EDF : la nouvelle DRH, Caroline Chanavas, entre dans l'arène

À L'AFFICHE. Venue de Naval Group, Caroline Chanavas prend aujourd'hui les fonctions de directrice déléguée des ressources humaines d'EDF. Si cette cinquantenaire au parcours atypique est rompue à l'univers très complexe du nucléaire, elle ne connaît pas l'entreprise publique. Surtout, elle arrive dans un climat social particulièrement tendu, entre forte mobilisation contre la réforme des retraites et moratoire sur les embauches à la veille d'une relance majeure de l'atome civil.
Juliette Raynal
Caroline Chanavas prend, ce lundi, les fonctions de directrice déléguée des ressources humaines d'EDF.
Caroline Chanavas prend, ce lundi, les fonctions de directrice déléguée des ressources humaines d'EDF. (Crédits : DR)

Prendre la direction des ressources humaines de l'entreprise qui doit relancer le plus vaste programme électronucléaire du monde occidental depuis une quarantaine d'années constitue un immense challenge. Faire, en plus, ses premiers pas dans cette même entreprise où le climat social est particulièrement tendu, couronné d'un accueil plus que circonspect des syndicats, c'est carrément se lancer sur un terrain glissant.

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C'est pourtant bien le chemin que prend Caroline Chanavas, la directrice des ressources humaines de Naval Group. Venue du monde de la défense, avec près de 18 années cumulées chez l'ex DCNS et Thales, la cinquantenaire succède ce lundi 17 avril à Christophe Carval, jusqu'à présent directeur délégué des ressources humaines d'EDF, qui fera prochainement valoir ses droits à la retraite. Notamment diplômée de l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) et de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle a débuté sa carrière en Chine en 1990 et s'est d'abord tournée vers l'informatique en exerçant plusieurs fonctions chez Sema Group et Bull.

Prendre ses marques dans un climat social tendu

« Ce choix de l'extérieur nous questionne. Compte tenu des défis auxquels doit faire face EDF avec la relance du nucléaire, il est étonnant de faire appel à quelqu'un qui ne connaît pas l'entreprise », réagit un représentant syndical. « Nous ne faisons pas de procès d'intention, peut-être qu'elle fera un très bon travail, mais ce choix est quelque chose qui nous inquiète plus qu'il ne nous rassure », poursuit-il.

De fait, cette originaire du Luberon qui a vécu dix ans en Chine continentale, n'a jamais travaillé dans l'entreprise publique, ni dans aucune autre structure de la branche des Industries électriques et gazières (IEG), qui confère un statut dont bénéficient quelque 60.000 employés (sur un total de 171.000) d'EDF. Or, cette spécificité est la raison pour laquelle les salariés de l'électricien historique sont particulièrement mobilisés contre la réforme des retraites du gouvernement. En effet, outre le report de l'âge de départ légal, les statutaires IEG se battent contre la suppression prévue de leur régime spécial, permettant un départ anticipé selon la pénibilité des métiers. À titre d'exemple, jeudi 13 avril, un quart des salariés censés être présents étaient ainsi en grève selon l'intersyndicale. Début mars, le taux de gréviste est même monté à 50%.

C'est une certitude, celle qui parle couramment le mandarin devra très rapidement tendre une oreille attentive aux puissants syndicats du groupe. Ces derniers sont d'autant plus remontés qu'ils ont appris, la semaine dernière, la mise en place d'un moratoire sur les embauches, révélé par le site L'informé. L'entreprise, qui confirme l'information, ne communique pas sur la durée de cette pause. Toutefois, selon plusieurs sources, le gel devrait s'étendre sur plusieurs semaines, mais durer moins d'une année.

Arbitrer temporairement les recrutements

Même si la suspension des embauches est de courte durée, cette décision interpelle tant le recrutement de nouvelles compétences constitue un défi majeur pour mener à bien la construction de six, voire 14 EPR dans les années à venir. Pour rappel, la filière de l'atome civil (pas uniquement EDF donc) devra embaucher entre 10.000 et 15.000 personnes par an d'ici à 2030, contre environ 1.500 seulement jusqu'ici.

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En coulisses, on explique cette décision par la santé financière très précaire de l'entreprise, qui a enregistré une perte historique de près de 18 milliards d'euros en 2022 et dont les conséquences économiques du mouvement social se chiffrent déjà à un milliard d'euros.

Caroline Chanavas devra donc s'atteler à établir un état des lieux de ce dont les différentes directions ont besoin, pour arbitrer entre les postes plus ou moins prioritaires. De quoi faire grincer des dents les syndicats. « C'est complètement aberrant, les 3.000 à 3.500 embauches prévues en 2023, sont absolument indispensables », s'alarme un représentant des salariés, qui rappelle les besoins en main d'œuvre immenses pour résoudre le problème de corrosion sous contrainte auquel font face les réacteurs les plus récents du parc, mais aussi les besoins en nouveaux commerciaux.

En effet, la flambée des prix de l'électricité a poussé de nombreux clients de fournisseurs alternatifs à se tourner vers l'entreprise publique, qui, elle, pratique des tarifs réglementés. En octobre dernier, EDF affirmait ainsi enregistrer 100.000 nouveaux clients par mois. Or, ses équipes commerciales ne sont absolument pas dimensionnées pour digérer de tels flux puisque pendant des années, le groupe voyait, au contraire, partir chaque mois quelque 100.000 clients vers des fournisseurs concurrents.

Pour Philippe Page Le Mérour, secrétaire CGT du comité social d'entreprise central d'EDF, ce moratoire n'est qu'un « contre-feu».  « Une manœuvre politique pour détourner l'attention du conflit autour de la réforme des retraites », dénonce un autre représentant syndical. Selon eux, la direction d'EDF cherche surtout à gagner du temps face à une grande interrogation : comment rédiger les futurs contrats de travail ? Ces derniers seront, en effet, bien différents selon que la réforme des retraites, et donc la suppression du régime spécial des IEG, est mise en œuvre ou non.

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Une DRH rompue à l'extrême exigence du nucléaire

Si son expérience chez Naval Group était tout autre, avec une entreprise de bien plus petite taille (16.000 collaborateurs), mais robuste et en pleine expansion (le résultat net de l'ex DCNS a grimpé de près de 73% entre 2021 et 2022), Caroline Chanavas pourra néanmoins capitaliser sur son expérience dans l'univers du sous-marin nucléaire.

Comme pour la construction des centrales d'EDF, ce milieu nécessite de recourir à des compétences rares et extrêmement pointues. Il suppose aussi une pratique opérationnelle très exigeante. À titre d'exemple, devenir soudeur de coque épaisse nécessite onze années d'apprentissage. Pour relever ce défi clé de la compétence, la spécialiste des ressources humaines a récemment piloté le déploiement de chantiers-écoles pour reproduire les conditions réelles des ateliers.

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Caroline Chanavas n'est d'ailleurs pas la seule personnalité de l'univers de la défense à avoir rejoint le nucléaire civil au cours des derniers mois. Le gouvernement a fait appel à l'ancien directeur général de l'armement, Joël Barre, pour diriger la cellule interministérielle dédiée au nouveau nucléaire. Au sein même de cette organisation, Hervé Guillou, l'ancien patron de Naval Group (2014-2020), a été nommé à la tête d'un groupe de revue indépendant pour superviser les travaux.

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