Ca rapporte. Les marges tourneraient en moyenne autour de 10 %. Mieux: sur le 4x4 de la gamme, elles dépasseraient carrément les 15%! S'agit-il de BMW, Audi, Porsche, spécialistes allemands du haut de gamme? Pas du tout. C'est la rentabilité de la fameuse gamme "Entry" de Renault, commercialisée en Europe et en Afrique du nord sous le label roumain Dacia, ailleurs sous la marque au losange elle-même. Eh oui! A propos, quelle est la Renault la plus vendue dans le monde, la Clio, la Mégane, le Scénic ? Non. Le véhicule le plus populaire du constructeur français est le... Duster. Tout un symbole. Le fameux 4x4 à bas coût (155.729 unités vendues sur cinq mois, + 59 %) devance les Clio IV et autres Mégane. Le Duster illustre le formidable succès de cette fameuse gamme Entry à bas prix, inaugurée en 2004 par la fameuse Dacia Logan et qui génère aujourd'hui 40 % des ventes du groupe français. Cette année, Renault va carrément dépasser le million de ventes pour la gamme "Entry" (953.000 l'an dernier).
Cette réussite, bien des concurrents la jalousent ! Fiat avait bien tenté, dans les années 1990, de faire une « world car » (voiture mondiale) d'entrée de gamme. Ce fut la Palio, sortie en 1997 et suivie de ses dérivés Siena ou Strada (pick-up). Mais cette gamme n'a vraiment remporté de succès qu'en Amérique du Sud, avec une production au Brésil (470.000 unités l'an dernier). On est donc très loin du concept d'une gamme universelle comme l'"Entry" de Renault.
Fiat Palio
Le coréen Hyundai-Kia et le japonais Suzuki commercialisent aussi des modèles pas chers sur certains marchés comme l'Inde, mais ceux-ci n'ont pas non plus une vocation mondiale. Il s'agit d'ailleurs de véhicules souvent anciens. Les Toyota Etios et Honda City ne sont pas exactement des modèles à bas coût. De plus, à l'instar de leurs concurrents, ces véhicules restent cantonnés à quelques pays émergents spécifiques. Comme Skoda (Volkswagen), Chevrolet (GM) aligne certes une palette de véhicules moins chers que ceux des différents constructeurs généralistes. Mais ces modèles n'en sont pas moins nettement plus onéreux que les Dacia Logan et Sandero. Même chose pour les nouvelles Peugeot 301 et Citroën C-Élysée du groupe PSA, de petites berlines familiales sur plate-forme de 208 simplifiée et rallongée. Celles-ci coûtent 3.000 euros de plus au minimum qu'une Logan.
Toyota Etios
Volkswagen étudie activement la question
Ayant réussi la montée en gamme progressive du tchèque Skoda, Volkswagen songe, lui, à concurrencer bel et bien Dacia avec un nouveau label bas de gamme... « Nous travaillons sur un véhicule à bas prix, à des tarifs logiquement au-dessous de l'entrée de gamme actuelle de Volkswagen, soit moins de 80.000 yuans [environ 8.500 euros] en Chine. Avec une marque spécifique, confirmait fin avril 2013, au Salon de Shanghai, Christian Klingler, membre du directoire du groupe Volkswagen en charge des ventes. La priorité, c'est la Chine, mais avec des déclinaisons régionales en Russie, en Amérique du Sud ou ailleurs dans les pays émergents. » Cette marque viendra-t-elle en Europe de l'Ouest ? « Il ne faut jamais dire non. Mais ce n'est pas prévu a priori », soulignait le dirigeant du groupe allemand.
Volkswagen s'inspire-t-il de Renault ? « On regarde ce que l'on peut apprendre », reconnaissait laconiquement Christian Klingler, ajoutant : « Renault s'est très bien adapté avec les véhicules à bas coût. » Le futur véhicule low cost de Volkswagen ne devrait pas, toutefois, être lancé avant 2016, selon les récentes affirmations d'Ulrich Hackenberg, directeur de la recherche et du développement de Volkswagen passé aujourd'hui chez Audi. Bref, la gamme Entry de Renault a encore des beaux jours devant elle sans vraie concurrence...
Recettes simples a priori
Les recettes du « bas coût » à la Renault sont a priori simples. Mais c'est une telle alchimie que, jusqu'à présent, seul Renault a su vraiment trouver les bons dosages. En premier lieu, tous les véhicules réutilisent la fameuse plate-forme « B Zéro » - devenue « M Zéro » après quelques modifications - inaugurée par la première Logan. Du coup, les nouvelles Logan II et Sandero II ont « 50 % de composants communs en valeur avec leurs prédécesseurs », souligne Arnaud Deboeuf, directeur du programme Entry du groupe tricolore. Deuxième ingrédient clé : le partage d'un maximum de pièces entre actuels modèles de la gamme. « 80 % des pièces » des Logan II et Sandero II sont communes.
Dacia Sandero II
Troisième élément : un nombre de composants inférieur à celui d'une voiture traditionnelle. « Une Sandero II comporte 1.800 pièces, contre 2.300 dans une Clio. » Les coûts salariaux jouent également un rôle majeur. Entre le site de production roumain de Pitesti et une usine française, le rapport est de un à trois pour le salaire d'un opérateur de base. Enfin, tous ces véhicules sont voués à des séries extrêmement longues. D'où les énormes économies d'échelle. Pas moins de 3,5 millions de Logan et de Sandero ont été assemblées à ce jour au total.
Démarrage du concept en 1998
Le point de départ de cette extraordinaire aventure de la voiture à bas coût chez Renault remonte à... un voyage en Russie, à la fin des années 1990, de Louis Schweitzer, PDG de Renault à l'époque. Le dirigeant constate alors que le marché local est dominé par des véhicules pas chers, adaptés au pouvoir d'achat local, mais de conception obsolète et de fabrication pour le moins médiocre. Germe du coup dans son esprit l'idée de proposer une voiture moderne, simple, fiable, au prix de 5.000 dollars... qui deviendront 5.000 euros. C'est moitié moins qu'une Renault Clio à l'époque. Le prix de base en France d'une Dacia Logan aujourd'hui est de 7.700 euros. Quand Louis Schweitzer évoque ce véhicule en 1998, il se heurte au scepticisme général. Logique. L'idée tient de la quadrature du cercle. La plate-forme n'existe pas, l'usine pour fabriquer un tel modèle non plus.
Et c'est là que... Dacia intervient. Le groupe français a pris le contrôle en 1999 de ce constructeur roumain en déshérence avec son usine géante de Pitesti, à 120 kilomètres de Bucarest. Ça tombe bien : Dacia avait été créé dans les années 1960 par le dictateur communiste Nicolae Ceausescu pour produire des Renault sous licence (R8, puis R12). Depuis la fin des années 1970, la licence avait expiré et Dacia poursuivi seul la fabrication des R12 et dérivés très bon marché (4.000 euros en 2000) et à la qualité de fabrication épouvantable. Mais, même longtemps interrompues, des relations historiques continuaient d'exister.
Dacia 1300 (R12)
Quand Renault reprend Dacia, la gageure semble rude : ateliers vétustes, mauvais fournisseurs, productivité dérisoire, effectifs pléthoriques, corruption, vols de pièces, etc. Pour Renault, il s'agit à la fois de créer ex nihilo un nouveau type de véhicule totalement différent de ce que l'on connaissait jusque-là et de transformer de fond en comble un outil industriel vétuste. Pourtant, Renault est parvenu en quelques années à faire de Pitesti une usine ultracompétitive, capable de produire des véhicules de qualité. Et le Technocentre Renault de Guyancourt (Yvelines) a su concevoir une Logan au prix de revient en fabrication imbattable.
Un phénomène de société en France
Berline quatre portes aux lignes carrées, pas très belle, spartiate et dépourvue du moindre raffinement, mais adaptée aux mauvaises routes avec sa suspension à grands débattements, facilement réparable, fiable grâce à sa simplicité et au recours à des organes éprouvés depuis longtemps, la Logan a été saluée dès sa sortie comme un véhicule intelligent, voire avant-gardiste dans son mode de conception, pratique et efficace. Ce modèle unique s'est mué au fur et à mesure en gamme complète. Une version à cinq portes et hayon plus moderne, baptisée Sandero, a vu le jour en 2007, suivie du 4x4 Duster en 2010.
Renault Duster
Aujourd'hui, la gamme "Entry" se paie le luxe d'être l'une des plus jeunes de la production mondiale. Les Logan et Sandero ont été renouvelées entièrement l'hiver dernier, après les lancements successifs en 2012 du monospace Lodgy puis de la fourgonnette Dokker et de son dérivé « ludospace ». Et le programme ne s'arrêtera pas là. Renault étudie avec son partenaire japonais Nissan des véhicules à très bas coût, avec des modèles prévus à 5.000, puis autour de 3.000 euros ! Nissan a d'ailleurs annoncé le prochain lancement d'une marque spécifique (Datsun) pour produits d'entrée de gamme.
Vecteurs du développement de Renault à l'international, ces véhicules sont essentiellement destinés aux pays émergents. Grâce à eux, le Brésil et la Russie étaient les deuxième et troisième débouchés du constructeur tricolore, derrière la France, en 2012. Pour des raisons de coûts, mais aussi de marchés, ces véhicules de la gamme Entry sont tous assemblés hors d'Europe occidentale. À l'usine originelle de Pitesti se sont ajoutés les sites russe de Moscou, marocain de Casablanca, brésilien de Curitiba, colombien de Medellín, indien de Chennai, iranien de Téhéran (avec Iran Khodro et Pars Khodro). Début 2012 a démarré le site géant de Tanger (Maroc). Et l'usine russe de Togliatti, appartenant au constructeur Avtovaz (Lada), contrôlé par Renault, va bientôt commencer la fabrication de modèles de cette même gamme pour le compte du constructeur français. Ce site, à mille kilomètres de Moscou, fabrique déjà la Lada Largus, un étroit dérivé de la Logan break.
Renault Tondar iranienne
Lada Largus
Conçus pour les pays émergents, ces modèles d'entrée de gamme cartonnent aussi en Europe de l'Ouest, même s'ils n'avaient pas vocation à y être diffusés. Dacia est même le champion de la croissance dans l'Union européenne, toutes marques confondues ! Ses immatriculations y ont bondi de 17,7 % sur cinq mois (à 112 ! 900 unités). Dacia représente même aujourd'hui le quart des ventes en France du constructeur de Boulogne-Billancourt. Un véritable phénomène de société. En clair, si les Dacia sont les moins chères du marché, elles ne s'adressent pas seulement aux « pauvres ! Les clients « ne sont pas forcément des gens financièrement contraints, mais des consommateurs qui ont un niveau d'exigence pas trop élevé. Ce sont des gens qui veulent quelque chose de suffisant, sans plus, analyse Arnaud Deboeuf.
Les gens changent leur mode de consommation. C'est un mouvement de fond, une nouvelle attitude des consommateurs vis-à-vis de l'automobile. Et quand la crise sera finie, ce phénomène restera », explique le dirigeant. Un destin paradoxal pour cette brave Logan roumaine ! Problème : les Dacia finissent par concurrencer en Europe les... Renault.
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1968 : Dacia lance la 1100, une R8 sous licence Renault.
1999 : Renault reprend 51 % du constructeur roumain Dacia.
2004 : Commercialisation de la Dacia Logan.
2005 : Début de la fabrication à l'usine Avtoframos de Moscou.
2007 : Lancement de la Sandero sous les marques Dacia et Renault (au Brésil).
2010 : Démarrage du premier 4x4 Dacia, le Duster
2012 : Inauguration de l'usine géante de Tanger, au Maroc.
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