02/2022 à 7:49
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Un grand bravo pour vos efforts de traductions en français des mots et expressions en globish Enfin un journal qui se préoccupe de savoir si le lecteur français pourra le suivre.

à écrit le 27/02/2022 à 5:50
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Dans ce conflit où s'opposent des réflexes, des modes de pensée, des héritages différents, il est temps de réfléchir en terme de sufaces, de provinces ou de pays et non en terme d'individus, qu'ils soient Ms Biden, Macron, Poutine et consorts... Sou...

le 03/03/2022 à 17:28
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Pour "en finir" avec les Ouighours, les Chinois devraient peut-être s'inspirer de ce qu'il a fait en Tchéthenie transformée en milices musulmanes à genoux devant lui. Ce n'est pas un tour de force mais un coup de chance car le papa de son affre...

à écrit le 26/02/2022 à 18:25
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croire que des sanctions economiques arretent un conflit en cours releve de l'amateurisme...

à écrit le 26/02/2022 à 17:29
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Tout le monde a fait des erreurs. L'occident a fermé les yeux pendant des années sur les persécussions contre les populations russophones d'Ukraine, et n'a pas jugé utile de négocier sérieusement avec la Russie un statut de neutralité. D'un autre côt...

à écrit le 26/02/2022 à 16:57
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Qu'attend la France pour envoyer des "conseillers" militaires de la légion étrangère avec des convois d'armement?

à écrit le 26/02/2022 à 16:44
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Bonjour Si les sanctions économiques n'apporte pas grand chose.... Nous pouvons livrer des armes a l'Ukraine, chaque soldat Russe qui rentrera mors devrait les faire changer d'avis.... Ensuite, formation d'une alliance militaire entre les seul nat...

à écrit le 26/02/2022 à 15:39
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Dans la guerre d'information en cours, on relèvera que pour certains, les sanctions occidentales ne peuvent faire aucun mal à la Russie, mais que par contre des sanctions russes contre l'Occident nous laisseront sur le pavé. De toute façon, seuls le...

le 26/02/2022 à 20:10
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Donc votre objectivité supposée porterait à croire qu'il n'en n'est rien. Faire confiance à des dirigeants et/ou des états major d'ou qu'ils fussent m'apparaît d'une très touchante naïveté, je vais aller regarder Bambi au cinéma ce soir.. Je ne sui...

à écrit le 26/02/2022 à 15:25
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Dans les vingt-quatre heures qui ont suivi la reconnaissance des républiques séparatistes de l’est de l’Ukraine par Moscou, lundi 21 février, l’Union européenne (UE), le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont acheté un peu plus de 700 millions de dollars ...

à écrit le 26/02/2022 à 15:24
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Les guerres n'ont jamais empeche les affaires. Bien au contraire.

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