Fini le temps où les laboratoires du Pentagone donnaient naissance à l'Internet. Aujourd'hui, c'est l'inverse. La défense - et le secteur public en général - s'appuient sur le privé pour son innovation, à l'image de la Nasa, qui fait désormais appel à SpaceX et à son fondateur, Elon Musk, pour envoyer des astronautes vers la station spatiale internationale. Autre exemple, des outils à base d'intelligence artificielle, une technologie tirée par le secteur civil privé...
Car, comme le souligne Stéphane Mayer, PDG de Nexter et co-directeur de KNDS, la holding franco-allemande qui chapeaute Nexter et Krauss-Maffei Wegmann (KMW), "la technologie est à la fois un facteur de supériorité sur les champs de bataille de nos clients opérateurs mais aussi un facteur de supériorité sur les champs de bataille de la concurrence, avec les autres entreprises. Pour proposer les meilleurs produits, il faut avoir le niveau technologique le plus élevé possible".
Un trilogue poussé
Or cette nouvelle relation entre entreprises et utilisateur final requiert un dialogue spécifique, constructif, évolutif, entre concepteur et client final. "Le dialogue est à la base de tout, confirme le général Grégoire de Saint Quentin, président d'un cabinet de conseil au sein de Petra advisors. Plus le dialogue a été poussé, plus il est performant et plus le résultat est satisfaisant". Et il est, selon lui, désormais "au cœur de la démarche capacitaire des armées françaises". Stéphane Mayer évoque même, au-delà d'un dialogue, un "trilogue" entre les armées, les industriels la (DGA (Direction générale de l'armement) "absolument essentiel au succès de la conception et de la fabrication pour l'utilisation des systèmes de défense".
Les uns comme les autres doivent comprendre les besoins et les contraintes. Contraintes technologiques, évidemment, mais aussi de sécurité, "voire de souveraineté", indique de son côté Guillaume Poupard, directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Ainsi, détaille ce dernier, les enjeux, en matière de sécurité doivent être intégrés dès la phase de conception. "L'une des grandes évolutions de ces dernières années a été de faire en sorte que les systèmes numériques, qui ont innervé tout le système d'armes, soient conçus en prenant en compte les contraintes de sécurité dès le départ".
Nouvel écosystème
Et le dialogue pourrait ne pas être aisé, puisque, souligne pour sa part le général André Lanata, commandant suprême allié pour la transformation de l'OTAN, "la technologie, notamment numérique est en évolution rapide et elle est surtout tirée par un écosystème différent de celui auquel nous nous adressons traditionnellement dans le domaine de la défense. Il s'agit de comprendre les règles de cet écosystème, lequel répond par ailleurs à des règles de marché".
En outre, certains utilisateurs n'ont pas forcément conscience du champ des possibles apporté par la technologie tandis que l'écosystème technologique et industriel ignore souvent le fonctionnement du monde de la défense, et en particulier ses problématiques opérationnelles. Solution : travailler en équipe intégrée, le tout dans le cadre d'approches agiles. Par ailleurs, "il faut être capable d'apporter des modifications à nos règles d'acquisition. C'est donc l'approche d'une gouvernance réinventée qui se fonde sur d'autres critères que ceux de la conformité à un plan", de même que celle d'un changement de culture pour s'inscrire dans ces mentalités agiles, précise le général André Lanata.
Penser les technologies de demain
Dans ce contexte, "le rôle de l'ANSSI est double, souligne Guillaume Poupard. Il s'agit, d'une part, de faire en sorte que ces nouvelles technologies, très souvent liées au numérique, se fassent dans les mêmes conditions de sécurité et de maîtrise au sein des systèmes de défense que dans le privé. Et d'autre part, l'ANSSI doit avoir un rôle d'éclaireur, pour déterminer quelles seront les thématiques dominantes à l'avenir, afin de ne pas être pris de court par les évolutions technologiques et leurs applications sur le terrain de la défense".
Une réflexion autour des évolutions que mène également le général Lanata. "Le Commandement Allié Transformation joue un rôle fondamental au sein de l'organisation militaire intégrée, celui du développement des capacités opérationnelles de l'Alliance, relève-t-il. Il s'agit concrètement de produire les actions et la réflexion qui permettent d'adapter en permanence les capacités opérationnelles des 30 pays membres de l'OTAN à des enjeux en constante évolution, que ce soit sur le plan technologique ou sécuritaire" ainsi que de travailler sur l'implémentation du domaine spatial comme domaine opérationnel.
Au-delà de la réflexion sur les technologies émergentes et de rupture, l'OTAN s'est dotée d'un "innovation hub" et d'un "innovation lab", déployés au sein du Commandement Allié Transformation, qui planche sur des approches et des solutions innovantes. Déjà de premiers prototypes ont été livrés... Reste à venir le passage à l'échelle pour leur déploiement opérationnel, afin de garantir la sécurité des citoyens européens et des pays membres de l'OTAN.
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