La Cour des comptes critique le lancement du programme Taranis par le CNES

En novembre 2020, le satellite Taranis développé et conçu par le CNES s'est abîmé dans l'océan Arctique. Aujourd'hui, la Cour des comptes s'interroge sur l'opportunité même du développement de ce programme.
Michel Cabirol
Le résultat net du CNES est passé de 26,7 millions d'euros en 2018 à - 55,5 millions en 2020.
Le résultat net du CNES est passé de 26,7 millions d'euros en 2018 à - 55,5 millions en 2020. (Crédits : REGIS DUVIGNAU)

La Cour des comptes a appuyé là où cela fait vraiment mal au sein du CNES, le programme Taranis. Car la perte en novembre 2020 de ce satellite, qui devait explorer la face cachée des orages, huit minutes après le décollage du lanceur léger italien Vega a été vécu à l'époque comme une énorme déception par le CNES. Initialement, il était pourtant prévu sur Soyuz. Près de trois ans après cet échec, les Sages de la rue Cambon n'ont pas été tendres avec ce programme. « Le fait qu'un successeur au programme Taranis ait été envisagé pendant un temps avant d'être abandonné interroge sur l'opportunité même du développement du programme initial », écrit la Cour des comptes en marge d'une mission de contrôle ayant fait l'objet d'un référé publié jeudi. Le programme a été définitivement abandonné par le CNES faute de ressources suffisante. Ce que regrette le Comité des programmes scientifiques (CPS) du CES.

Le projet Taranis a été proposé en avril 2001 par le CEA. Une étude phase 0 menée en 2001 a démontré la faisabilité technique de cette mission. Puis, la revue de fin de phase A qui s'est tenue en mai 2006 a permis de valider le projet, qui a été recommandé par le CPS en avril 2007. Après la revue de fin de phase B les 11 et 12 mai 2009, la phase C a démarré formellement en janvier 2011. Le conseil d'administration du CNES a décidé le 10 décembre 2010 l'engagement des phases C/D/E1 de Taranis. Ensuite, ce programme a connu différents aléas techniques, qui ont retardé l'intégration de la charge utile de trois ans. Pour son lancement, le CNES a signé un contrat de service de lancement avec Arianespace en juillet 2012. Le coût complet du programme s'est élevé à 113,1 millions d'euros.

Difficultés du CNES à capitaliser sur les développements

Ce qui ne plaît pas à la Cour des comptes, c'est que cet échec révèle « les difficultés que rencontre l'organisme pour capitaliser sur les développements accomplis dans le cadre de programmes de haute technologie ». Ce constat risque de faire grincer les dents au sein du CNES, qui s'enflammait peu de temps avant le lancement de Taranis, qui est intervenu dans la nuit du 16 au 17 novembre 2020, en affirmant que ce programme était « exceptionnel à plus d'un titre. Outre son intérêt pour la recherche fondamentale, la mission illustre la qualité de la coopération entre le CNES et les laboratoires scientifiques ».

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Pionnière sur le plan scientifique, cette mission était également, selon le CNES, remarquable par son organisation : il s'agissait alors d'un programme essentiellement français développé entièrement sous maîtrise d'œuvre CNES. « Ce type de configuration devient très rare : nous contribuons régulièrement à des missions internationales en coopération, mais réaliser entièrement un satellite aussi abouti, cela constitue aujourd'hui l'exception », avait alors précisé Kader Amsif, responsable du programme Soleil, héliosphère et magnétosphère du CNES. Baptisé du nom du dieu de la foudre chez les Celtes, ce satellite de 180 kg aurait dû être placé en orbite héliosynchrone à, 670 km de la Terre, pour observer pendant deux ans les gigantesques flashs lumineux de 30 à 90 km de haut qui explosent au-dessus des orages.

Une perte nette pour le CNES

Au-delà des critiques de cette décision programmatique, la Cour des comptes dévoile également les conséquences financières de cet échec. Le résultat net du CNES est passé de 26,7 millions d'euros en 2018 à - 55,5 millions en 2020 (1,5 million en 2019). En 2021, le résultat net s'élevait à 13,7 millions d'euros. Cet échec a eu pour conséquence « de faire sortir la totalité des coûts d'investissement du projet (56,8 millions d'euros) de l'actif immobilisé du CNES, l'établissement estimant que les investissements consentis dans le cadre du projet n'étaient plus réutilisables », a constaté la Cour des comptes. Hors échec du lancement, le résultat aurait été de 1,3 million d'euros.

A hauteur de 25 millions d'euros en 2018 et 2019, le fonds de roulement a chuté de 44% en 2020 pour atteindre son niveau le plus bas au cours de la période sous revue, soit 14,3 millions d'euros. Cette baisse de 11 millions d'euros par rapport à 2019 s'explique essentiellement par le déficit causé par la perte du satellite Taranis. En dehors de l'exercice 2020, le contrôle de la Cour des comptes a révélé une situation financière stable et une gouvernance satisfaisante, même si des marges de progrès demeurent et que des retards d'investissement ont été constatés dans les domaines de l'immobilier et des systèmes d'information.

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Michel Cabirol

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Commentaires 3
à écrit le 07/05/2023 à 0:35
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Si le CNES ne réclame pas Taranis bis , on n'avait pas besoin de Taranis.

à écrit le 06/05/2023 à 11:25
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Petite question quant aux revenus du CNES: le fait que le satellite ait été mis en orbite et en opérations ou qu'il soit au fond de l'eau ne doit pas changer grand chose quant aux rentrées financières du CNES? Il semble que l'on joue sur des arguties...

à écrit le 05/05/2023 à 9:54
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Le constat est cruel, et il peut sembler un peu injuste, mais l'analyse est implacable. Il y a eu une prise de risque financière assumée avec le programme Taranis. Le CNES a joué... et il a perdu. Pour autant, il faut quand même rappeler que ce n...

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