« On a sacrifié Noël en famille pour réaliser plus de chiffres d'affaires... On en a encore sous le pied, mais je ne sais pas jusqu'à quand », se lamente Sabine Kock, gérante avec son mari de leur boulangerie dans le Cher. Et pour cause, « normalement à cette période de l'année, notre trésorerie avoisine les 40.000 euros après les fêtes, mais aujourd'hui elle est à 18.000 », s'alarme-t-elle.
Il y a un an, le 23 janvier 2023, elle était présente parmi les boulangers qui défilaient dans les rues de Paris. Ces artisans réclamaient alors davantage d'aide du gouvernement pour lutter contre l'inflation. Crise du Covid, répercussions de la guerre en Ukraine... Les boulangers ont été frappés de plein fouet par la forte augmentation de leurs coûts.
Les matières premières, à l'image de la farine et du blé, ont vu leurs tarifs s'accroître. La flambée des prix de l'énergie, consécutive au conflit déclenché par Moscou il y a bientôt deux ans, est venue s'ajouter aux difficultés. En 2022, le prix annuel du mégawattheure avait augmenté de 45%, d'après les chiffres de l'Insee. Or, les fours des boulangers, la plupart électriques, requièrent une quantité d'énergie considérable.
Des aides jugées insuffisantes
Le gouvernement avait pourtant pris les devants pour soutenir les entreprises. L'exécutif avait mis en place plusieurs dispositifs dès début janvier 2023, comme l'amortisseur électricité. Pour rappel, ce dernier permet de prendre en charge environ 20% de la facture totale d'électricité. Pour les très petites entreprises (TPE), un plafond garanti à 280 euros/mégawattheure avait été décidé.
La situation des boulangers est-elle résolue pour autant ? Un an après la mise en place de ces aides, la situation reste critique pour Sabine Kock. Elle avoue même rogner sur ses salaires avec son mari et ne plus compter ses heures. « Les salaires ont pris 20% avec les charges depuis trois ans, les emballages ont augmenté, le beurre... », énumère la gérante de trois boutiques, qui ne vend que du fait-maison. Dans ce contexte, le couple a misé sur un camion itinérant pour vendre ses produits dans les villages aux alentours ou travaille la nuit pour compenser la hausse des coûts, espérant ainsi engranger des économies.
« Contrats toxiques »
Malgré la baisse des prix de l'énergie, la facture énergétique demeure, en effet, élevée. La faute à la nature du contrat signé en novembre 2022, au plus fort de la crise. De fait, les prix étaient particulièrement élevés. Or, son contrat s'étend... sur trois ans.
« Mon fournisseur d'électricité n'a jamais voulu renégocier et me mettre au prix de janvier 2023 », regrette-t-elle.
Et pour résilier son contrat, la note s'avère salée : elle doit en effet débourser un peu plus de 80.000 euros. D'autant qu'un concurrent vient de s'installer dans la même rue qu'elle et qu'il a pu, lui, signer un contrat avec des prix plus bas.
Ces contrats qualifiés de « toxiques » par Dominique Anract, le président de la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française, peuvent amener une « distorsion de concurrence », selon lui. Le gouvernement avait pourtant annoncé, début janvier 2023, la possibilité de résilier sans frais les contrats « devenus trop onéreux », dans le but de les renégocier. Une mesure destinée « exclusivement » aux boulangers et attendue par la profession, mais appliquée « au cas par cas » et si l'entreprise était en danger.
« Mon fournisseur m'a ri au nez », s'exclame la gérante Sabine Kock, « il m'a expliqué qu'il n'y avait eu ni décret, ni ordre du gouvernement, donc rien n'avait été mis en place... ».
Dominique Anract souhaite dès lors remettre le sujet sur la table : « On en avait discuté avec Bercy, mais finalement, il n'a jamais été prévu de les renégocier pour tous, certains fournisseurs étant contre ».
Interrogé à ce sujet par La Tribune, le ministère de l'Economie et des Finances explique que « concernant la question de résiliation de contrat, il a été décidé, pour préserver la sécurité juridique des contrats, mais aussi pour l'équité du traitement des TPE, qu'en lieu et place de résiliations des contrats sans frais, les boulangers bénéficieraient d'un prix garanti à 280 euros/MWh, hors acheminement et hors taxes. ». Le ministère de l'Economie ajoute qu'il existe des renégociations avec les fournisseurs, mais qu'elles se font au cas par cas, avec « accompagnement par une cellule dédiée aux renégociations avec les fournisseurs à Bercy ».
Plus de créations que de fermetures
Pressurisés de toute part, les professionnels ont augmenté leurs prix en magasins afin de compenser la hausse de leurs coûts. En décembre 2023, le prix du pain a ainsi subit une augmentation de 6,6% sur un an, d'après les chiffres de l'INSEE. Concernant les autres produits de boulangeries, ils ont enregistré une hausse de 8%.
Malgré cela, de nombreux professionnels ont alors dû mettre la clé sous la porte l'année dernière. Rien qu'au troisième trimestre 2023, les liquidations judiciaires des boulangeries ont augmenté de 87% par rapport à l'année dernière, d'après un des derniers baromètres de Xerfi, réalisé avec le conseil national des Greffiers des Tribunaux de Commerce (CNGTC).
Pourtant, Dominique Anract se veut optimiste. Pour preuve, malgré les liquidations, le secteur enregistre « plus de créations que de fermetures », explique-t-il, avec un peu plus de 500 boulangeries qui ont ouvert en 2023. Un chiffre confirmé par le ministère de l'Economie.
« Comparé à l'année dernière à la même période, les boulangers n'ont pour la plupart plus cette épée de Damoclès au-dessus de la tête », argue Dominique Anract. D'après lui, « les coûts de certaines matières premières se sont apaisés et les prix de l'électricité sont revenus à des niveaux corrects pour ceux qui souscrivent à des nouveaux contrats ».
Des aides prolongées en 2024
Le gouvernement a, de son côté, indiqué que les prix de l'électricité, ainsi que du gaz, ont « fortement diminué », depuis début 2023. La hausse de l'électricité en février sera ainsi inférieure à 10%. « Aujourd'hui, demain, il n'y aura plus des envolées des prix telles qu'on les a connues en 2022 grâce à notre action au niveau européen et grâce à notre action au niveau français », assurait début décembre Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique avant le dernier remaniement.
L'exécutif a néanmoins reconduit certaines aides, comme l'amortisseur électricité ou encore le dispositif de plafond de prix à 280 euros/MWh pour les TPE, même si la sortie progressive du bouclier tarifaire a été actée dès la fin 2023.
Contacté par La Tribune avant le dernier remaniement, le ministère de la Transition écologique devait également se saisir du problème des contrats passés au mauvais moment de la crise au travers du projet de loi relatif à la souveraineté énergétique. Il devait être présenté fin janvier-début février par l'ancienne ministre Agnès Pannier-Runacher afin de renforcer la protection des clients face aux mauvaises pratiques de certains fournisseurs d'énergie. Il ne reste plus qu'à espérer que la saison des galettes eut été fructueuse.
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