Pour le bio, 2022 est une année de vaches maigres. « Il y a un recul en volume de la consommation, probablement de l'ordre de 7 à 10% sur l'année 2022. Et de 10 à 12% dans les enseignes spécialisées », observe Pierrick de Ronne, président de Biocoop et de la Maison de la Bio qui regroupe les professionnels du secteur.
Le secteur avait pourtant triplé son volume de ventes au cours de la dernière décennie, en passant de 4 à 12 milliards d'euros. Si 2020 avait été marquée par une hausse de 12% du marché bio, dans un contexte où les ménages confinés étaient prêts à investir davantage dans l'alimentation en raison notamment d'une épargne accrue, l'année 2021 s'est néanmoins terminée par une baisse de 1,3%, qui s'accélère brutalement cette année.
L'inflation grignote les budgets
Producteurs, distributeurs et économistes pointent unanimement l'effet de l'inflation alimentaire, qui pourrait culminer à 15% en fin d'année, largement au-dessus de l'inflation générale. La hausse des prix grignote le budget des Français qui réduisent d'abord leurs dépenses alimentaires de l'ordre de 4%. Pilotables, elles peuvent être plus facilement réduites que les charges fixes comme un loyer ou un abonnement. Résultat : le bio figure parmi les premiers achats à être rayés de la liste de course, avec les produits frais.
« Les clients font des arbitrages en défaveur du bio. Ils descendent en gamme, passent d'un produit bio à un produit conventionnel, optent pour un produit bio moins cher », constate Pierrick de Ronne de Biocoop. « Pourtant, l'inflation des produits classiques est deux fois plus forte que celle des produits bio, qui ne nécessitent pas d'engrais et de pesticides et consomment moins d'énergie », poursuit-il. Insuffisant néanmoins pour combler le fossé qui sépare les prix du bio du conventionnel, de l'ordre de 20 à à 50% d'après Pierrick de Ronne.
Les ménages modestes ne sont pas les seuls à compter leurs sous. La hausse du coût de la vie fait tâche d'huile et atteint toujours plus de foyers. « En 2019, la moitié des Français disaient avoir des difficultés à manger ce qu'ils souhaitaient. Aujourd'hui, ils sont 63% et les classes moyennes et les classes moyennes supérieures sont de plus en plus touchées », alerte Pascale Hébel, directrice associée du cabinet C-WAYS.
« Perte de confiance dans le bio »
Au-delà des seules considérations budgétaires, le représentant de la Maison du Bio ressent « une perte de confiance » dans le bio. Les produits bio se banalisent à mesure qu'ils se démocratisent dans les grandes surfaces. Les clients, de plus en plus nombreux à scanner les achats sur leur smartphone, s'étonnent des « incohérences » apparentes des produits bio. Notamment quand ils sont importés de pays lointains.
Surtout, le consommateur peine à digérer toutes les injonctions à consommer plus vert que vert : du local, de saison, respectueux du bien-être animal, garant du commerce équitable, sans emballage plastique... Autant de labels qui se taillent une part du gâteau des produits vendus comme « éthiques » ou « durables », longtemps monopolisés par le bio.
« Aujourd'hui, le seul critère du bio ne suffit plus à convaincre. Les habitudes de consommation bougent très vite depuis la pandémie. Sous l'influence des consommateurs les plus diplômés, un nouveau critère de consommation vient systématiquement en chasser un autre. Les gens ont été déçus de voir que bio ne rimait pas forcément avec local », analyse Pascale Hébel. Cette spécialiste de la consommation insiste sur l'engouement pour leurs produits locaux et le succès des magasins de proximité qui les commercialisent, notamment chez le producteur lui-même.
« Greenwashing » concurrent
Le patron de la Fédération Nationale de l'Agriculture Biologique (FNAB) y voit « une tendance au greenwashing avec beaucoup de produits qui se disent écologiques ». Parmi eux, le bio affronte dans les rayons trois concurrents « le local, qui ne signifie pas que c'est un produit digne de confiance même si le bio local reste évidemment l'idéal. Puis le certificat "haute valeur environnementale" promu par le ministère de l'Agriculture et le "zéro résidu de pesticides" qui n'apportent en fait que peu de garanties environnementales par rapport au bio », déplore le président de la FNAB Philippe Clamadieu.
Pour reprendre le terrain cédé à leurs concurrents, producteurs et distributeurs de bio vantent leur cahier des charges qui impose une agriculture sans pesticides, sans OGM et sans engrais chimiques. Depuis le 30 mai, une campagne de communication en ce sens baptisée « Bioréflexe » rappelle les engagements de la filière.
Ne pas tomber en-dessous de 5% de parts de marché
Dans les prochains mois, les dirigeants de la FNAB et de la Maison du Bio s'attendent à ce que des acteurs, notamment ceux qui avaient investi en pariant sur la croissance du secteur, se retrouvent en difficulté voire, pour certains, acculés à la fermeture. En effet, la grande distribution, qui pèse plus de 60% des ventes bio, restreint les références commercialisées. Prenant acte de la chute des achats bio dans ses rayons, elle en diminue les commandes. Le phénomène a déjà commencé. Dans un quartier de l'Ouest parisien, une enseigne bio, qui s'était installée après le confinement à la place d'une marque discount, a fermé ses portes en 2021 au bout de quelques mois en laissant les murs à... la même enseigne à petits prix qu'elle avait remplacée.
En revanche, les dirigeants de la FNAB et de la Maison du Bio saluent la résilience des circuits de vente qui ne dépendent pas des grands distributeurs pour fixer leur prix. Ainsi, ils n'anticipent pas de retour massif des agricultures bio vers le conventionnel. Selon Pierrick de Ronne de Biocoop et de la Maison du Bio, tout l'enjeu sera de ne pas retomber pas en-dessous de 5% de consommation alimentaire en bio. Cela le condamnerait à redevenir « un marché de niche ».
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