Hier, nous mangions ce qu'il y avait dans notre assiette sans nous poser trop de questions. Aujourd'hui, tel un scientifique dans son laboratoire, nous auscultons à la loupe le moindre aliment, nous allons sur les moteurs de recherche pour croiser les informations et, après ample réflexion, nous finissons par décider ce qui est le mieux pour nous. Nous agissons ainsi pour tout désormais, sujets de nos existences, froids calculateurs de nos intérêts.
Mais pour l'amour, cela fonctionne-t-il de la même manière ? La tentation d'y croire est grande, surtout dans les sites de rencontre sur Internet. On réfléchit donc à ce qui nous conviendrait, on définit des critères de recherche, le produit idéal en quelque sorte, comme si l'on achetait une voiture ou un séjour touristique. Et très souvent l'on est déçu, le produit ne correspond pas à la demande, il ne rentre pas dans nos cases.
Parce qu'il ne peut pas y rentrer. Il ne peut y avoir de rencontre en effet que si l'on accepte de devenir autre, de se mettre en mouvement en lâchant prise, de changer d'identité. Tout le contraire d'un individu maîtrisant rationnellement ses choix. Telle est la grande difficulté contemporaine (et la magie) de l'amour ; il faut savoir s'abandonner.
Un volcan qui sommeille
On essaie donc, mais sans excès, pour garder le contrôle de la situation, nous ne voulons pas être entraînés dans une histoire qui nous ferait souffrir, nous cherchons au contraire le plaisir et le bonheur. Invité au Grand Palais à Paris pour participer à une conférence sur le thème « Peuton encore mourir d'amour ? », j'avais expliqué que nous n'étions plus dans l'optique romantique du xixe siècle, quand le chagrin, la souffrance et l'idée de la mort donnaient son intensité à la passion, que nous voulions désormais de petites passions, joyeuses, et surtout maîtrisables, nous ne voulions plus aimer à perdre la raison. Trop de risques. Je fus très surpris quand une jeune femme m'apostropha après la conférence, elle n'était pas d'accord du tout, elle était en train de mourir d'amour pour une passion déçue. Je ne pouvais la laisser ainsi (elle pensait vraiment à se suicider), nous avons donc commencé une longue correspondance et elle est devenue l'héroïne de mon dernier livre. Son histoire m'a permis de comprendre que l'amour est comme un volcan qui sommeille dans la société d'aujourd'hui. Le plus souvent nous laissons simplement échapper de petites poussées éruptives, pour enfin briser la carapace et nous ouvrir à l'autre. Mais nous continuons à rêver de bien autre chose, de beaucoup plus intense, d'une éruption grandiose, au risque de nous y brûler. Le romantisme n'est pas mort.
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