En septembre, Bercy avait assuré le contraire... Le gouvernement va pourtant instaurer un nouveau dispositif de malus indexé sur le poids des voitures. Cette idée, émise par la Convention citoyenne pour le climat (CCC) et retenue par le président Macron, avait été évacuée par Bercy en septembre. Elle était revenue par la fenêtre, il y a dix jours par l'entremise d'une poignée de députés de la majorité sous la forme d'un amendement, avant d'être rejetée par la commission des lois de l'assemblée. Cette fois, c'est un arbitrage qui vient de plus haut qui a remis le dispositif dans le projet de loi de finances.
Des engagements politiques
Il semblerait que Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, ait pesé de tout son poids pour que cette mesure soit rétablie. Une pétition des membres de la Convention citoyenne en début de semaine, pour que le président de la République respecte ses engagements, a également accentué la pression. Sans parler du rapport WWF publié la semaine dernière qui a fait grand bruit et qui a directement mis en cause les SUV comme obstacle à l'atteinte des objectifs de CO2, en raison de leur poids.
Pour la filière automobile, cette annonce est une surprise autant qu'une trahison. Celle-ci est sortie de son mutisme et se démène depuis plusieurs semaines pour faire échec à cette initiative. Luc Chatel avait chiffré, mi-septembre, à 4 milliards d'euros l'impact financier d'une telle mesure pour la filière. Thierry Cognet, président du Comité des constructeurs français d'automobile, avait également fustigé dans nos colonnes « un plan de massacre » de l'industrie automobile, alors même que celle-ci fait l'objet d'un plan de relance par le gouvernement.
Cette semaine, la filière, réunie sous une inhabituelle bannière œcuménique, s'est fendue d'une tribune publiée dans Les Échos pour demander au gouvernement d'en finir avec l'instabilité fiscale et réglementaire qui pèse sur l'industrie automobile. Elle rappelle ainsi que depuis dix ans, les dispositifs de bonus et malus ont systématiquement changé chaque année favorisant telle ou telle énergie, créant ainsi une instabilité structurante là où l'industrie automobile a besoin d'une visibilité à long terme.
Cette tribune signée par la FIEV (représentant les équipementiers et fournisseurs), le CCFA (les constructeurs), le CNPA (les services liés à l'automobile), mais également des syndicats salariés comme Force Ouvrière Métallurgie, la CFTC ou CFE-CGC, indique que la mesure sur le poids pourrait pénaliser jusqu'à 70% de la production automobile française.
Enjeu économique et social
Il faut dire que l'industrie automobile française a opéré un virage au début des années 2010 en lançant une série de SUV. Ce sont ces SUV qui vont sauver une partie des marques automobiles comme Peugeot ou Citroën, et dans une moindre mesure Renault. Chez PSA, les usines fabriquant les Peugeot 3008, 5008 ou la Citroën C5 Aircross tournent à plein régime. Une taxe sur cette catégorie de voitures réduirait automatiquement les volumes, et donc les équipes.
Oui, mais il semblerait que la mesure du gouvernement préserve l'industrie automobile française. Ainsi, elle s'appliquerait sur les véhicules de plus de 1,8 tonne, soit loin des 1,4 recommandés par la Convention citoyenne. Ce seuil fait ainsi sortir de l'assiette les 3008 et même un Peugeot 5008 ou encore le Renault Koleos. Ces deux derniers pèsent autour de 1.790 kilos, ce qui ferait presque de ce dispositif un malus sur-mesure. Autrement dit, ce malus ne concernerait pas l'essentiel du marché des SUV, contrairement aux attentes des associations environnementales.
Il risque néanmoins de frapper les « shuttle », ces utilitaires transformés en mini-van et fabriqués en France comme le SpaceTourer .
Une faille juridique ?
Les représentants de la filière rappellent en outre que le malus sur le CO2 est déjà un impôt sur le poids puisque le bilan CO2 d'un véhicule est évidemment corrélé à son poids. Des juristes pensent que le nouveau dispositif fiscal pourrait ainsi buter sur un risque juridique puisqu'il est anticonstitutionnel de taxer deux fois la même chose.
« Il sera toutefois nécessaire de démontrer de façon rigoureuse que taxer le poids et le CO2 renvoie à la même chose, puisque pour l'heure, ils restent présentés comme deux critères différents », souligne un spécialiste de droit constitutionnel.
Enfin, les constructeurs pointent du doigt des injonctions contradictoires et expliquent que la prise de poids des véhicules s'explique aussi par des contraintes réglementaires liées à la sécurité ou à l'environnement. Autrement dit:
"Pour avoir les cinq étoiles EuroNCAP pour respecter les réglementations, nous n'avons jamais cessé d'ajouter des équipements qui sont autant de poids supplémentaire, et, aujourd'hui, nous devrions payer un malus pour cela", s'insurge une cadre d'un constructeur automobile.
Pas de "en même temps"
Le gouvernement semble coincé dans un étau très étroit entre ses engagements environnementaux, sans cesse rappelés par les associations environnementales, et les intérêts d'une industrie très durement touchée par la crise du coronavirus. Ce qui explique l'imbroglio de ses divers revirements.
Impossible d'exclure un nouvel épisode dans ce qui ressemble de plus en plus à une guerre des tranchées entre les associations environnementales et la filière automobile. WWF a d'ores et déjà dénoncé dans un communiqué une mesure qui "ne toucherait qu'une niche" de SUVs et appelle le gouvernement et les députés à "adopter un malus plus ambitieux, progressif et attentif à l'avenir des ménages les plus modestes".
De son côté, les constructeurs ne se disent pas dupes sur le fait que l'issue du seuil de 1,8 tonne est cousu de fil blanc: "Ce seuil sera abaissé dans un an ou deux", soupire-t-on au CCFA. Le gouvernement aura du mal à trouver le bon équilibre et satisfaire tout le monde « en même temps ».
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