
Des évolutions plutôt qu'une révolution : tel est en substance le message délivré par le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, lors de la présentation du rapport annuel de l'épargne réglementée, ce mardi 18 juillet. Un message qui se veut clair et simple dans un brouhaha de propositions de réforme de l'épargne réglementée.
Après des mois de collecte nette exceptionnelle - plus de 40 milliards d'euros en 2022 et 25 milliards sur les seuls cinq premiers mois de l'année - la manne de l'épargne réglementée attise en effet plus que jamais toutes les convoitises pour financer ce que le marché ou le budget ne peut pas (ou plus) financer.
« Nous voyons périodiquement surgir des idées de nouveaux livrets règlementés avec la tentation d'avoir une épargne fléchée vers telle ou telle cause », constate avec regrets le gouverneur de la Banque de France pour qui ce n'est pas probablement la bonne approche, surtout quand il s'agit de ressources défiscalisées qui ont donc un coût budgétaire. Même l'idée parfois évoquée de regrouper tous les livrets en un seul ne semble pas susciter un grand enthousiasme auprès de l'argentier. « Je n'aime pas les silos et quand nous avons un système qui marche, qui est connu des Français, l'avantage du « annule et remplace » n'est pas certain », commente François Villeroy de Galhau.
Ajuster les règles de l'emploi de l'épargne
En revanche, ajoute le gouverneur, « une meilleure solution serait d'ajuster la répartition des emplois de l'épargne réglementée et de se poser la question d'augmenter la part qui devrait servir à la transition énergétique ». Autrement dit, financer plus la transition énergétique plutôt que de multiplier les livrets comme des petits pains. Cela tombe bien, le gouverneur s'inscrit en droite ligne des toutes premières propositions du comité de financement de la transition énergétique (CFTE), mis en place par Bercy et auquel participe... le gouverneur.
Il faut rappeler que 59,5% de la collecte des livrets A et LDDS et 50% du LEP (livret d'épargne populaire) est centralisé à la Caisse des dépôts (CDC), soit un potentiel de 326 milliards d'euros, dont une partie est consacrée à assurer la liquidité des livrets et l'autre à financer le logement social et à la politique de la Ville. Pendant la période des taux bas, les organismes HLM et les collectivités locales ont longtemps favorisé le financement bancaire ou de marché. « Aujourd'hui, (la ressource de) l'épargne réglementée redevient compétitive », assure le gouverneur. Mais il y a encore beaucoup de ressources non utilisées. D'ailleurs, le directeur général de la CDC, Eric Lombard, en convient lorsqu'il propose de mobiliser une partie de cette épargne à la transition énergétique, et pourquoi pas, au nucléaire.
Cap sur la transition énergétique
L'autre partie de l'épargne réglementée reste donc dans les bilans bancaires, soit 207 milliards d'euros. Mais les banques sont soumises à des règles d'emploi (fixées par la loi) de cette ressource, qui sont d'ailleurs les mêmes pour le Livret A ou le LDDS, à savoir 80% doivent être fléchés vers le financement des PME et seulement 10 % pour des projets « écologiques », le solde étant réparti entre le financement de l'économie solidaire et le financement à discrétion des banques. Il est donc tentant d'augmenter le fléchage de cette épargne vers la transition énergétique. A 15%, à 20% ou plus, c'est au ministre de l'économie de décider par arrêté.
Mais pour le gouverneur, il faut se hâter sans se presser pour modifier les clés d'affectation de cette épargne car transformer de l'épargne liquide en financement long est toujours un exercice délicat, qui a nécessité beaucoup de garde-fous et qui ne s'improvise pas du jour au lendemain.
Reste que même la mobilisation de l'épargne réglementée ne suffira pas à financer la transition énergétique, dont le coût en investissement est estimé à 60 milliards d'euros par an, soit 2 à 3% du PIB, par le rapport Pisani-Ferry.
Une amorce de spécialisation
Alors, il ne faut pas s'attendre au grand soir de l'épargne réglementée. Elle vise deux objectifs, « qui ne sont pas toujours naturellement compatibles », reconnaît le gouverneur : protéger l'épargne populaire et financer l'économie française. La décision prise par Bercy, sur recommandation de la Banque de France, de ne pas augmenter le taux du Livret A et du LDDS, mais avec une garantie de le maintenir à au moins 3% pendant 18 mois, et de relever le plafond du LEP dont la rémunération est restée quasi stable à 6 %.
Sans parler encore d'une spécialisation des livrets, ces décisions tracent un premier contour pour privilégier le LEP comme un instrument de protection de l'épargne populaire et conforter les livrets A et LDDS dans leur rôle de financement des grands projets de logement et de transition énergétiques, avec notamment le gel du taux de rémunération. Le PEL (Plan d'épargne logement) serait mobilisé de son côté pour la rénovation thermique, comme le propose le CFTE. La réflexion sur l'épargne réglementée avance finalement peut-être plus vite que l'on ne le croit.
Mobilisation générale autour du LEP Les banques, souvent jugées frileuses dans la distribution du livret d'épargne populaire (LEP), sont prévenues : « le relèvement du plafond à 10.000 euros du LEP devrait contribuer, et nous y serons attentifs et nous surveillerons les banques en la matière, à atteindre notre objectif de 12 millions de LEP d'ici un an (soit 1,4 million d'ouvertures nettes, NDLR) », assure le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau. « C'est un changement extrêmement important dans le paysage de l'épargne réglementée », ajoute-t-il. Les banques seront d'autant plus scrutées qu'elles ont échappé à un relèvement du taux des livrets A et LDDS - soit une économie de plusieurs centaines de millions d'euros - et qu'elles bénéficient depuis un an d'un guichet unique auprès de Bercy pour savoir rapidement si un client est éligible ou non à un LEP. Selon plusieurs études, près d'une personne éligible au LEP sur deux serait titulaire d'un livret A, nettement moins bien rémunéré, et pas d'un LEP. Il y a donc un sacré travail de communication à faire... qui relève pour l'essentiel des banques.
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