Les coulisses du naufrage de Dexia

La banque vient d'obtenir une garantie temporaire de 45 milliards d'euros des Etats pour couvrir ses financements. L'occasion de revenir sur les deux semaines où tout a basculé. Récit d'un dossier dont les cinq personnages clés sont : François Fillon, François Baroin, Pierre Mariani, Yves Leterme et Didier Reynders.
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"Il y a clairement de la pression, mais ça ne veut pas dire qu'il y a des problèmes". Washington, le 22 septembre, tard dans la nuit. Le week-end s'annonce triste et pluvieux. Une délégation belge débarque à l'hôtel Sofitel. Elle va participer aux assemblées générales du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, les 24 et 25 septembre. Dans les couloirs, on s'apprête à discuter de l'avenir de la banque franco-belge Dexia. Mais devant la presse, Luc Coene, le gouverneur de la Banque Nationale de Belgique (BNB), temporise. "Il n'y a pas de raison de s'inquiéter."

- Le gouverneur sait pourtant depuis un mois que l'histoire de Dexia est terminée. Il l'a écrit dans une lettre du 25 août, présentée au conseil d'administration le 31 août. Il faut démanteler le groupe. Depuis, la situation s'est dégradée. Dexia est désormais en faillite virtuelle. Elle ne trouve plus de financement. Il faut que les politiques s'en mêlent. Le 24 au matin, les ministres des Finances Didier Reynders et François Baroin se croisent dans le hall du Sofitel. "On se voit quand ?", demande Reynders. Les deux équipes se rencontrent quelques heures plus tard. Il faut parer à la fuite des dépôts : 50 à 60 millions d'euros par semaine au mois de septembre en Belgique.

Une semaine plus tard, le vendredi 30 septembre, le ministre des Finances luxembourgeois, Luc Frieden appelle le patron de Dexia, Pierre Mariani. La Banque internationale du Luxembourg (BIL), filiale de Dexia, a déjà perdu près de 1 milliard d'euros. On parle depuis quelque temps de vendre la BIL. Il faut trouver un candidat au plus vite.

- Mariani en est convaincu : tant que l'affaire se traite en coulisse, on peut encore maîtriser l'agenda. En fin d'après-midi, apprenant que Moody's va publier la mise sous surveillance négative de Dexia et ses filiales, il convainc l'agence d'attendre jusqu'à lundi. Luc Frieden le rappelle peu après : « J'ai trouvé un partenaire potentiel : les Qataris. J'envoie François Pauly », le patron de la BIL. "Je pars avec lui !", répond Mariani. Il rencontre les investisseurs qataris le dimanche 2 octobre au matin.

Ce même week-end, la Banque nationale de Belgique organise à Bruxelles un premier round de discussions avec les Français. La phase politique commence, sans Dexia. On évoque déjà tous les aspects du démantèlement. Le gouverneur de la Banque Nationale de Belgique se dit prêt à nationaliser Dexia Banque Belgique. Les Français évoquent l'adossement de Dexia Municipal Agency (DMA), le véhicule de prêts aux collectivités locales en France, à la Banque Postale et à la CDC. Les positions restent néanmoins crispées. Les Belges refusent de garantir les financements de DMA et estiment normal que chaque État apporte une part égale de garantie.

- Le "non" français est catégorique. Ils veulent revenir à la répartition de 2008, lors du premier sauvetage de Dexia : 60,5 % du fardeau pour les Belges, contre 36,5% pour les Français et 3% pour les Luxembourgeois.

Le dimanche soir, 2 octobre, Dexia convoque en urgence ses administrateurs pour le lendemain. Lundi 3 octobre, à 8 h 56, le communiqué Moody's tombe. Et l'action perd 10 %. Le conseil d'administration débute à 20 heures. Pierre Mariani y parle en détail du démantèlement. Certains administrateurs tombent de leur chaise, les Belges en particulier. Les esprits s'échauffent. Le conseil se clôture à minuit.

Le lendemain, le cours de Bourse dévisse de 33 %. Et l'exode des clients s'accentue. Sur cette seule semaine, les clients de Dexia Banque Belgique retirent 2,5 milliards d'euros de dépôts, les institutionnels 1,5 milliard. C'est environ 5 % de la base des dépôts de la banque. L'hémorragie se poursuit également au Luxembourg. La Banque Nationale de Belgique met alors Dexia sous perfusion en se substituant au marché interbancaire : quelques milliards d'euros le 5 octobre. La semaine suivante, on dépassera la dizaine.

Ce même 5 octobre, le comité de pilotage, fraîchement formé par le gouvernement belge se réunit pour préparer les négociations du lendemain.

Le 6 et le 7 octobre, les Belges présentent un prix de base pour Dexia Banque Belgique : 2 milliards d'euros. Mais pour les Français, le prix de DBB, c'est sa valeur comptable, 8 milliards. Les Belges proposent alors 3,5 milliards et jettent une condition dans la balance : une garantie sur les obligations grecques de la banque. Les Français préviennent : en dessous de 4,5 milliards d'euros, Mariani ne pliera pas.

Le samedi 8 octobre, on affine les détails mais pour le prix final de DBB, ce sera le lendemain, en présence des Premiers ministres belge et français.

- Le 9 octobre, il est midi. Devant les grandes vitres du Palais d'Egmont, les Premiers ministres François Fillon et Yves Leterme, le ministre des Finances Didier Reynders, Jean-Luc Dehaene, Pierre Mariani, les experts, conseillers... tous sont là pour un dernier combat. Ils entrent dans la salle à manger et s'installent.

Didier Reynders se lève puis d'une voix solennelle présente le contexte. "Nous comprenons les considérations des Français, mais pour nous, chaque milliard déboursé coûte bien plus cher en termes de points de PIB national." À la fin de son discours, François Fillon intervient, sourire en coin : "Didier, je ne savais pas que tu avais dans tes ancêtres des marchands de bestiaux." Reynders répond : "Je n'ai pas l'habitude de vendre des bestiaux, mais bien des banques." L'ambiance est détendue. La discussion reprend. Mais toujours pas de prix. Un échange de regard, François Fillon et Yves Leterme vont discuter dans une autre pièce. Au bout d'un quart d'heure, les invités les voient revenir. Ce sera 4 milliards. Mariani s'y oppose, il joue une dernière carte : Dexia Asset Management, une entité de gestionnaires d'actifs détenue à 49% par DBB. D'accord pour le prix, mais on sort la participation de DBB. Il a déjà des candidats, annonce-t-il.

 - Les politiques se regardent, puis opinent du bonnet. Ce sera un euro symbolique pour la part de DBB. L'accord est ficelé. Pour ne pas dépasser 1% du PIB belge, l'État exige le paiement anticipatif des commissions sur les garanties (270 millions) et fera valoir que, sur les 4 milliards, il récupère 5,7%, sa participation dans le groupe Dexia. Par contre, on laisse tomber la garantie sur les obligations grecques de la banque. Et surtout, on ne reviendra plus sur les termes de répartition des garanties d'État.

Il ne reste plus qu'à faire avaler la pilule au conseil d'administration. Il est 15 h 30, le même jour. Mariani prend la parole. Très vite, la discussion s'anime. Les échanges sont virils. Les heures passent. On apporte des pizzas et du vin dans le hall. Tout peut encore déraper. Une abstention correspond à une voix contre. À minuit, les administrateurs passent au vote et 45 minutes plus tard tout est voté. Pierre Mariani se lève pour faire une dernière déclaration. Sa voix se brise. L'émotion l'étreint. 72 heures sans sommeil. Trois ans de combat réduit à néant.

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Commentaires 3
à écrit le 08/12/2011 à 16:16
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Ce qui intéresse l'investisseur, c'est de connaître ce qui restera de dexia une fois démantelé, c'est à dire sans la banque de Belgique, du Luxembourg, de l'activité de prêt aux collectivités. On peut estimer le reste, à la louche, à environ 20% du C...

le 08/12/2011 à 17:42
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j'ai presque envir de répondre "rien", puisque la banque est en faillite. Le point positif serait la disparition des emprunt toxiques que Dexia a refilé aux collectivités qui lui ont fait confiance faut de comprendre quelque chose (le pouvaient ils d...

le 09/12/2011 à 21:20
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les collectivités ont effectivement signé des contrats sans les compétences requises. On m'a enseigné qu'il ne fallait jamais signer les contrats que l'on ne comprend pas!

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