Grande distribution : à quelques jours de la date butoir, les négociations commerciales avec les fournisseurs dans l’impasse

Alors qu'elles doivent aboutir avant le 1er mars, les négociations entre les grands distributeurs et leurs fournisseurs, perturbées par l'inflation et la loi Egalim 2, sont moins avancées que les années précédentes à la même date. Le risque d'un retard est élevé. Il pourrait provoquer des arrêts de livraisons. Explications.
Giulietta Gamberini
En l'absence d'un nouveau contrat, par défaut, les enseignes de distribution vont maintenir les tarifs de l'année dernière, désavantageux pour les fournisseurs car ils ne prennent pas en compte l'inflation, explique l'avocat Boris Ruy.
En l'absence d'un nouveau contrat, par défaut, les enseignes de distribution vont maintenir les tarifs de l'année dernière, désavantageux pour les fournisseurs car ils ne prennent pas en compte l'inflation, explique l'avocat Boris Ruy. (Crédits : Reuters)

Le coup de sifflet marquant la fin du match s'approche. Avant le 1er mars, selon la loi française, les négociations commerciales en cours entre les grands distributeurs et leurs fournisseurs de produits des marques nationales doivent aboutir à la signature d'une convention générale de vente, sous peine d'amende. Mais cette année, ce rendez-vous risque d'être largement manqué, s'inquiètent de nombreuses parties prenantes.

A moins d'une semaine de l'échéance, "60% des PME n'ont encore souscrit aucun contrat" avec les distributeurs, constate Alexis Vaillant, président fondateur de l'entreprise Alterfood et administrateur de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (Feef).

"Les négociations sont beaucoup moins avancées que les années précédentes à la même date", confirme Boris Ruy, avocat et directeur associé du cabinet Fidal, qui conseille plusieurs dizaines d'acteurs du secteur agro-alimentaire.

"Nous sommes face au risque sans précédent qu'une forte proportion de contrats avec la grande distribution ne soient pas signés à la date butoir", redoute-t-il, en estimant que ce danger pèse encore plus sur les grands groupes industriels que sur les PME.

Des négociations dures et des pratiques déloyales

A l'origine de ce retard, une conjonction de trois éléments qui complique cet exercice annuel toujours tendu. Tout d'abord la forte inflation de ces derniers mois, qui pèse sur tous les facteurs de production en poussant les industriels à demander des hausses importantes de leurs prix. A cela s'ajoute l'adoption - de surcroît tardive- de la loi Egalim 2, qui non seulement rend non négociable la part des tarifs des industriels correspondant aux coûts des matières premières agricoles, mais qui en plus, en alourdissant les contraintes juridiques, "ajoute de la tension", souligne Alexis Vaillant. Enfin, pendant la période électorale "le discours autour du pouvoir d'achat est particulièrement nauséabond", regrette l'administrateur de la Feef.

Lire: Prix alimentaires : négociations explosives entre la grande distribution et les fournisseurs

Dans ce contexte, le gouvernement -"extrêmement proactif" selon la Feef- a beau répéter les appels au respect de la loi et menacer des sanctions, les négociations en cours restent jusqu'au bout particulièrement dures sur la partie des prix encore négociable. "Certaines pratiques déloyales perdurent" aussi, dénonçait fin janvier la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (Fnsea), en citant quelques exemples déjà relevés par la Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) :

"le démarrage des négociations sur la base du tarif de l'année passée plutôt que sur la base des demandes légitimes du fournisseur, les déductions d'office de pénalités logistiques sans proportionnalité de leur montant avec le tarif ou encore les éternelles menaces de déréférencement".

Leclerc n'est pas le plus agressif

Le paysage varie en réalité en fonction des produits et des enseignes. "Certains distributeurs sont plus agressifs sur certaines catégories de produits qui sont pour eux stratégiques", analyse Alexis Vaillant, qui rappelle aussi l'importance du "facteur humain". Les produits non alimentaires, notamment, non protégés par la loi Egalim 2, en subissent les effets pervers, en encaissant "les foudres des distributeurs". Les PME bénéficient en revanche partiellement de l'engouement des consommateurs pour le local et le "made in France", qui les impose en rayon.

"Les distributeurs l'ont compris: les produits d'appel, ce ne sont pas ceux des PME, dont la valeur ajoutée consiste surtout dans la différenciation", analyse Alexis Vaillant.

Les dynamiques en cours cette année réservent aussi quelques surprises: "Les plus durs ne sont pas les distributeurs que l'on cite le plus souvent" comme défenseurs aguerris du pouvoir d'achat, a déclaré le 21 février, lors d'une conférence de presse du Conseil de l'agriculture, la présidente de la Fnsea, Christiane Lambert, en affirmant se fonder sur des discussions récentes avec huit industriels. Les négociations se révèlent en effet être plus faciles avec les "enseignes déjà bien placées en termes de conditions d'achat", note Boris Ruy.

"Les distributeurs qui bénéficient déjà de bonnes marges comme Leclerc ou Carrefour, moins inquiets de la concurrence, réagissent mieux face à la nécessité d'accepter une partie des hausses", explique-t-il.

Leclerc notamment, pourtant considéré comme l'initiateur, depuis les années 60, de la guerre des prix entre grands distributeurs qui a conduit à une dévalorisation progressive des produits alimentaires en France, se montre plutôt volontaire dans l'application d'Egalim 2, et dans la protection des agriculteurs et des PME, estime la Feef.

Le risque de pénuries

Quelles seront les conséquences d'une absence d'une convention générale de vente signée avant le 1er mars? La loi prévoit une amende jusqu'à 375.000 euros, rappelle Boris Ruy. Applicable aux deux parties, elle est toutefois quasiment toujours prononcée aux seuls égards du distributeurs, les juges tenant compte du déséquilibre du pouvoir contractuel, précise-t-il.

En l'absence d'un nouveau contrat, par défaut, les enseignes de distribution vont toutefois maintenir les tarifs de l'année dernière, désavantageux pour les fournisseurs car ils ne prennent pas en compte l'inflation, observe Boris Ruy.

"Afin de ne pas produire à perte, beaucoup d'industriels envisagent donc d'arrêter les livraisons. Certains l'ont d'ailleurs déjà fait", met ainsi en garde l'avocat, pour qui ce réflexe est "cinq fois plus présent cette année que lors des négociations précédentes".

Pour les gros industriels, dont certains produits ne peuvent pas manquer des rayons des supermarchés, il s'agit d'un fort moyen de pression. Selon Boris Ruy, il pourrait engendrer des pénuries sur certains produits:

"Dans la grande distribution, on voit déjà certains rayons se vider", constate-t-il.

La chaîne de valeur en danger?

A plus long terme, si les hausses demandées par les fournisseurs ne sont pas acceptées par les distributeurs, le danger est celui d'un affaiblissement de l'ensemble de la chaîne de valeur, souligne la Fnsea, inquiète de la bonne santé des débouchés des produits agricoles, et qui semble ainsi se ranger du côté des industriels. Sans compter que "l'année prochaine, lorsque les distributeurs maîtriseront mieux le fonctionnement d'Egalim 2, les négociations risquent d'être encore plus difficiles", craint Alexis Vaillant.

"Nous ne laisserons pas passer une déflation cette année", martèle ainsi Christiane Lambert, en promettant de signaler à la DGCRF les distributeurs qui ne respectent pas la loi, voire d'en publier les noms.

"Du fait de ses effets pervers, personne ne bénéficie vraiment de cette loi faite pour les seuls agriculteurs", estime Alexis Vaillant, qui prône déjà une loi Egalim 3 prenant aussi en compte la valeur ajoutée issue de la transformation des produits agricoles.

La Fnsea rappelle aussi la nécessité que les ménages mettent la main à la poche: aujourd'hui, ils consacrent moins de 15% de leur budget à l'alimentation.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 2
à écrit le 23/02/2022 à 9:50
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""signature d'une convention générale de vente, sous peine d'amende.""......il faudrait poursuivre les auteurs de la loi pour fascisme et apologie de la haine; c'est contraire au droit d'obliger les gens a signer un papier qu'ils ne veulent pas sign...

à écrit le 23/02/2022 à 9:20
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L'agro-industrie a été une économie copieusement voulu par la classe politico-financière, pour engraisser des milliardaires bêtes et inutiles certes mais également pour faire baisser le prix de la bouffe afin d'assurer le pain, les grandes surfaces s...

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