Dissuasion : la France s'offre un nouveau missile balistique clairement plus performant (M51.3)

Plus loin, plus précis et capable d'emporter plus de charges utiles... Le M51.3, le futur missile nucléaire balistique de la force océanique stratégique, est censé pénétrer les défense antimissiles les plus hermétiques jusqu'à l'horizon 2035. Le M51.4 devrait ensuite prendre le relais.
Michel Cabirol
Avec le programme M51, « nous sommes dans l'innovation technologique maîtrisée, nous sommes condamnés au succès entre guillemets, rappelle le patron des activités défense d'ArianeGroup.
Avec le programme M51, « nous sommes dans l'innovation technologique maîtrisée, nous sommes condamnés au succès entre guillemets, rappelle le patron des activités défense d'ArianeGroup. (Crédits : ArianeGroup)

La France s'est offert une nouvelle assurance-vie... Le M51.3, la nouvelle version du missile balistique français M51, est plus qu'une nouvelle version. « C'est vraiment un nouveau missile en termes de capacités », explique dans un entretien accordé à La Tribune le patron des activités défense d'ArianeGroup, dont le nom ne peut pas être cité pour des raisons de sécurité. Emporté sur les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE), le nouveau missile nucléaire stratégique à têtes multiples, doté d'une portée intercontinentale (10.000 km), dispose notamment d'un nouveau dernier étage avec des capacités de manœuvrabilité innovantes dans l'espace. Ce qui lui permettra en principe de mieux pénétrer les défenses antimissiles. « On fait vraiment un step avec le M51.3 en termes de performances », souligne-t-il. « Le M51 est un concentré de technologies alliant puissance, précision et fiabilité », a-t-il par ailleurs posté sur le réseau Linkedin.

« En termes de complexité et de performances, pour nous industriels, c'est du même niveau que la mise en service du M51.1. Le M51.2 était une version intermédiaire, transitoire », précise-t-il.

Tiré pour la première fois samedi sans charge nucléaire, le M51.3 bénéficie d'ailleurs d'une « nouvelle charge utile qui comprend une évolution des têtes du CEA et puis les gadgets qui vont avec », observe le patron des activités défense d'ArianeGroup, qui restera extrêmement discret sur toutes ces nouveautés opérationnelles et les gadgets. Seule concession, le M51.3 sera significativement plus performant en termes de capacités d'emport (charge utile). Il ira également plus loin en améliorant sa précision par rapport au M51.2. Pour l'état-major des armées, le glaive doit toujours l'emporter sur le bouclier (défense antimissile balistique). En tout cas potentiellement. Dans un contexte international très évolutif, la dissuasion ne fonctionne que si elle demeure crédible dans toutes ses dimensions, y compris technologiques.

Les trois indicateurs clés, les « 3P »

Les performances du M51 doivent être continuellement adaptées dans le cadre d'un programme incrémental, et, par conséquent, améliorées en fonction du développement de nouvelles versions des défenses antimissiles des pays que la France doit à tout prix dissuader. Concrètement avec l'objectif de pénétrer les défenses antimissiles balistiques. A cet égard, ArianeGroup assure « une veille active et précise sur l'évolution des défenses adverses potentielles (auto-directeurs des intercepteurs, radars d'alerte et de conduite des opérations, ndlr), qui se renforcent partout dans le monde, en particulier au sein des grandes puissances dotées de l'arme nucléaire », avait assuré début mai à l'Assemblée nationale, le conseiller militaire d'ArianeGroup, Charles-Henri du Ché. En 2022, 376 tirs balistiques militaires avaient été recensés, contre seulement 186 de lanceurs civils. Soit une année record en termes de lancements militaires. Dans cet esprit d'amélioration en continu, chaque évolution technologique du M51 doit en principe de doter la dissuasion de performances qui anticipent l'évolution des défenses à horizon de vingt ou trente ans.

« Pour anticiper l'évolution des menaces, répondre aux objectifs politiques et opérationnels, donc contribuer en permanence à la crédibilité de la dissuasion, il a été décidé dans les années 2000 de procéder au développement incrémental du M51 », avait expliqué fin janvier l'Assemblée nationale l'ancien PDG d'ArianeGroup, André-Hubert Roussel.

Mais comment mesurer les performances d'un missile, qui ne servira a priori jamais. Les essais en vol et les tirs d'acceptation (12 depuis le début du programme) permettent de les mesurer à travers une série d'indicateurs appelés les « 3P » : la portée, qui permet de définir à la fois les objectifs accessibles et les zones de patrouille des sous-marins associés ; la pénétration, qui contribue à l'efficacité du système d'armes en tenant compte des systèmes de défense ; et, enfin, la précision, associée à la puissance de la charge. Le vol de qualification du M51.3, qui a eu lieu samedi depuis le centre d'essais de la Direction générale de l'armement (DGA) à Biscarrosse, permettra de mesurer avec précision tous ces trois indicateurs. Cet essai en vol a permis de recueillir « à peu près un téraoctet de données », précise-t-il.

Le M51.3 aura-t-il plusieurs autres vols de qualification ? « Très peu », indique le patron des activités défense d'ArianeGroup, qui n'a pas souhaité donner le chiffre exact. La DGA et ArianeGroup, maître d'œuvre du programme M51 et des programmes Ariane, ont déjà un travail d'analyse et d'exploitation « d'environ un an sur le vol que l'on vient de faire, observe le patron des activités défense d'ArianeGroup. « On étudie toutes les données de ce vol d'essai de façon très détaillée. On ne s'arrête pas simplement sur la trajectoire. Nous avons installé plus de 600 mesures sur ce missile pour en maîtriser le comportement pendant toutes les phases de vol : sous l'eau, dans l'atmosphère, dans l'espace et en rentrée », précise-t-il. ArianeGroup installe également des capteurs lors des tirs d'acceptation réalisés à partir d'un SNLE, comme celui du 19 avril au large du Finistère lancé par « Le Terrible ».

Outre ce vol d'essai, ArianeGroup s'appuie aussi en grande partie sur ses modélisations héritées de plus de 50 ans de dissuasion nucléaire. Ce vol de qualification, qui permet de comparer les données recueillies avec les prévisions issues de la modélisation, pourrait être l'occasion pour ArianeGroup de recaler ses modèles de simulation. « Ces essais en vol sont majeurs. On recale nos modèles à chaque vol depuis maintenant plusieurs dizaines d'années au regard de tout l'historique des générations, précise le patron des activités défense d'ArianeGroup. En fonction des évolutions, on attaque des domaines de vol qui sont un peu différents. Mais on dispose de beaucoup de simulations comportementales dans notre système de simulation comme la connaissance de l'environnement et de la haute atmosphère à travers tous nos essais en vol. C'est un savoir majeur ».

Quelles innovations sur le M51.3

Avec le programme M51, « nous sommes dans l'innovation technologique maîtrisée, nous sommes condamnés au succès entre guillemets, rappelle le patron des activités défense d'ArianeGroup. Quand nous lançons un développement, il faut qu'il aboutisse ». Pas question donc de se lancer dans une nouvelle version du programme M51 à partir de technologies qui ne seraient pas matures avec des TRL (Technology readiness level ou niveau de maturité technologique) trop bas. Contrairement à ce qui s'est passé sur le développement d'Ariane 6 avec le « succès » que l'on connaît (approche Test & Learn)... « Et il faut que nous soyons raisonnablement convaincus avec notre client (le ministère des Armées, ndlr) que nous parviendrons à livrer à l'heure. Ce qui a été le cas pour le M51.3 : le missile a été tiré à deux mois près par rapport aux dates contractuelles qui avaient été définies en 2014 », précise-t-il.

Pour autant, comment concilier à la fois le besoin opérationnel du M51, qui doit évoluer pour s'adapter aux nouvelles défenses antimissiles à la demande de l'état-major des armées, et le diamètre intangible du tube lance-missiles des SNLE ? Grâce à l'innovation, indique-t-il. ArianeGroup a cherché à optimiser la masse du M51.3, en remplaçant un certain nombre de structures métalliques par de l'aluminium lithium et des composites en carbone thermoplastique pour permettre à la nouvelle version du M51 d'être capable d'emporter plus de masse en termes de charge utile. ArianeGroup a également beaucoup travaillé sur une amélioration de la propulsion solide.

Entrée en service en 2025

Le M51.3 entrera en service opérationnel à bord d'un SNLE à l'horizon 2025, confirme-t-il. Cette version, dont les premiers exemplaires ont été commandés en 2019, sera déployée sur les quatre sous-marins de la Force océanique stratégique (FOST). A ce jour, les SNLE sont dotés des M51.1 et M51.2, mis en service dans la marine nationale, respectivement en septembre 2010 et en septembre 2016. La France va consacrer en 2024 au programme M51 près de 858 millions d'euros en crédits de paiement (contre  810 millions en 2023 (+5,91 %). À ces dépenses, s'ajoutait jusqu'en 2023 le coût de l'adaptation des SNLE actuellement en service au missile M51. Soit trois des quatre SNLE de classe Le Triomphant, Le Terrible ayant été construit directement en version M51.

Michel Cabirol

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Commentaires 22
à écrit le 22/11/2023 à 22:58
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Est-ce que le M51 a vocation à égaler l'ambitieux M5 originel ?

à écrit le 22/11/2023 à 20:29
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Bonjour, Les propergol sont gélifiés en France pour ces missiles séries 50 51 , le problème est de réaliser des tests réel une fois par an, il y a des soucis pour avoir plus de poussée, les usa ont maîtrisé ce type de problème, les tests sol ou...

à écrit le 22/11/2023 à 14:38
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Ecœurant ,je pense au nombre de sans abris qu'on pourrait mettre a l abri avec l 'argent de ce truc malodorant

le 23/11/2023 à 15:56
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N'hésitez pas à en toucher deux mots à Poutine...

le 26/11/2023 à 4:03
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réflexion idiote .Les ''bonnes actions '' que tu suggères ne protègeront pas des armes ennemies .Je dirais au contraire ,elle faciliteront sa tâche . Ce type de politique est anti française .On pourrait croire que tu es un ennemi infiltré . Dans un a...

le 12/01/2024 à 23:19
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Ouï, plutôt d'accord avec ta réponse cependant n'oublie pas que c'est en partie grâce à l'usage de cette dissuasion sur l'on peut dormir plutôt peinard en France...

à écrit le 22/11/2023 à 13:12
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Tout simplement Bravo !

à écrit le 22/11/2023 à 12:13
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La prochaine étape sera de contrer les lasers haute puissance qui vont se déployer et cela ne pourra pas se faire par la manœuvre.

à écrit le 22/11/2023 à 12:12
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La prochaine étape sera de contrer les lasers haute puissance qui vont se déployer et cela ne pourra pas se faire par la manœuvre.

à écrit le 22/11/2023 à 11:16
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La maison brûle, mais la France regarde ailleurs!!!! Que ferait la France alors si le nucléaire francais est attaqué sur le sol francais????

à écrit le 22/11/2023 à 8:29
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Il est utilisable de suite ? On peut atteindre l'Allemagne je suppose avec ? Ah mince c'est vrai que ya les allemandes... ^^

le 22/11/2023 à 8:50
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C est pour montrer les. Muscles face à la Russie la Chine et la Corée du Nord qui vient d envoyer un satellite espion … ouvrez vos shakras…

le 22/11/2023 à 11:09
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Attention !!! La dernière fois que la france a attaqué l'Allemagne, cela ne s'est pas bien passé pour les Francais!!!

le 22/11/2023 à 12:11
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Qui parle d'attaquer ? Je parlais de détruire. Mais bon toujours le même problème ya les allemandes donc... :-)

à écrit le 22/11/2023 à 7:21
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Nous vaincrons car nous sommes les plus forts. Ca ne vous rappelle rien?

le 22/11/2023 à 10:03
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@ Henry. La France ne veut pas être la plus forte mais doit rester vigilante.Le nouveau missile y contribue.Non?

à écrit le 22/11/2023 à 6:43
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C'est impressionnant d'avoir un tel rayon d'action planétaire, mais que fait-on pour la menace dans nos quartiers ? Vouloir se défendre contre un ennemi potentiel lointain avant de défendre sa population d'une menace immédiate de proximité parait sup...

le 22/11/2023 à 7:23
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@PAFO. Rien à ajouter, parfait👍👏

le 22/11/2023 à 7:46
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votre point de vue se défend .par contre on n est plus sur un monde de Bisounours ça vous a pas échappé si vous pouvez vous exprimer vous étés libre de le faire .l Ukraine vous envie sachez le .

le 22/11/2023 à 15:33
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@FAFO, et si la menace dans nos quartiers était la même qu'un ennemi potentiel lointain ?...

à écrit le 22/11/2023 à 6:42
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Bonjour, au moins nous avons la un vecteur aériennes qui fonctionne correctement... Reste maintenant a effectuer un teste depuis un de SNLE.et nous aurons tous le système a neufs... La Dissuasion, une histoire française... Dommage que cela nous c...

le 23/11/2023 à 7:28
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Vous connaissez le coût des programmes, faites nous en profiter... A moins que vous n'espériez acquérir ce type d'engin chez les chinois?

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