
Elever des homards comme on élève des poulets en batterie ne tient plus du fantasme d'aquaculteur. Après deux ans de test en grandeur réelle, la société King Lobsters Normandie vient d'apporter la preuve de la viabilité de son concept d'élevage « indoor » (à l'intérieur, et en milieu naturel). Pour la première fois au monde, elle est parvenue à faire grandir hors du milieu marin 4.500 spécimens de hommarus gammarus -le fameux homard bleu européen- nés dans son écloserie. Un modèle jusqu'ici considéré comme impossible en raison des innombrables mues du roi des crustacés mais surtout de sa propension au cannibalisme.
« Il existe de nombreuses écloseries au Canada et aux Etats-Unis (premiers exportateurs de homards au monde ndlr) mais les juvéniles sont systématiquement relâchés dans la mer où ils sont pêchés une fois adultes », rappelle Thierry Rochas, fondateur de la société.
De la nurserie à l'assiette
Devant l'impossibilité d'utiliser cette technique de repeuplement dans les eaux françaises où elle bute sur l'hostilité des pêcheurs, l'intéressé a créé une ferme aquacole entièrement intégrée : de l'éclosion des larves jusqu'à la commercialisation du homard. Basé à Bléville-sur-mer dans la Manche, le site abrite, d'un côté une nurserie et, de l'autre des bassins d'eau de mer filtrée où chaque crustacé grandit isolément hors de portée des pinces de ses congénères.
« Comme les poissons rouges, les homards restent petits s'ils sont à l'étroit, détaille Thierry Rochas. Ils sont donc transférés dans des paniers plus grands à chaque étape de leur croissance jusqu'à atteindre cinq ans et 500 grammes, leur taille marchande ». Tout ce petit monde est nourri d'un broyat de de poissons et d'araignées de mer frais qui, selon les inventeurs du concept, lui garantit un goût inaltéré. « Pas une once de chimie n'intervient dans le procédé », nous assure t-on.
Une seconde ferme à venir
Fort des premiers succès enregistrés, King Lobster Normandie s'apprête à porter sa capacité à 20.000 homards bleus dès cette année. « Tous seront destinés à l'export, pas vendus aux restaurants », précise expressément son fondateur, soucieux de ménager la susceptibilité des caseyeurs normands.
Thierry Rochas lance, en parallèle une seconde levée de fonds de 2,3 millions d'euros pour bâtir une seconde ferme, deux fois plus capacitaire « quelque part dans la Manche ». A l'en croire, ses crustacés nobles trouveront facilement preneurs, au prix de 35 euros le kilo.
« Ils sont très rares sur les marchés étrangers dominés par le homard américain. Un acheteur de Dubaï est prêt à m'en commander deux tonnes par mois, deux fois le volume que je pourrais produire ».
Vers un passage à l'échelle industrielle
Pour consolider son modèle gourmand en cash flow, la société (4 salariés aujourd'hui) entend aussi industrialiser et commercialiser rapidement son concept de ferme « indoor ». Lequel est volontairement exempt de brevet pour éviter le copiage. « Comme il y n'y pas de barrières technologiques insurmontables à l'entrée, il est important que nous grandissions vite pour conserver notre avance », explique son président.
L'intéressé ne désespère pas, non plus, d'obtenir l'autorisation de réintroduire de jeunes homards dans une parcelle des eaux françaises où la ressource tend à se tarir « au rythme de 10% par an ». « En Amérique du Nord, des dizaines de milliers de pêcheurs vivent du repeuplement. Pourquoi n'est-ce pas possible ici ? », s'interroge-t-il tout haut.
Pour mémoire, l'Hexagone a importé plus de 2.500 tonnes de homards en 2020 pour un montant de 450 millions d'euros. Un volume sans doute appelé à augmenter à la faveur de l'Accord économique et commercial global (AECG) plus connu sous le nom de Ceta. Celui-ci exempte de taxes les homards canadiens débarquant sur le sol français.
Sujets les + commentés