Smart city : la donnée, nouvelle matière première des géants du BTP

De Vernon (Eure) à Yaoundé (Cameroun), en passant par Angers et Canberra, Bouygues, Eiffage, NGE et Vinci proposent toujours plus d'offres "villes intelligentes" aux collectivités. Les majors du BTP doivent encore jongler entre les données publiques et les responsabilités juridiques afférentes.
César Armand
(Crédits : DR)

Avant d'atteindre le zéro carbone en 2050, conformément à la stratégie nationale bas-carbone, les collectivités locales vont-elles devenir des "territoires zéro", c'est-à-dire des villes sans déchet ni embouteillage grâce aux données et à l'intelligence artificielle ? "Tout converge en ce sens mais il y a des risques, à savoir que les plateformes mondialisées ou des Etats imposent leurs règles, ou encore l'algocratie, autrement dit que les algorithmes décident de tout, y compris des sujets éthiques", relève Guillaume Cordonnier, responsable de l'activité "smart cities et mobilité" chez Capgeminini et co-auteur d'un rapport intitulé "Données, territoires et citoyens: repenser le modèle opérationnel du territoire pour concilier données et démocratie".

Le dernier mot sur les données

En avril 2019 à Dijon, Capgemini a inauguré une smart city aux côtés de Bouygues, Citelum, EDF, Keolis et Suez - lui-même co-lauréat à Angers. Dans un bâtiment de 1.200 mètres carrés, la cité des ducs de Bourgogne a installé un centre d'information et de veille opérationnelle, avec des écrans remontant en direct les captations de 115 caméras, ainsi qu'un opérateur de l'ensemble des mobilités. De même qu'à l'étage, un "bocal" héberge une cellule de crise censée faciliter la coordination entre les moyens et les équipes d'intervention, et un portail téléphonique pour répondre aux questions des habitants.

Lire aussi : À Dijon, dans le cockpit de la ville du futur

Pour un coût total de 105 millions d'euros, dont 53 millions d'euros d'investissements publics financés par Dijon, la métropole, la région Bourgogne-Franche-Comté et le fonds européen Feder, la collectivité a le dernier mot sur les données. En cas d'agression physique par exemple, les agents du centre d'information et de veille transmettent l'information à la police municipale qui, d'un coup d'œil sur une carte, sait où se trouve la patrouille la plus proche avant de l'appeler pour la diriger sur les lieux du délit. Si la police nationale ou la justice a besoin du film retraçant les événements, elle peut le demander sur commission rogatoire.

"Le responsable du traitement RGPD est souvent la ville, rarement l'acteur privé. La captation d'images sur l'espace public par exemple rend souvent nécessaire juridiquement que la personne publique soit celle qui maîtrise les données", décrypte Jean-Guy de Ruffray, avocat associé chez Altana.

Capteurs, caméras et hyperviseur

Outre Bouygues co-opérateur à Dijon, les géants du BTP jouent toujours plus la carte de la smart city auprès des collectivités. Dernier en date: NGE, 4ème groupe français, qui vient de lancer sa marque "NGE Connect", à partir de S2F Network, une société créée en 2011 au Havre devenue une de ses filiales en janvier 2020. Comme chez les autres acteurs, cette offre prévoit l'installation de matériels (capteurs, caméras), la création d'un réseau de communication et, bien sûr, l'implémentation d'un logiciel de pilotage.

"A la différence de Bouygues qui s'appuie sur la technologie d'un grand de l'informatique (Capgemini), nous proposons une offre globale. C'est cela notre élément différenciant", rétorque le président de NGE Antoine Metzger. "Le défi n'est pas seulement de répondre à des méga-marches mais à des villes moyennes qui demandent une réactivité qui n'exige pas des millions en infrastructures numériques", ajoute le président de NGE Connect Jean-Baptiste Gonnet.

Dans le cadre du programme gouvernemental de revitalisation "Action Cœur de Ville", la société travaille ainsi avec la commune de Vernon (24.000 habitants, Eure). Vingt-deux bornes de contrôles d'accès au centre-ville ainsi que quatre cents capteurs de stationnements vont y être déployés.

"L'objectif de la smart city, ce n'est pas la modernité, mais la qualité de vie", commente le président de l'observatoire Netexplo Thierry Happe. "La technologie n'est qu'un moyen. Il faut la penser comme une innovation civique et non comme quelque chose d'anxiogène", poursuit le co-auteur du rapport intitulé "Données, territoires et citoyens: repenser le modèle opérationnel du territoire pour concilier données et démocratie".

"Les élus n'ont jamais été aussi intéressés"

Eiffage a déjà développé une solution en ce sens: Expercité. Ce système d'hypervision s'adapte aux infrastructures existantes, permet d'avoir un pilotage allant de l'éclairage public à la gestion du trafic routier en passant par le stationnement dynamique et la protection des inondations, et surtout devient la propriété du territoire en question.

"Les collectivités n'abordent pas le sujet par l'angle smart city, la ville connectée étant liée à une approche des besoins et des usages. Si elle interroge parfois certains élus, ces derniers n'ont jamais été aussi intéressés", assure Laurent Verlaguet, directeur villes et collectivités pour Eiffage Energie Systèmes.

A Lyon, où ce professionnel intervient, le bus est ainsi passé d'une occupation spatiale de la chaussée à une occupation temporelle. Autrement dit, au lieu de circuler sur une voie dédiée, il cohabite avec les autres véhicules. Seule son approche actionne des points de signalisation en hauteur et au sol qui informent les autres utilisateurs et qui lui permettent de se faufiler. La major opère de même à Espalion (4.500 habitants, Aveyron) sur l'éclairage public pour le rendre plus connecté et moins énergivore.

L'amélioration des points lumineux demeure effectivement le premier besoin exprimé par les territoires, que ce soit en France ou à l'étranger. Exemple à Yaoundé, capitale du Cameron, où les candélabres pâtissent d'approvisionnements énergétiques instables. Vinci Energies couple des outils de télégestion avec des batteries et des panneaux photovoltaïques. A Canberra, capitale de l'Australie, elle gère les 80.000 luminaires.

"Le point essentiel différentiateur, c'est la connaissance précise de leurs besoins, une réponse personnalisée, et enfin des ressources sur place pour les accompagner dans la vie de leur projet", déclare Clémence Borezée, responsable activité smart city chez Vinci Energies.

Le cadre légal est la clé

Après avoir longtemps été un concept, la smart city serait-elle donc devenue une réalité ? A savoir un facilitateur de solutions d'économie d'énergie, synonyme d'amélioration des politiques locales ? Tout porte à le croire, même si ni les géants du BTP ni les collectivités ne sont des organismes dont c'est le métier, à la différence des acteurs du numérique.

En réalité, le cadre légal est la clé. Si la filiale du groupe Alphabet (Google), Sidewalk Labs, a tiré un trait sur son quartier intelligent à Toronto, c'est certes au nom "d'une incertitude économique sans précédent" mais aussi à cause du faible portage politique du projet. La friche industrielle de cinq hectares située le long du lac Ontario était en effet porté par Waterfront Toronto, un millefeuille politico-administratif réunissant la municipalité de Toronto, la province de l'Ontario et l'Etat canadien.

Or, "pour qu'un projet soit mis en œuvre et suivi, il faut qu'il y ait un vrai pilotage centralisé", insiste Jean-Guy de Ruffray, avocat associé chez Altana. "Il faut également déterminer contractuellement précisément qui fait quoi, ne serait-ce que pour définir la responsabilité juridique", conclut-il. Dès lors, il devient plus facile de rendre un projet viable et par conséquent acceptable.

Lire aussi : L'échec de la Google City sonne-t-il le glas de la "smart city à la française"?

César Armand

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Commentaires 3
à écrit le 17/11/2020 à 15:32
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Je préfère mon village idiot, sans la fibre ni même un feu rouge (le nec plus ultra du bourgeois) une seule boulangerie. C'est pas votre ville connectée qui me dira ou trouver un parking gratuit pour faire les corvées obligatoires d'un campagnard q...

à écrit le 17/11/2020 à 11:11
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le monde est pave de bonnes intentions y a un challenge data science sur le sujet au college de france vu la tete des donnees, y a franchement des trucs qui font sourire bon, j'attend de voir les profils recrutes pour traiter tout ca.... certainem...

à écrit le 17/11/2020 à 9:35
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"Smart City", un joli nom pour redéfinir la ville. Cependant la ville restera la ville, c'est à dire un lieu pas très "smart". Gris et insecure.

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