Entre béton moins polluant, hydrogène et actionnaires pressants, comment Vinci vise la neutralité carbone

En janvier 2020, le géant du BTP annonçait voulait « revoir de fond en comble » sa politique environnementale. C'est chose faite : le groupe Vinci vient de présenter sa stratégie pour atteindre une émission de CO2 neutre d'ici 2050. Toutes les branches du groupe sont concernées : concessions autoroutières, constructions et conseils énergétiques. Pour l'heure, les ONG pointent une prise en considération des émissions indirectes insuffisante.
César Armand
Le groupe vise la neutralité carbone en 2050. Avec une première étape importante : réduire de 40% ses émissions de CO2 d'ici 2030 par rapport à 2018 « sur son périmètre direct ».
Le groupe vise la neutralité carbone en 2050. Avec une première étape importante : réduire de 40% ses émissions de CO2 d'ici 2030 par rapport à 2018 « sur son périmètre direct ». (Crédits : PHILIPPE WOJAZER)

Après Bouygues et Eiffage, c'est au tour de Vinci de dévoiler sa stratégie de décarbonation de ses activités dans la continuité d'une résolution sur le climat adoptée en avril dernier par 98% de ses actionnaires en assemblée générale. Déjà, avant l'arrivée de la pandémie du Covid-19, le PDG du géant du BTP annonçait vouloir « revoir de fond en comble » sa politique environnementale. « Nous avons un nouvel et ambitieux engagement : réduire notre empreinte CO2 avec la trajectoire de la COP21 » déclarait Xavier Huillard le 5 février 2020. Pour limiter la hausse des températures à +1,5°C, en accord avec la trajectoire globale des Accords de Paris de 2015, un tiercé gagnant est avancé par le géant de la construction : des actions pour le climat, de l'optimisation des ressources grâce à l'économie circulaire ainsi qu'« une feuille de route visant un objectif de zéro perte nette de biodiversité ».

Des panneaux solaires sur des usines de production

Comme évoqué lors de ses vœux du 15 janvier 2020, le patron de Vinci promettait ainsi d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Avec une première étape importante : réduire de 40% ses émissions de CO2 d'ici 2030 par rapport à 2018 « sur son périmètre direct ».

A la tête d'une équipe de huit personnes, avec des relais dans chaque pôle et chaque division du groupe, la directrice de l'environnement Isabelle Spiegel assure que les choses avancent. « Nous nous concentrons sur la première décennie en faisant de la pure réduction d'émissions et non pas de la simple compensation, via des actions de terrain et du quotidien », explique-t-elle.

Au premier chef, les filiales Eurovia (route) et Vinci Construction « transforment » leur mode de production des revêtements et des bitumes. Cette dernière représente 40% des émissions de gaz à effet de serre du groupe. Concrètement, 43% des 400 usines de Vinci agissent déjà sur le recyclage de matières ou la substitution énergétique. Elles ont ainsi recours au gaz ou à l'électricité plutôt qu'au fioul. Le site de Chammes en Mayenne s'est par exemple équipé de panneaux photovoltaïques pour améliorer son efficacité énergétique. Les 57% des usines restantes « sont en cours » de transformation industrielle.

Des partenariats sur l'hydrogène

Autre concept en cours de déploiement : l'« autoroute bas-carbone ». Selon le PDG Xavier Huillard, ce nouveau concept repose sur trois piliers : l'aménagement de voies dédiées au covoiturage et aux transports en commun, le développement d'une offre de recharge décarbonée - une station tous les 80 kilomètres - et l'installation de panneaux photovoltaïques sur les délaissés autoroutiers. « Nous pouvons être pro-actifs de façon à accélérer la mutation vers une flotte de véhicule électrique », soulignait-il il y a dix-huit mois.

La promesse est en passe d'être tenue, à en croire Isabelle Spiegel. Selon la directrice de l'environnement du groupe, 37% des véhicules utilitaires de Vinci Autoroutes roulent avec des énergies bas-carbone, à l'électrique ou hybride, et 50% devraient l'être d'ici à fin 2022. Idem pour les stations de recharge : 55% des aires seront équipées fin août pour atteindre 100% d'ici à fin 2022. « Au moins une borne sur toutes les aires », assure-t-elle. Ce projet peut compter sur le soutien de la filiale de Vinci Autoroutes et de Vinci Energies, Easy Charge. Sur l'application de télépéage Ulys, il est déjà possible d'y visualiser les bornes partout en France. L'utilisation du badge pour le paiement est en revanche encore au stade de la réflexion.

A Toulouse, Vinci Autoroutes travaille aussi avec l'énergéticien américain Schlumberger afin d'alimenter en hydrogène ses flottes et ses partenaires publics-privés locaux en hydrogène. « Nous avons plusieurs compétences réunies dans un groupe de travail chez Leonard (incubateur interne dédié à l'innovation, Ndlr) », affirme Isabelle Spiegel.

Avec Schlumberger et le laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (Liten) du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Vinci Construction vient d'ailleurs de créer, en mars dernier une co-entreprise, Genvia. Aux côtés également du fabricant de matériaux de construction Vicat et de l'agence régionale énergie-climat d'Occitanie, il s'agit d'accélérer la production d'hydrogène décarboné et de « regarder comment le stocker et le distribuer », précise la directrice de l'environnement. En attendant, plusieurs chantiers fonctionnent grâce à des générateurs alimentés en hydrogène gris, c'est-à-dire à partir d'énergies fossiles.

Du bois pour faire voler les avions

Le souhait du patron du géant du BTP d'être moins dépendant du gazole non routier, principal carburant des engins de chantier, serait-il donc resté un vœu pieux ? Pas si sûr. Vinci Energies a passé un accord avec l'agro-industriel Avril pour se fournir en Oléo100, un carburant vanté comme « composé à 100% de colza français produit sur le territoire national ». « La réglementation est là, mais nous ne pouvons pas être en concurrence avec les usages animal et nutritif », nuance Isabelle Spiegel.

Avant de citer un autre partenariat avec le pétrolier TotalEnergies et le recycleur Paprec pour transformer le bois non-valorisable en biocarburant pour l'aviation. C'est notamment la matière « contenant en général des additifs issus de l'ameublement ». Depuis le 20 avril, Vinci Aéroports, aux côtés du syndicat mixte de l'aéroport Clermont-Ferrand Auvergne et du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes, revendique cet approvisionnement en biocarburants aériens durables (SAF), « exprimée initialement par Michelin Air Services ».

Lire aussi 4 mnAirbus et Safran vont tester dès cette année un "avion vert", sans une goutte de kérosène

Sans attendre cette révolution au sol comme dans les airs, la multinationale utilise des tractopelles hybrides, insiste sur l'écoconduite auprès de ses conducteurs de la même manière qu'elle déploie des outils maison de pilotage et de télématique comme Linaster ou e-Track. Ou encore des solutions de jeunes pousses comme Hiboo. Cette entreprise récupère les données émises par les engins de chantier, tous équipés de capteurs ou presque, les homogénéisent et les restituent sur une plateforme unique. Comme son concurrent NGE, Vinci peut voir où et combien de machines ont fonctionné pendant un mois et quelles anomalies ont-elles pu subir. Le groupe a enfin la possibilité de cibler une zone géographique particulière ou un matériel roulant.

La directrice de l'environnement mise beaucoup sur le concours interne intitulé « Prix de l'environnement » qui a fait remonter 2.500 actions de terrain déjà expérimentées. L'une d'elles « moins 50% en 2024 » dans le Grand-Est invite à accélérer l'éco-conduite, à installer des bornes et à changer le parc de véhicules selon les usages. Cette implantation locale a par exemple ramené son parc de voitures diesel à trois et passé à trois ses véhicules hybrides et à six ses électriques.

90% de béton bas-carbone en 2030

Il n'empêche : le principal levier pour verdir le secteur du BTP reste l'atténuation de l'empreinte carbone du ciment. Le gouvernement et le syndicat français de l'industrie cimentière (SFIC) ont publié, en mars 2021, la feuille de route de décarbonation de la filière. D'après Bercy, celle-ci représentant 23% des émissions totales du secteur industriel. C'est pourquoi après la chimie qui doit réduire de 26% ses émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport au niveau de 2015, le ciment doit baisser d'un quart ses émissions de GES dans les dix ans et de 81% d'ici à 2050, par rapport à 2015.

En janvier 2020, le PDG de Vinci entendait « œuvrer pour améliorer l'empreinte environnementale directe générée par les activités des fournisseurs, partenaires et clients », c'est-à-dire agir en amont et en aval « du fait de la taille » du groupe qui lui confère « une grosse responsabilité ». Précisément, Xavier Huillard entendait, grâce à « [son] volume de béton », « accompagner la mutation de l'industrie à obtenir des liants plus vertueux ». Aujourd'hui, l'objectif est clair : 90% de béton bas-carbone en 2030.

A la manière du groupe Bouygues, via ses filiales Colas - route et rail - et Bouygues Construction, qui veut « augmenter la production de béton bas-carbone » et « réduire l'impact carbone des achats en agissant sur des lots prioritaires avec un engagement de réduction de l'impact carbone du ciment », Isabelle Spiegel plaide pour « mettre moins de ciment et le substituer par un autre partenariat ». Elle vient donc de signer une collaboration avec Ecocem qui utilise des laitiers, des déchets de fonderie et d'aciéries.

Ce n'est pas sans controverse. « Certains bétons dits bas-carbone proviennent de sites hors-UE. Il faut assurer la traçabilité de ces matières premières », met en garde la directrice du développement durable d'Eiffage, Valérie David. Le gouvernement vient en outre de lancer un groupe de travail sous la direction de la chercheuse de l'Ecole des Ponts Paris Tech, Adélaide Feraille. « Les aciéristes et les BTPistes ont pris conscience que les laitiers n'étaient plus forcément considéré comme un déchet mais un co-produit (c'est-à-dire récupérable, Ndlr). Son poids carbone reste toutefois bien plus faible que le ciment », réplique la directrice de l'environnement de Vinci.

Zéro déchet et zéro phyto

Le géant du BTP entend de même multiplier l'usage de granulats et de sable recyclés. Fort d'un premier kilomètre d'autoroute constitué à 97% de matériaux recyclés sur l'A10 entre Pons et Saint-Aubin (Gironde), le groupe veut augmenter de 20-25% à 70-75% la part de granulats recyclés dans l'entretien et la construction des routes. « C'est optimal d'un point de vue économique et environnemental » relève Isabelle Spiegel. L'économie circulaire ne s'arrête pas à ces infrastructures mais pousse la porte des aéroports avec l'objectif affiché de 100% de valorisation des déchets toutes sources confondues, en lien avec les acteurs locaux.

 Zéro déchet signifiera peut-même un jour 100% biodiversité. Du moins, Vinci travaille avec des écologues internes et externes pour connaître les milieux où il laisse son empreinte pour renforcer la biodiversité et refaire du génie civil écologique, via une politique zéro phyto, grâce au désherbage animal, mécanique et thermique.

« Manque de précision pour les émissions indirectes »

Tout cela a forcément un coût. Avant la pandémie, le patron promettait d'y consacrer « une part significative de ses moyens en matière de recherche et d'innovation » sans détailler le montant des espèces sonnantes et trébuchantes. Aujourd'hui, le groupe ne communique pas davantage : « Quand nous voyons le coût des effets du changement climatique, nous réalisons que ces investissements sont plus que nécessaires. Nous sommes des gens du temps long, tout ce que nous faisons pour l'environnement aujourd'hui est un investissement pour demain », conclut la directrice de l'environnement.

Toujours est-il que selon le benchmark de la vigilance climatique des multinationales établi par l'ONG Notre affaire à tous, Vinci est noté 55/100 devant Eiffage (40/100) et Bouygues (32,5/100). Les acteurs associatifs considèrent que le géant du BTP « doit compléter sa stratégie qui n'intègre pas d'objectifs pour les émissions de scope 3 et doit mettre en œuvre des mesures chiffrées et vérifiables». Le scope 3 définissant toutes les émissions indirectes de gaz à effet de serre, au-delà des scopes 1 et 2, renvoyant aux émissions directes et indirectes liées aux consommations énergétiques.

Lire aussi 6 mnBois dans la construction: « il faut flécher la ressource vers la demande locale » (Paul Jarquin, Fibois France)

César Armand

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 05/08/2021 à 13:04
Signaler
Les sociétés marchandes sont là pour vendre, polluer moins c'est forcément vendre moins exposant comme leur soit disant prise de conscience de l'effondrement de la nature n'est qu’un leurre tandis que tous les voyants sont dans le rouge.

à écrit le 05/08/2021 à 11:04
Signaler
Et on s'étonne que les gens ne veulent plus voter avec un auditoire politique pour l'ingérence toxique des représentants non élus par le peuple des organisations trans-gouvernementales...

à écrit le 05/08/2021 à 9:14
Signaler
Les sociétés marchandes sont là pour vendre, polluer moins c'est forcément vendre moins exposant comme leur soit disant prise de conscience de l'effondrement de la nature n'est qu’un leurre tandis que tous les voyants sont dans le rouge.

le 05/08/2021 à 10:46
Signaler
Faux , l'innovation est toujours porteuse de profits car un produit innovant se vend plus cher avec plus de marge .Toyota gagne plus avec ses hybrides ou élec qu'avec des essence .

le 05/08/2021 à 13:07
Signaler
"'innovation est toujours porteuse de profits " Faux, le moteur électrique existe depuis plus d'un siècle et n'est d'actualité que de nos jours, autant te dire que son inventeur n'est pas devenu riche grâce à lui. JE sais pasp ourquoi je me fatig...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.