LA TRIBUNE - Au lendemain d'une nouvelle réunion des ministres européens de l'Énergie à Bruxelles, vous appelez les pouvoirs publics à tripler le rythme des économies d'énergie « réelles » dans les bâtiments et l'industrie. Les 6,7 milliards d'euros de France Relance et les 2 milliards du budget 2022 fléchés vers la rénovation ne suffisent-ils pas ?
PIERRE DE MONTLIVAULT - Les simples aspects économiques ne constituent pas des déclencheurs à eux tous seuls. Passer à l'acte sur des investissements reste compliqué. Il faut une vision de moyen-terme ambitieuse qui nécessite d'investir et de convaincre les acteurs publics que c'est du bon sens économique et politique.
Avant même de parler de pouvoir d'achat ou de souveraineté énergétique, les rapports du GIEC sont très clairs : si nous ne tenons pas nos engagements et si nous ne respectons pas les ambitions européennes, nous allons au-devant de très grands problèmes.
Que faire alors ?
Beaucoup de monde évoque cette deadline de trois ans, mais il s'agit plus d'une formule marketing pas très habile. Il faut accélérer, et c'est bien ce que veut dire le GIEC. Plein de choses ont été lancées, du côté des pouvoirs publics comme du côté des entreprises, mais les chiffres sont têtus : il faut aller trois plus vite que sur la période 2010-2022 pour être au rendez-vous de 2030 [-40% d'énergies consommées dans les bâtiments, Ndlr].
Les moyens sont-ils en adéquation avec ces ambitions ?
Pour gérer ce pic d'activité, il va en effet falloir commencer par trouver les salariés. Cela passe par doubler les emplois directs, soit 60.000 créations d'emplois. Or, le déficit d'emploi se trouve à tous les niveaux, à la fois dans les métiers de techniciens mais aussi dans les ingénieurs des bureaux d'études. Cette difficulté générale vient du manque d'intérêt et d'attention que porte l'Éducation nationale aux filières techniques.
Alors qu'en Allemagne, ces métiers ne sont pas considérés comme un échec, mais comme un choix, nous devons promouvoir nos métiers et montrer que nous nous levons tous les matins pour lutter contre le dérèglement climatique.
Du côté des aides aux économies d'énergie, il n'est pas forcément nécessaire d'inventer de nouveaux moyens financiers, mais d'adapter des dispositifs importants comme les certificats d'économie d'énergie. Ces derniers sont centraux dans la palette des outils car ils permettent d'aller dans tous les logements et les bâtiments.
Depuis ce 1er mai, les aides liées aux certificats d'économie d'énergie sont en baisse...
Nous avons fait trop de monogestes : changer une chaudière, un moteur... sans adopter une approche globale. Nous plaidons donc pour un recentrage des certificats d'économie d'énergie sur des actions globales, que ce soit pour l'habitat collectif, les bâtiments tertiaires ou les sites industriels.
Trop souvent encore, quand on parle logement, le réflexe est de penser à la maison individuelle, à tel point que le bouclier tarifaire a d'abord ciblé l'individuel avant le collectif. Et ce, alors que les factures y ont tout autant doublé. Les économies d'énergie restent donc le meilleur moyen de protéger le pouvoir d'achat des Français.
Il faut en outre d'autres outils publics. Sur le principe de celui pour la rénovation des bâtiments publics de l'État doté de 2,7 milliards d'euros, nous devons avoir des appels à projets, mais avec comme exigence absolue une performance énergétique réelle et garantie dans la durée.
N'est-ce pas l'objectif du décret tertiaire qui intime à tous les propriétaires bailleurs et occupants de surfaces de plus de 1.000 mètres carrés à réduire leurs consommations d'énergie sur la base de celles de 2010 : -40% en 2030, -50% en 2040 et -60% en 2050 ?
Ce décret a de très grandes ambitions, mais les gens attendent parfois le dernier moment pour agir. Je ne suis pas inquiet pour le tertiaire privé car la pression est à la fois du côté du locataire-client et de l'investisseur-propriétaire qui ont des objectifs RSE. En revanche, je le suis davantage sur le tertiaire public. C'est pourquoi nous proposons de créer un fonds d'amorçage qui pourrait être piloté par l'Ademe.
Dans le même temps, il faut que l'interdiction à la location des passoires thermiques E, F et G aux horizons 2025, 2028 et 2034 aille jusqu'au bout.
Quid de la sobriété énergétique ?
Des choses vont déjà dans le bon sens, comme la relance des campagnes de communication sur l'antigaspi. Le gouvernement a cette intention sur le carburant, le chauffage et l'électricité. Alors qu'une vieille réglementation datant du premier choc pétrolier indique 19°C comme température idéale, nous avons pris l'habitude de vivre à 21°C en moyenne. En redescendant tous de deux degrés, nous pourrions économiser un tiers du gaz russe.
Par une circulaire du 13 avril, l'État vient de prodiguer le même conseil aux collectivités territoriales, alors que l'envolée des prix de l'énergie risque de les faire renoncer à leurs projets d'investissement liés à la transition écologique. Comment résoudre l'équation ?
Le Code des marchés publics n'est pas souple. Si un maire veut rénover ses bâtiments, il doit faire deux lots : un lot travaux et un lot exploitation. Or, ces travaux devraient être financés par des économies d'énergie. Le gouvernement a déposé un amendement en ce sens dans le budget 2022 mais il a été retoqué car considéré comme un cavalier législatif. Nous n'en demeurons pas moins confiants: il devrait être adopté dans la prochaine loi idoine.
Les élus locaux n'ont pas toujours l'ingénierie nécessaire non plus...
Faire des appels à projet pour créer des réseaux de chaleur dans des villes de moins de 50.000 habitants est une urgence. Il y a là un très beau potentiel de l'ordre de 1.300 villes à équiper. Côté ingénierie, nous proposons de simplifier le passage à l'acte en regroupant toutes les études successives en une seule étape, à travers un Paquet ingénierie. D'autre part, nous proposons pour l'hiver prochain, un coup de pouce lié aux certificats d'économie d'énergie pour raccorder sans délai à des réseaux de chaleur existants des bâtiments encore chauffés au gaz.
De même que nous pourrions penser à la création d'un fonds de garantie qui permettrait d'aller chercher l'énergie d'un industriel. Le gisement de chaleur fatale est énorme. Alors qu'il pourrait y avoir des subventions pour créer des tuyaux et des échangeurs de raccordement, les banquiers, et plus généralement les financeurs, posent toujours la question de la fermeture de l'usine. Les assureurs ne veulent pas non plus garantir de telles opérations.
Le plan gouvernemental de 5,7 milliards d'euros pour décarboner l'industrie n'est-il pas censé débloquer la situation ?
La philosophie de France 2030 consiste à décarboner l'industrie, en substituant au gaz de la biomasse ou des combustibles solides de récupération. Quant à l'énergie fatale, elle peut effectivement aussi alimenter un industriel, tout comme des réseaux de chaleur. Les deux dispositifs peuvent donc être complémentaires.
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